LE BLOC-NOTES
L’audiovisuel en fait d’autant plus ses choux gras que les débats ne lui coûtent rien puisque les débatteurs ne sont payés qu’en amabilités flatteuses. Avant de les interroger, le meneur de jeu énumère les ouvrages qu’ils ont publiés, parfois dix ans plus tôt. Le chef d’orchestre se préoccupe surtout de mettre ses musiciens en valeur alors que, dans une interview, le présentateur de service ne cesse de vouloir prouver qu’il connaît mieux la thématique exploitée que les plus éminents spécialistes. Les ordonnateurs de ces rencontres médiatiques sont très différents. Le courtois, légèrement attardé, appelle « Monsieur le ministre » les grands commis de l’Etat que les benjamins se contentent d’interpeller par leur patronyme. Au début et à la fin, il remercie chaleureusement ses collaborateurs d’une heure de s’être dérangés. Lorsque le dilatoire promet « On en reparlera tout à l’heure », il faut comprendre que le sujet qui gêne ou qui fâche ne sera plus abordé. Le directif se charge de régenter les palabres. Il a un chronomètre sous les yeux ou dans la tête. On peut lui faire confiance pour qu’aucun mangeur de micro ne tire la couverture à lui. Il excelle à embrayer sur un nouveau sujet lorsque le précédent lui paraît épuisé. Sa conclusion est presque toujours la même : « Et maintenant, une page de publicité ». Il existe davantage de catégories d’intervenants. Le politicien de haut vol auquel on donne la parole en premier avant de lui demander de conclure monologue plus qu’il ne dialogue. Il ne tient nul compte des opinions qui ne sont pas les siennes et ignore les autres participants. L’offensif, venu pour représenter un parti, un syndicat ou un courant n’a pas son pareil pour faire taire ses contradicteurs. Ainsi alternet-il les « Laissez-moi finir ma phrase, s’il vous plaît » (cela peut durer cinq minutes) jusqu’à « Je ne vous ai pas interrompu ». Le discret intervient peu parce qu’il est timide, fatigué ou qu’il n’a rien préparé. La « toute belle » use et abuse de son charme pour monopoliser le crachoir. Blonde platinée ou brune piquante, elle sait qu’elle sera « la meilleure à l’image ». Elle s’évertue à mettre autant d’élégance dans ses propos que dans sa tenue. On imagine que les mâles auxquels elle a imposé silence se disputeront ensuite l’honneur de lui offrir un verre ou plus si affinités. Drapé dans ses diplômes comme naguère dans sa toge, l’universitaire ne pérore pas, il enseigne et ne répond qu’aux questions de ceux qui ont levé préalablement le doigt. Le trublion qui a sans doute lu davantage Karl Marx que Pierre Dac n’en est pas moins « pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour ». Si on lui lâche la bride, il rappelle les erreurs de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la Ire République. Il rembarre les élus qui réfutent son idéologie en leur reprochant de vivre aux crochets des contribuables, de posséder une fortune personnelle ou d’avoir partie liée avec une multinationale. Le ténor doté d’un organe tonitruant couvre toutes les voix sauf celles des dames lorsqu’elles montent dans les aigus. Convoqué pour disserter à propos du chômage, l’utilitaire en profite pour signaler la parution d’un bouquin, l’avancement de ses travaux ou la succulente cuisine du petit bistro où il a ses habitudes. Quel que soit le problème évoqué, la harpie tient d’abord à affirmer la suprématie de l’éternel féminin sur un dérisoire masculin dont on devine qu’il n’a pas réussi à venir à bout de sa frigidité. Elle éructe, elle vocifère, elle vitupère pêle-mêle les obsédés et les impuissants, les rétifs de la pension alimentaire et les riches qui pourtant lésinent moins, les retraites chapeaux et les inégalités salariales. Toutes injustices qui ne prendront fin que lorsqu’on installera enfin à l’Elysée une présidente qui portera à la fois le pantalon et la culotte. Quand il ne se réfère pas à ses oeuvres tragiquement incomplètes, le prétentieux cite les grands auteurs comme s’ils étaient de vieux copains et jongle avec un vocabulaire dont la compréhension exige le dictionnaire. Le nostalgique, orphelin depuis la disparition du Général, verse un pleur sur toutes les mesures salutaires tombées en quenouille depuis un demi-siècle et sur la belle époque où il exerçait une fonction élective. Il regrette que, depuis Pompidou, aucun membre de l’exécutif n’ait fait paraître une anthologie poétique. Le manuel s’exprime davantage avec ses dix doigts qu’avec ses deux lèvres. Le réalisateur ne s’y trompe point qui zoome plus sur ses phalanges que sur son visage. Le vindicatif ne supporte pas que ses vis-à-vis qu’il accuse d’être à la solde des puissances étrangères ou stipendiés par le Medef soient d’un avis contraire au sien. Lorsqu’on condamne ses propos, il fait mine de se lever en clamant que, en 1971, Maurice Clavel avait quitté le plateau avec son fameux « Messieurs les censeurs, bonsoir ! ».
Ne dramatisons pas puisque, comme le chantait Maurice Chevalier avant la drôle de guerre, « Tout ça, ça fait d’excellents Français ! ».
“L’universitaire ne répond qu’aux questions de ceux qui ont levé préalablement le doigt”