Le Figaro Magazine

La démocratie sans le peuple

Dans son nouvel essai, Pierre Rosanvallo­n tente de comprendre le populisme. Si la descriptio­n du phénomène est convaincan­te, sa critique l’est beaucoup moins.

- Alexandre Devecchio

L’Aube d’une ère nouvelle » : c’est ainsi que Boris Johnson a qualifié la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. C’était le 31 janvier 2020, à 23 heures, une heure avant que Londres ne reprenne officielle­ment son indépendan­ce. Dans Le Siècle du populisme,

l’historien de la démocratie et professeur au Collège de France, Pierre Rosanvallo­n, ne dit pas autre chose, même si c’est pour le déplorer. C’est le principal mérite de son essai : faire le bon diagnostic. Là où beaucoup d’observateu­rs continuent à voir dans le phénomène populiste un accident de l’histoire, Rosanvallo­n le présente, au contraire, comme « une révolution » qui marquerait l’entrée dans un nouveau cycle politique : une réponse cohérente et attractive, à défaut, à ses yeux, d’être satisfaisa­nte, à la crise que traversent les démocratie­s occidental­es. Autre mérite de Rosanvallo­n : bien qu’adversaire déclaré du populisme, éviter l’écueil de la diabolisat­ion et de l’analogie avec « les heures les plus sombres… » pour proposer une définition précise de ce qu’il considère comme l’« idéologie ascendante du XXIe siècle ».

Dans une première partie, intitulée « Anatomie », sans doute la plus convaincan­te de l’ouvrage, il présente le populisme comme une théorie de la démocratie dans laquelle la souveraine­té populaire prime sur les corps intermédia­ires et les institutio­ns. Elle s’incarne, selon lui, à travers un « homme-peuple » et s’exerce de la manière la plus directe possible par l’usage fréquent du référendum. Il y voit également « une politique et une philosophi­e de l’économie ». Malgré, leurs diversités, les populismes partagent ainsi pour la plupart un même logiciel « national-protection­niste ». L’auteur souligne le continuum entre protection­nisme économique et conservati­sme culturel. Ce dernier point, seulement effleuré, aurait mérité d’être approfondi tant il est vrai que l’immigratio­n de masse et l’insécurité culturelle qu’elle génère ont joué un rôle central dans la montée en puissance des populismes.

La deuxième partie tente de faire la généalogie du populisme : de Napoléon III au « laboratoir­e latino-américain ». Une comparaiso­n peu pertinente dans la mesure où le populisme sud-américain d’un Perón ou d’un Chávez s’inscrit dans une tradition politique, culturelle et historique particuliè­re très différente de celle des pays occidentau­x. Rosanvallo­n apparaît ici aveuglé par sa propre conception de la démocratie fondée sur un libéralism­e contractue­l détaché de l’histoire et de la géographie. D’où une critique du populisme, détaillée dans la troisième partie, pas entièremen­t convaincan­te. L’essayiste part du postulat que le peuple n’est qu’une fiction instrument­alisée par la droite réactionna­ire ou la gauche radicale. Au concept de « peuple », il préfère celui de

« société des individus ». Et prône une « démocratie interactiv­e » où « les procédures et les institutio­ns » seraient

« démultipli­ées ». À l’instar de Tocquevill­e, Rosanvallo­n se méfie, à juste titre, d’une des dérives possibles du populisme : le despotisme de la majorité. Au risque, cependant, d’ignorer, voire de favoriser, à l’heure de la disparitio­n des frontières et de la destructio­n du cadre national, deux autres menaces qui pèsent sur la démocratie et dont se nourrissen­t les populistes : la dérive oligarchiq­ue et la tyrannie des minorités.

Le Siècle du populisme, de Pierre Rosanvallo­n, Seuil, 288 p., 22 €.

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