La démocratie sans le peuple
Dans son nouvel essai, Pierre Rosanvallon tente de comprendre le populisme. Si la description du phénomène est convaincante, sa critique l’est beaucoup moins.
L’Aube d’une ère nouvelle » : c’est ainsi que Boris Johnson a qualifié la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. C’était le 31 janvier 2020, à 23 heures, une heure avant que Londres ne reprenne officiellement son indépendance. Dans Le Siècle du populisme,
l’historien de la démocratie et professeur au Collège de France, Pierre Rosanvallon, ne dit pas autre chose, même si c’est pour le déplorer. C’est le principal mérite de son essai : faire le bon diagnostic. Là où beaucoup d’observateurs continuent à voir dans le phénomène populiste un accident de l’histoire, Rosanvallon le présente, au contraire, comme « une révolution » qui marquerait l’entrée dans un nouveau cycle politique : une réponse cohérente et attractive, à défaut, à ses yeux, d’être satisfaisante, à la crise que traversent les démocraties occidentales. Autre mérite de Rosanvallon : bien qu’adversaire déclaré du populisme, éviter l’écueil de la diabolisation et de l’analogie avec « les heures les plus sombres… » pour proposer une définition précise de ce qu’il considère comme l’« idéologie ascendante du XXIe siècle ».
Dans une première partie, intitulée « Anatomie », sans doute la plus convaincante de l’ouvrage, il présente le populisme comme une théorie de la démocratie dans laquelle la souveraineté populaire prime sur les corps intermédiaires et les institutions. Elle s’incarne, selon lui, à travers un « homme-peuple » et s’exerce de la manière la plus directe possible par l’usage fréquent du référendum. Il y voit également « une politique et une philosophie de l’économie ». Malgré, leurs diversités, les populismes partagent ainsi pour la plupart un même logiciel « national-protectionniste ». L’auteur souligne le continuum entre protectionnisme économique et conservatisme culturel. Ce dernier point, seulement effleuré, aurait mérité d’être approfondi tant il est vrai que l’immigration de masse et l’insécurité culturelle qu’elle génère ont joué un rôle central dans la montée en puissance des populismes.
La deuxième partie tente de faire la généalogie du populisme : de Napoléon III au « laboratoire latino-américain ». Une comparaison peu pertinente dans la mesure où le populisme sud-américain d’un Perón ou d’un Chávez s’inscrit dans une tradition politique, culturelle et historique particulière très différente de celle des pays occidentaux. Rosanvallon apparaît ici aveuglé par sa propre conception de la démocratie fondée sur un libéralisme contractuel détaché de l’histoire et de la géographie. D’où une critique du populisme, détaillée dans la troisième partie, pas entièrement convaincante. L’essayiste part du postulat que le peuple n’est qu’une fiction instrumentalisée par la droite réactionnaire ou la gauche radicale. Au concept de « peuple », il préfère celui de
« société des individus ». Et prône une « démocratie interactive » où « les procédures et les institutions » seraient
« démultipliées ». À l’instar de Tocqueville, Rosanvallon se méfie, à juste titre, d’une des dérives possibles du populisme : le despotisme de la majorité. Au risque, cependant, d’ignorer, voire de favoriser, à l’heure de la disparition des frontières et de la destruction du cadre national, deux autres menaces qui pèsent sur la démocratie et dont se nourrissent les populistes : la dérive oligarchique et la tyrannie des minorités.
Le Siècle du populisme, de Pierre Rosanvallon, Seuil, 288 p., 22 €.