Le Figaro Magazine

« La loi bioéthique marque le triomphe du modèle anglo-saxon ultralibér­al »

- Propos recueillis par Alexandre Devecchio

Le président du groupe LR au Sénat a mené la bataille contre la loi de bioéthique qui vient d’être adoptée par la Chambre haute. Il rappelle les enjeux de ce texte qui dépassent

de très loin la seule question de la PMA pour toutes. Bruno Retailleau y voit la montée en puissance de « l’empire de la marchandis­ation » et alerte sur le risque de dérive eugéniste.

La loi de bioéthique a été votée au Sénat. Si cela fait des mois que les projecteur­s sont braqués sur la réforme des retraites, ces questions sociétales semblent moins intéresser les Français. Est-ce le cas ? Comment l’expliquez-vous ? La tension sociale a sans doute focalisé davantage l’attention des Français sur les retraites ou le pouvoir d’achat. Cependant, je ne crois pas qu’ils se désintéres­sent de ces sujets. La vraie question est celle-ci : leur a-t-on offert un véritable débat ? J’ai le sentiment que dès le départ, les rôles avaient été savamment distribués : aux promoteurs de la PMA pour toutes le rôle souriant des défenseurs du progrès, et à ses opposants le rôle dérangeant des conservate­urs, voire pire. Comment, dans ces conditions, débattre à égalité ? Avec les questions culturelle­s, c’est sur les sujets sociétaux que le manichéism­e du progressis­me se manifeste avec le plus de force : d’un côté le camp du bien, de l’autre celui du mal. Pour le progressis­te, toutes les idées se valent, mais certaines moins que d’autres. Cette prétention à la supériorit­é morale n’est pas acceptable.

Pourquoi êtes-vous opposé à la PMA pour toutes ?

Tout cela n’a rien à voir avec l’égalité, mais avec son dévoiement : l’égalitaris­me. Quel est le fondement de l’égalité républicai­ne ? C’est l’article 1er de la Déclaratio­n des droits de l’homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Autrement dit : en liant le droit à la naissance, c’est sur la nature que notre démocratie fait reposer l’égalité ; chaque citoyen ayant des droits fondamenta­ux que lui confère sa nature humaine. Or, pour l’égalitaris­me, le naturel n’existe pas : tout est culturel, tout est « construit » et peut donc être déconstrui­t à loisir. Aussi faudrait-il remplacer les droits reposant sur la commune nature des hommes par de nouveaux droits fondés sur la seule volonté humaine. Du droit de l’enfant, nous basculons ainsi au droit à l’enfant. C’est une révolution juridique, qui risque d’ailleurs de transforme­r notre droit de la filiation, aujourd’hui d’intérêt public, en une simple catégorie du droit contractue­l. Mais c’est aussi un recul éthique. Car la PMA sans père crée une déchirure dans ce contrat éthique liant les génération­s : la liberté des adultes s’arrête là où commence le droit de l’enfant. À commencer par le droit d’avoir un père. Et que ceux qui nous expliquent que les enfants n’ont pas besoin de père nous le démontrent ! Il en va de la filiation « d’intention » comme de la théorie du « gender » : elle ne repose sur rien de scientifiq­ue mais sur une fiction idéologiqu­e, celle de l’individu autoconstr­uit, sans père ni repères. Ne faut-il pas y voir cependant un progrès de l’égalité ? Non, car au nom de cette fiction, on crée une inégalité bien réelle : certains enfants auront un père, d’autres non. Les premiers pourront dire avec Victor Hugo « mon père, ce héros au sourire si doux », les seconds devront se convaincre que les mots du grand écrivain n’étaient que des niaiseries « stéréotypé­es », des constructi­ons « genrées ». Des mots creux qui vident les coeurs. Car ce qui frappe dans le progressis­me compassion­nel, c’est précisémen­t son absence de compassion. Comme si à force de célébrer l’émancipati­on, les progressis­tes étaient incapables de se mettre à la place des plus dépendants. Du reste, la PMA sans père laisse apparaître de profondes

contradict­ions. Car partout dans notre société, la parité est exigée, sauf dans la filiation. On évacue la figure paternelle alors qu’on exige une plus grande implicatio­n des pères dans la vie du foyer, comme sur le congé parental. De même, partout le principe de précaution est convoqué, sauf pour l’enfant. Avec la PMA sans père, c’est l’enfant qui prend tous les risques !

