LE THÉÂTRE
Avec « Contes et légendes », le grand « écrivain de spectacles » propose un remarquable voyage mené dans le monde futur.
Dès que Joël Pommerat apparaît, le théâtre progresse d’un pas. Cette fois, c’est d’une enjambée qu’il s’agit, forme et fond réunis. Il nous introduit dans le monde futur, où nos codes sont en voie de disparition, nos codes sociaux et familiaux par exemple. La robotique a fait son chemin. Entre l’enfant et le robot, entre le réel et l’artifice, les différences s’estompent. Pommerat imagine l’enfant de demain comme le produit d’un compromis, d’un mélange, entre un être humain naturel et un humanoïde qui se seraient associés pour prendre le pouvoir face à des adultes démissionnaires. En face de parents désarmés, les adolescents livrés à eux-mêmes auraient donné libre cours à leurs violences, à leur vulgarité, à leur libido, pâles imitations des instincts des adultes dépassés. Ceux-ci iraient chercher le secours des robots dont la science aurait développé les capacités. Le robot de Pommerat aurait acquis en effet un rôle très proche de celui de l’humain. Il se substituerait même à la mère de famille défaillante, pour l’éducation comme pour la cuisine. C’est autour de ce rêve, de ce conte, de cette légende, que Joël Pommerat nous propose un spectacle extraordinaire, où d’abord il se donne un prétexte à un travail théâtral remarquable. On y retrouve toutes les qualités qui font le génie de ce rare « écrivain de spectacles » – maîtrise de la scène, écriture, direction des acteurs – au service d’un imaginaire complètement amarré à la réalité. Là est l’originalité profonde de Pommerat : dans cet alliage de poésie, de philosophie, de morale pour faire passer par le théâtre la démonstration intellectuelle la plus gratuite que l’on puisse imaginer.
Que l’on se rende compte en effet : sur la scène, une dizaine de comédiennes d’une trentaine d’années interprètent avec une crédibilité et un talent merveilleux les rôles de très jeunes garçons adolescents ou ceux de robots masculins, et livrent des messages pour certains incroyablement audacieux, pour d’autres visionnaires, pour d’autres enfin totalement gratuits. Cela s’appelle le triomphe de l’illusion. Ce qui est inouï chez Pommerat, c’est cette insatiable curiosité qui l’amène à se poser et à poser les plus fortes et les plus difficiles questions de notre temps – ici par exemple sur l’éducation, sur l’identité, sur le genre, sur le réel, sur l’enfance, etc. –, qu’il y réponde par le langage théâtral le plus pur et le plus simple, et que ces réponses mobilisent notre sensibilité, nonobstant nos propres convictions. C’est le signe d’une exceptionnelle qualité intellectuelle, artistique et humaine.
Contes et légendes, création théâtrale de Joël Pommerat. Nanterre-Amandiers (01.46.14.70.00).
Un alliage réussi de poésie, de morale et de philosophie