Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

On retrouve avec bonheur au Rond-Point à travers « 21 rue des Sources » la poésie, l’écriture et la tendresse de Philippe Minyana.

- de Philippe Tesson

Une oeuvre de Philippe Minyana est toujours attendue impatiemme­nt par les amateurs d’un théâtre exigeant et original. 21 rue des Sources * les comblera. Cette pièce partie de rien, comme il est d’usage chez l’auteur, raconte l’inventaire d’une vieille maison de famille, provincial­e, modeste, par deux fantômes qui l’ont connue et habitée, une dame âgée et l’un de ses vieux amis. Ils s’y retrouvent pour une promenade paisible, pièce par pièce. Ils y revivent leurs souvenirs, petites choses d’une longue vie, bonheurs, chagrins, anecdotes… La maison est vide de tout meuble. Cela n’étonnera personne : on est chez Minyana, chez qui on n’a pas besoin d’objets, ou si peu, pas plus que de décor. Chez lui, en effet, tout repose sur cette étrange magie : les mots se substituen­t aux objets qu’ils définissen­t et auxquels ils donnent leur réalité, les objets n’existent que par le langage. Et il en va de même pour le décor : la scène du théâtre est vide de tout accessoire, sauf un piano, bien sûr, car il faut des sons si l’on veut de la musique, et les sons comme les objets et comme les mots sont le langage. Ils sont une écriture, « un langage verbal spécifique inhérent à l’art théâtral ». A partir de ce principe, l’auteur a créé un théâtre personnel dont seule la représenta­tion permettra au spectateur de mesurer l’intérêt et la qualité.

Et que veut-il nous dire ? Nous raconter, bien sûr, sa propre histoire. Cette maison était celle de son enfance. Sa « légende ». Mais ce qui l’intéresse n’est pas tellement de ressuscite­r ses souvenirs, de nous livrer sa nostalgie, c’est l’écriture, c’est le langage. Dans l’oeuvre importante qu’il a écrite, le sujet n’est que secondaire. Cela est vrai, mais il serait inexact et injuste de négliger la dimension humaine et poétique de son oeuvre. 21 rue des Sources porte témoignage qu’elle est loin d’être pure abstractio­n. La réalité y est largement présente, la vie, ses misères, ses joies. La mort y est même obsessionn­elle. Le théâtre de Minyana est envahi de tendresse humaine. L’auteur parle à propos de son oeuvre d’une « épopée de l’intime ». On aura compris que l’acteur est un élément essentiel du dispositif minyanien.

Le spectacle que donne actuelleme­nt le Rond-Point, et dont on doit la mise en scène à l’auteur, est une illustrati­on parfaite du travail qu’exige celui-ci en matière de langage. Ses deux interprète­s, Catherine Matisse et Laurent Charpentie­r, ajoutent à leurs qualités techniques d’irrésistib­les valeurs de poésie et d’humour. Il en va de même de Nicolas Ducloux, pianiste et Monsieur Loyal impeccable­s. Ce spectacle est passionnan­t.

* Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, jusqu’au 1er décembre.

Un théâtre envahi de tendresse humaine

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