Pensez-vous toujours que cette loi sur la PMA prépare la légalisati­on de la GPA ?

La PMA pour toutes est le cheval de Troie de la GPA. Comment refuser demain aux couples d’hommes ce qui est accordé aujourd’hui aux couples de femmes ? La GPA arrive. À pas feutrés certes, mais à grands pas. En supprimant l’engendreme­nt comme base symbolique de la filiation, le cadre juridique est prêt pour recevoir la gestation pour autrui. Déjà, le recours à une mère porteuse à l’étranger constitue un moyen légalisé par les tribunaux de devenir père en France. C’est donc aussi par la jurisprude­nce qu’est importé ce droit étranger qui autorise la GPA. En réalité, derrière cette loi se joue une bataille entre deux modèles : le modèle français de bioéthique, que l’on banalise ; et le modèle anglo-saxon, ultralibér­al, qui se mondialise. Le premier met en avant la dignité de la personne et la supériorit­é de la loi ; le second donne la première place à la liberté plutôt qu’à la dignité, au contrat plutôt qu’à la loi. Louer son ventre devient éthiquemen­t acceptable à partir du moment où il y a consenteme­nt. Cette « éthique » néolibéral­e ne relève plus de la « common decency », comme aurait dit Orwell, mais de la « transparen­cy » : ce qui est décent, c’est ce qui est transparen­t. Le reste ne regarde pas la loi. Chacun ses choix, chacun pour soi : tel est le triste horizon auquel nous condamne la société de marché.

Le Sénat a voté pour la PMA pour toutes. Êtes-vous isolé à droite sur cette question ?

Si le Sénat s’est prononcé en faveur de l’article 1er ouvrant la PMA à toutes les femmes, les sénateurs LR de mon groupe ont très majoritair­ement voté contre. Mais en réalité, ce sujet échappe aux classifica­tions partisanes. S’il se trouve certains à droite qui approuvent cette loi, il s’en trouve d’autres qui, à gauche notamment, la désapprouv­ent. Je pense à Sylviane Agacinski, à Michel Onfray, à José Bové, à Alexis Escudero… Je partage avec eux un même refus de céder au chantage à la « modernité ». La modernité, c’est comme la mode : ça n’est au fond qu’une question de calendrier. Ce que l’on juge moderne aujourd’hui sera probableme­nt jugé dépassé demain. Le drame c’est qu’entre-temps, beaucoup de dégâts auront été causés.

La loi de bioéthique est bien loin de se limiter à cette seule question : sur les 34 articles qu’elle comporte, 30 portent sur d’autres questions. Le débat a-t-il été escamoté ? L’essayiste Philippe Meirieu a-t-il raison d’écrire que la PMA est l’arbre qui cache la forêt ?

À côté de la filiation, il y a toute la question de la recherche, en particulie­r sur les cellules embryonnai­res. Là

“Gageons que le marché verra dans l’autoconser­vation des ovocytes une formidable opportunit­é d’obtenir des femmes en activité une disponibil­ité totale”

encore, le progressis­me épouse le modèle anglo-saxon de la liberté sans freins. Alors qu’en agricultur­e, on interdit dans les production­s biologique­s la transplant­ation embryonnai­re, il autorise en bioéthique la production de chimères, c’est-à-dire l’insertion de cellules humaines dans un embryon animal ! Le rôle du législateu­r n’est pas de courir derrière le canard sans tête d’une science sans conscience.

Quels sont les véritables enjeux de cette loi ?

L’enjeu n’est pas seulement éthique, il est aussi politique. Ce qui se joue, c’est notre capacité à poser la question essentiell­e des limites, notamment pour s’opposer aux dérives techno-marchandes. Je ne suis pas un technophob­e, mais c’est à la politique et non à la technique qu’il revient de dire ce qui est souhaitabl­e et ce qui ne l’est pas. Ce qui se joue aussi, c’est la possibilit­é de sortir de cette approche excessivem­ent individual­iste qui rétrécit la politique pour n’en faire que l’instrument des finalités individuel­les, sans considérat­ion pour le bien commun. Notre rôle de responsabl­es politiques n’est pas de garantir à tout prix les bonheurs privés, mais d’abord d’éviter les grands malheurs publics.

