LITTÉRATURE
Révélé par le prix de Flore en 2012, Oscar Coop-Phane publie son plus beau livre.
Oscar Coop-Phane vient d’écrire un récit étincelant sur la naissance d’un écrivain, son apprentissage de l’échec, son bonheur d’être père malgré son besoin de solitude, les petits métiers (barman, dealer, pion) qu’on fait en attendant la gloire, et comment l’écriture donne un sens aux vicissitudes de la jeunesse. Son titre, Morceaux cassés d’une chose, fait allusion à La Fêlure de Francis Scott Fitzgerald, où le père de Gatsby, blessé et ruiné, à la fin de sa vie, écrivit : « Toute vie est bien entendu un processus de démolition. » On a envie de rassurer le jeune Coop-Phane (31 ans) : en publiant des pages aussi lumineuses, il a superbement recollé les morceaux. Imaginez si Le Consentement avait été rédigé par Françoise Sagan : la sincérité absolue alliée au charme d’une petite musique hussarde, insolente et brisée. Oscar Coop-Phane a été victime d’un viol à l’âge de « six ans, peut-être huit, peut-être dix » dans une colonie de vacances et, comme Vanessa Springora (dont le récit est sorti le même mois chez le même éditeur), il a ressenti l’urgence de tout dévoiler au moment où il a donné la vie. Mais sa plume alerte, grinçante et gracieuse enrobe son traumatisme d’une beauté triste : « Que me reste-t-il alors ? Quelques nuits agitées, des heures de mélancolie noire, une chanson que je n’arriverai jamais à chanter et qui me court parfois dans la tête, quelques larmes quand j’ose en parler aux filles que j’aime. » Depuis combien de temps n’a-t-on lu une prose aussi chic et désespérée ? Peut-être depuis les premiers Nicolas Rey ou la comète Marien Defalvard ?
Coop-Phane bombe le torse pour faire le mec, mais il est cassé sous sa chemise. La dispersion façon puzzle de son livre correspond parfaitement à ce qu’il décrit : un enfant de parents divorcés, ballotté entre deux foyers, lui-même incapable de stabilité, essayant de peindre, puis de bâtir une famille, avant de se replier sur la littérature, ce métier de raté. Les livres les plus réussis parlent souvent de ratés : Journal d’un raté de Limonov, La chute de Camus, Moscou-sur-Vodka
d’Erofeiev…
L’expérience du désastre transmutée en paragraphes de diamant, voilà le secret des oeuvres que je place au plus haut de ma bibliothèque. On admire chaque chapitre comme un bijou précieux, une larme de sang. En cette période d’agressivité abjecte, lisez ce garçon fragile qui se met à nu, pour dire que la douleur peut aider à grandir et que la littérature seule lui permet de tenir debout encore, ce soir, au bord du gouffre, comme un homme.
Morceaux cassés d’une chose, d’Oscar Coop-Phane,
Grasset, 157 p., 16,50 €.