CHRISTIAN BALE : “UN ACTEUR DOIT FAIRE JUSTE CE QU’IL FAUT, SURTOUT PAS PLUS”
Cinéma
C’est l’un des plus grands acteurs de sa génération. Expert en transformations physiques, héros des meilleurs « Batman », le Gallois a puisé au plus profond de son âme pour incarner Ken Miles dans « Le Mans 66 », biopic haletant de James Mangold dont il partage la vedette avec Matt Damon. L’occasion d’un entretien avec un comédien discret qui préfère le savoir-faire au faire savoir.
La concurrence qui l’oppose depuis toujours à Leonardo DiCaprio indique à elle seule le niveau auquel se situe Christian Bale sur l’échelle des talents hollywoodiens. L’homme est né au pays de Galles et a grandi en Angleterre. Mais comme la star de Titanic – rôle qui lui a d’ailleurs échappé, comme ceux de Romeo + Juliette ou de La Plage ! –, il a fait ses premiers pas d’acteur alors qu’il n’était qu’un enfant. Les planches – sur lesquelles il s’est illustré aux côtés de Rowan Atkinson – lui ont servi de tremplin pour décrocher, à 13 ans, le rôle principal de la fresque de Steven Spielberg, Empire du soleil. Depuis, il s’est construit une carrière mondiale d’une solidité remarquable.
A l’image de sa personnalité, aussi discrète que passionnée, ses faits d’armes brillent davantage par des performances artistiques éblouissantes et des transformations physiques hallucinantes que par des trophées scintillants. Il a bien décroché un oscar (en 2011 pour Fighter) et deux Golden Globes, mais ce sont ses prestations en trader machiavélique dans American Psycho, en ouvrier parano et insomniaque de The Machinist, puis dans la combinaison des Batman de Christopher Nolan ou dans les costumes de Dick Cheney – qu’il incarnait récemment dans Vice, d’Adam McKay – qui ont contribué à faire de cet artiste un acteur respectable. Entre deux tournages, l’homme uni depuis les années 1990 à un ancien mannequin avec qui il a deux enfants de 14 et 5 ans, n’aime rien tant que profiter des siens. Mais pour la sortie en France du Mans 66, l’exaltant biopic de James Mangold qui illustre, à travers l’amitié de deux hommes, l’incursion de Ford dans la compétition automobile, il a accompagné son réalisateur et son partenaire Matt Damon à Paris où, dans une suite du Bristol, cappuccino à la main, il nous a reçus pour un tête-à-tête franc et amical.
Disons-le tout de go, Le Mans 66 n’est pas un film d’action sur une course de voitures, mais un drame retraçant l’amitié de deux talents de l’écurie Ford : l’ex-champion Caroll Shelby et le mécanicien Ken Miles. Est-ce cela qui vous a touché ?
Il parle en effet de passions communes, de rêves partagés, de fraternité et des obstacles que la vie peut réserver. Mais cette histoire est racontée à 320 km/heure ! En cela, James Mangold a su dépasser le simple récit de compétition tout en gardant des séquences incroyables de course automobile.
Avec ce film, quel défi vous lanciez-vous ?
Lorsque vous vous attaquez à un tel sujet, la première question à se poser est : « Comment les spectateurs pourront-ils ressentir ce que cela signifie de piloter une voiture de course à 370 km/h ? » Très peu de gens dans le monde connaissent cette sensation. Mais Ken Miles ne ressemblait pas au stéréotype du pilote stoïque et impassible : il laissait facilement transparaître ses émotions. Cela m’a d’ailleurs beaucoup aidé. Et comme, en plus, à l’époque, les casques ne couvraient pas tout le visage, j’ai pu créer un personnage expressif très pittoresque.
Sans transformation physique réelle, avez-vous eu plus de mal à vous glisser dans sa peau ?
Non. Un acteur se doit de faire juste ce qu’il faut, surtout pas plus. Quand James Mangold m’a proposé le rôle, j’ai tenté de le convaincre que c’était une mauvaise idée parce que j’avais encore la corpulence de Dick Cheney (30 kilos de plus que son poids de forme, ndlr) et que je n’entrais pas dans la voiture ! Mais j’ai réfléchi, et ce rôle, au-delà de l’opportunité de retrouver ma ligne rapidement, me rappelait que l’aspect le plus important du jeu n’est pas l’apparence physique, mais le monde intérieur du personnage. Or, de ce point de vue, Ken Miles était un homme fascinant et complexe ; dans la vie, il était pétri de contradictions, mais dans le travail, c’était un vrai puriste. En tant que pilote de compétition, il avait des idéaux auxquels il ne renonçait pas.
Quels points communs pouvez-vous avoir avec Ken Miles ?
Quand James Mangold m’a senti hésitant, il m’a dit :
« Christian, cet homme, c’est toi ! Comment ne le vois-tu pas ? Miles te ressemble bien plus que tous les personnages que tu as interprétés jusqu’ici ! » Je ne suis pas sûr d’être son portrait craché dans la vie, mais j’espère m’en approcher au plus près dans le film.
En tout cas, James Mangold a été une vraie source d’inspiration pour Matt Damon et moi car sur le plateau, sa relation avec Phedon Papamichael, son fidèle chef-opérateur, était tumultueuse. En travaillant ensemble au service de projets communs, les deux hommes ont développé leur propre langage. C’est drôle à voir car ils s’engueulent comme des charretiers, mais se respectent énormément. Leur amitié fraternelle est proche de celle qu’entretenaient justement Miles et Shelby !