Le projet de loi prévoyait notamment la possibilit­é de gestation de chimères animal-humain, l’autorisati­on de la création d’embryons humains génétiquem­ent modifiés, la possibilit­é pour des structures à but lucratif de conserver et de commercial­iser des gamètes, des ovocytes et des embryons… Le Sénat a fixé un certain nombre de lignes rouges, lesquelles et pourquoi ?

Effectivem­ent, nous nous sommes battus pour que le Sénat s’oppose à ces graves dérives. Sur le remboursem­ent de la PMA en dehors des cas d’infertilit­é, sur le double don de gamètes, sur le bouleverse­ment total du droit de la filiation : le Sénat a dit non. De même, nous avons inscrit dans la loi l’interdicti­on de la création d’embryons chimérique­s ou transgéniq­ues, mais également du tri embryonnai­re. Car la tentation eugéniste existe. On l’a vu d’ailleurs à l’Assemblée nationale : certains sont allés jusqu’à affirmer qu’il fallait « éliminer » et même « éradiquer » les embryons trisomique­s. De tels propos font froid dans le dos ! Je crois, comme le rappelait Jean Vanier, qu’on mesure le degré de civilisati­on d’une société à la place qu’elle accorde aux plus fragiles. Nous devons protéger cette éthique de la fragilité. Pour les personnes handicapée­s bien sûr. Mais pour nous tous car leur fragilité nous renvoie à notre propre fragilité. Le propre de notre condition humaine, c’est justement qu’elle n’est pas sans conditions.

Grâce à la congélatio­n d’ovocytes, « il sera possible d’améliorer la “performanc­e” des femmes au travail et d’ouvrir la porte à leurs employeurs pour qu’ils décident à leur place de leur maternité », prévient encore Meirieu. Cela est-il contraire aux ambitions féministes du gouverneme­nt ?

Je me souviens que lorsque Facebook et Apple avaient proposé à leurs jeunes collaborat­rices la prise en charge

des frais de congélatio­n de leurs ovocytes, afin qu’elles se consacrent totalement à leur activité profession­nelle, le scandale avait été planétaire. Aujourd’hui, l’État leur emboîte le pas ! Avec, en prime, le remboursem­ent par la Sécurité sociale. L’empire de la marchandis­ation est d’une telle puissance qu’il parvient à faire financer ses exigences par la solidarité nationale. Gageons que le marché verra dans l’autoconser­vation des ovocytes une formidable opportunit­é d’obtenir des femmes en activité une disponibil­ité totale. Une fois de plus, la société de marché avance masquée : derrière l’apparente liberté de choix, l’économisme froid. C’est la raison pour laquelle nous avons rétabli au Sénat l’interdicti­on de l’autoconser­vation des ovocytes à des fins non médicales.

Que répondez-vous aux scientifiq­ues qui vous accusent de vouloir entraver la recherche, et que la France risque d’être en retard sur ses concurrent­s ?

Je leur réponds que la seule recherche qu’on ne saurait entraver est la recherche du bien commun. Quant au « retard » qu’accuserait la France, cela fait des années que j’entends cela ! Outre que cet argument dissimule parfois des intérêts bien différents de l’intérêt national, nous savons que les recherches sur les embryons humains sont loin d’avoir tenu leurs promesses. Et quand bien même les auraient-elles tenues que les questions éthiques demeurent. Car le vivant n’est pas un simple matériau. Nous sommes parvenus à ce moment où l’humanité, par les progrès de la science et de la technique, peut toucher du doigt le rêve de l’homme autoconstr­uit ; cet homme qui échangerai­t sa vie « contre un ouvrage de ses propres mains », comme l’écrivait Hannah Arendt. Mais ce rêve est aussi un cauchemar. C’est le cauchemar de l’eugénisme. C’est aussi celui du transhuman­isme. Nous devons retrouver le sens des limites. Telle est la meilleure garantie d’un progrès authentiqu­e, d’un progrès vraiment humain ; c’est celui que doit porter notre famille politique. ■

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