LA PAGE HISTOIRE
Dans un livre provocateur, mais qui pousse à la réflexion, Fabrice Bouthillon décrit Napoléon comme le précurseur des totalitarismes modernes.
On sait que les livres sur Napoléon sont plus nombreux que les jours qui nous séparent de sa mort. Actuellement, et en attendant 2021, année du bicentenaire de sa disparition, le courant a diminué, mais il n’est pas de semaine ou ne paraissent un lot d’écrits analysant l’oeuvre militaire, politique et administrative du Premier consul qui deviendra, en 1804, l’empereur des Français. Même quand ces livres ne sont pas publiés par des thuriféraires, ils sont empreints de respect envers la dimension exceptionnelle du personnage.
Sur Napoléon, les points de vue radicalement critiques sont donc rares, a fortiori de la part d’historiens véritables.
Tel est le cas de Fabrice Bouthillon. Ancien élève de l’ENS-Ulm, ex-membre de l’École française de Rome, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bretagne occidentale à Brest, l’auteur a notamment publié un passionnant essai d’histoire politique où il montrait comment la guerre de 1914-1918 a fait accepter la République en France (L’Illégitimité de la République, Plon 2004, rééd. Dialogues, 2018), ou Nazisme et révolution (Fayard, 2011, rééd. Dialogues, 2018), essai tout aussi remarquable qui se voulait une « histoire théologique du national-socialisme ».
Bouthillon signe aujourd’hui un livre au titre potache, Bonaparte comme précurseur. Rapport sur la banalité du mâle, et le visuel provocateur de la couverture (côte à côte, les portraits de Bonaparte, Mussolini, Hitler et Staline) ne doivent pas tromper sur la rigueur du contenu. Car ce volume, références à l’appui, pose des questions dérangeantes. N’est-ce pas Bonaparte qui, le premier à l’ère moderne, a relevé la référence impériale romaine que les dictateurs du XXe siècle reprendront après lui ? N’est-ce pas lui qui a inventé le régime plébiscitaire ? Lui qui a imposé son pouvoir au moyen d’une énorme machinerie d’État soutenue par une police très efficace ? Lui qui a mené une politique religieuse aboutissant à bâillonner l’Église ? Sans doute Napoléon n’était-il pas raciste, n’a-t-il éliminé aucune classe sociale et ne s’est-il appuyé sur aucun parti unique. Ayant inventé le centrisme par addition des extrêmes, il fut néanmoins un précurseur du totalitarisme… Excessif, Bouthillon ? Au moins fait-il réfléchir.
Bonaparte comme précurseur. Rapport sur la banalité du mâle, de Fabrice Bouthillon, Éditions Dialogues, 200 p., 22,80 €.