Connaissiez-vous bien Matt Damon avant ce film ?
Nos chemins s’étaient croisés car Matt avait rencontré ma femme il y a longtemps. Je l’ai toujours considéré comme un comédien exceptionnel, mais après avoir travaillé avec lui, je peux dire que lorsqu’il passera derrière la caméra, ce sera aussi un grand réalisateur. Matt a une vision d’ensemble et une perspective du projet que je n’ai pas. J’aime les comédiens qui, comme lui, ne vivent pas égoïstement leur passion et n’ont pas besoin de marcher sur les pieds des autres pour exister.
Votre caractère passionné et entier vous pousse à vous dépasser pour chaque rôle. Quelles sont vos limites ?
Plutôt que penser à mes limites, je préfère définir mes priorités. Quand je fais un choix, je renonce à beaucoup d’autres opportunités. Ça me désole de songer à toutes les choses que je ne réaliserai jamais, mais c’est ainsi, c’est la grande tragédie de la vie !
Comme Ken Miles, avez-vous du mal avec l’ordre et l’autorité ?
Si vous voulez faire des films, je veux dire de bons films, vous êtes obligés d’enfreindre les règles. D’ailleurs, pour réaliser quoi que ce soit d’intéressant dans le monde du cinéma, il faut à la fois aimer et détester cette industrie car la haine est parfois le seul sentiment qui vous donne la force de sortir du cadre. C’est essentiel aussi d’avoir confiance en soi pour ne pas être tenté d’imiter les autres, et même essentiel de se persuader qu’on pourra donner quelque chose que nul autre ne saura apporter. Il ne s’agit pas d’être supérieur, mais différent ; c’est la seule règle pour survivre dans ce métier.
Pour le puriste que vous êtes, est-ce difficile de jouer le jeu du show-business ?
Très ! Je pense qu’on pourrait faire notre travail plus efficacement si on se concentrait uniquement sur ça. Même pour vous, ce serait mieux ! Voyez la joie que cela procure de découvrir dans un rôle un comédien dont on ne sait rien. Chaque fois que nous accordons une interview, nous gâchons cette opportunité et devenons de vulgaires commerciaux. Mais c’est le revers de la médaille. Et une certaine forme de fidélité envers le personnage avec lequel on a travaillé et en qui on a mis tous nos efforts. Pourtant, nous ne sommes pas les meilleurs pour parler des films. Je propose toujours aux équipes de communication d’envoyer le réalisateur et le scénariste pour rencontrer les journalistes, mais on ne m’écoute jamais.
Quand vous revoyez le petit garçon de L’Empire du soleil,
qu’est-ce que cela vous inspire ?
J’ai de beaux souvenirs du tournage et de mon apprentissage avec Spielberg, mais quand je vois ce gamin, spontanément j’ai envie de lui dire : « Pauvre bougre, tu ne réalises pas ce qui t’attend ! Sais-tu seulement que tu vas détester tout cela » ?
Etes-vous fier de votre travail ?
De certains projets, oui, d’autres, à moitié ou pas du tout. Ce qui m’étonne le plus, c’est d’avoir la possibilité de choisir mes films. Cela ne va peut-être pas durer, mais, franchement, je n’ai jamais pensé que ma carrière pourrait se poursuivre aussi longtemps.
Si vos enfants veulent suivre votre voie, vous réjouirez-vous ?
Ils auront mon soutien uniquement s’ils restent, jusqu’à l’âge de 20 ans au moins, des comédiens amateurs. L’argent engendre des exigences qu’on ne devrait pas imposer à des enfants. Gamin, je n’ai jamais songé à devenir acteur ; mon seul rêve était de m’acheter une moto. Mais avec ce premier film, j’ai vite compris que le cinéma, comme aucun autre métier, me permettrait de subvenir aussi bien aux besoins de ma famille.
Vous intéressez-vous au cinéma français ?
Depuis une dizaine d’années, je ne regarde presque plus de films, au-delà de ceux que veulent voir mes enfants, mais jeune, j’étais un grand cinéphile. J’ai toujours admiré Daniel Auteuil, Jean Yanne, et Les Quatre Cents Coups de Truffaut m’avaient beaucoup marqué. J’aime aussi l’approche que vous avez du cinéma et les subventions qui lui sont attribuées. A Hollywood, l’objectif est le profit et les financements sont uniquement privés.
Vous vivez et travaillez aux Etats-Unis, mais qu’avez-vous de gallois en vous ?
En vérité, je n’ai jamais été un vrai Gallois ! Je suis né à Haverfordwest, mais j’ai quitté le pays de Galles à 18 mois pour vivre à Surrey, puis à Dorset. Tous mes souvenirs d’enfance sont liés à l’Angleterre et j’ai un accent British. Mais je dois avouer que j’aime beaucoup que les journalistes rappellent mes véritables origines car elles m’associent à Richard Burton, Anthony Hopkins ou Jonathan Pryce, et je me dis qu’il y a pire comme famille ! ■
“LA HAINE EST PARFOIS LE SEUL SENTIMENT QUI VOUS DONNE LA FORCE DE SORTIR DU CADRE”