Le Figaro Magazine

UN BEAU PÈRE

Jérôme Garcin a pour Gérard Philipe les yeux de Chimène… et du gendre idéal.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Après la perte de son père dans La Chute de cheval (1998) et celle de son frère jumeau dans Olivier (2011), Jérôme Garcin boucle ici une trilogie de ses deuils familiaux. Cette fois, il décrit l’agonie de son beau-père entre août et novembre 1959. Je ne pensais pas qu’un livre sur la mort de Gérard Philipe toucherait autant le coeur des Français, et je me trompais pour deux raisons. Premièreme­nt, cet acteur au destin d’étoile filante est le James Dean national. Sa maladie soudaine a foudroyé un visage innocent et une voix éternelle. On a oublié que l’interprète du Cid était parti très tôt (36 ans) et très vite (en trois mois). Après Le Syndrome de Garcin, ce récit confirme que l’animateur du « Masque et la Plume » a raté sa vie : il aurait fait un excellent médecin. Le Dernier Hiver du Cid autopsie jour après jour la progressio­n du cancer du foie qui a emporté le père de sa femme. Il énonce son diagnostic avec un laconisme qui le rend encore plus impitoyabl­e.

Deuxièmeme­nt, ce livre évoque une France qui n’existe plus. C’est une ode à un pays fier, nourri de style, de romantisme, où le sommet de la gloire n’empêchait pas de « lire les classiques jusqu’à l’épuisement » et où l’on cachait à Fanfan la Tulipe son crabe mortel, pour protéger les enfants. Gérard Philipe n’est pas seulement un joli minois en noir et blanc imprimé sur les abrégés du bac pour motiver les collégienn­es énamourées à étudier Corneille. Il incarne une époque où le second degré n’était pas obligatoir­e, où l’on croyait en une beauté supérieure à soi, où la sincérité n’était jamais ridicule. Et où l’on mourait sans en faire tout un plat.

En clôturant cette trilogie des chagrins qui l’encerclent, Garcin se dévoile comme à son habitude : par prétéritio­n. Quand on le connaît, on est presque embarrassé de lire des pages aussi sincères sur les absents qu’il fréquente tous les jours. Mine de rien, il nous a brossé au fil des années une forme d’autoportra­it en convoquant ses morts préférés. On ne tombe pas amoureux de la fille de Gérard Philipe par hasard, mais il fallait un jour avoir le courage de l’écrire (ce livre est aussi la suite de Théâtre intime, paru en 2003). On est constitué des gens qu’on aime et aussi de ceux qu’on regrette. Il y a dans cette trilogie tant de choses dont nous n’oserons jamais parler ensemble. Certains êtres nous sont prêtés, et il faut les rendre, disait Cocteau de Radiguet. La littératur­e est cet endroit où nous pouvons écrire tout ce que nous sommes incapables de prononcer à haute voix.

Le Dernier Hiver du Cid, de Jérôme Garcin, Gallimard, 196 p., 17,50 €.

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