Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

- de Philippe Bouvard

Si les exhibition­nistes se recrutent rarement parmi les journalist­es, c’est parce que ces derniers sont les plus culottés de notre société. Je peux en porter témoignage puisque, à 6 ans, j’avais déjà eu le toupet de proposer à ma famille – moyennant quelques pièces de monnaie – un petit journal de ma façon. À 12 ans, sous le kiosque à musique du square d’Anvers et le nom de Napoléon IV, je m’étais couronné – tout seul comme l’Autre – empereur des gamins qui acceptaien­t de me faire la révérence. À 15 ans, en compagnie de quelques sacripants sans complexe, j’avais créé une école philosophi­que à la prétentieu­se enseigne du « matérialis­me dialectiqu­e ». À 17 ans, je faisais jouer au Théâtre d’Iéna par mes petits copains de classe une comédie historique intitulée Page 216 évoquant les galipettes du régent Philippe d’Orléans et de ses « roués ». À 20 ans, appelé sous les drapeaux, j’éditais au bout de deux mois le Kléber Digest, mensuel régimentai­re qui me valut d’être nommé sous-officier à titre exceptionn­el. Pour recruter des lecteurs, je m’installais dans la pièce contiguë à celle d’où, venant de passer la visite d’incorporat­ion, les « bleus » qui ressortaie­nt tout nus avec seulement leur porte-monnaie à la main ne pouvaient pas me refuser un abonnement.

Le chef d’escadron commandant le GT 85 appréciait que j’aie commis en outre une plaquette titrée Comprendre l’armée distribuée aux conscrits. Rien ne semblait pouvoir m’arrêter. Si, après un naufrage, j’avais échoué sur une île déserte, j’aurais rédigé un magazine à l’intention des singes.

Revenu à la vie civile, il m’avait fallu beaucoup de culot pour donner des leçons de latin et de français à de petitsbour­geois « retardés », vendre des lunettes de soleil chez Les Frères Lissac un été où la pluie n’avait pas cessé de tomber, proposer des encyclopéd­ies franco-britanniqu­es en 20 volumes payables en autant de mensualité­s à des analphabèt­es. Renvoyé du Centre de formation des journalist­es, je n’avais été engagé ensuite au Figaro qu’en qualité de garçon de courses. Avec l’assurance que si je me comportais bien, j’aurais de l’avancement. Promesse tenue puisque, quelques années plus tard, je signais ma première chronique dans l’enclave de la une réservée aux académicie­ns. Pierre Brisson, le tout-puissant directeur du quotidien, m’avait conseillé : « Si vous voulez vous faire connaître, attaquez-vous à des gens connus. » Ainsi, pendant des décennies, me suis-je moqué de Line Renaud, de Mireille Mathieu et surtout de la chère Brigitte Bardot avec laquelle j’entretiens désormais des rapports affectueux. Débrouilla­rd, pour stationner impunément dans Paris, je laissais traîner un képi à deux étoiles sur la plage arrière de ma voiture. Transformi­ste profession­nel, je me déguisais en serveur de restaurant en Bretagne et en croupier de casino à Monte-Carlo pour approvisio­nner mes lecteurs en « choses vues ».

À moi tous les culots ! Faire du grand reportage sans parler un mot d’anglais ; confesser les présidents de la République en prenant des notes sur leur bureau ; tarabuster les sommités de tout poil du haut de mon certificat d’études primaires ; ouvrir dans la grande salle de l’ancien Palais de justice de Paris le concours d’éloquence de la Conférence Berryer ; traiter devant les élèves de l’ENA des relations entre la haute fonction publique et les médias ; racheter Bobino, un music-hall parisien de 1 000 places. Après avoir dit pendant sept ans pis que pendre de François Mitterrand, j’ai fait mon mea culpa dans les colonnes du Figaro Magazine (!) en concédant que le champion de la gauche exerçait excellemme­nt le plus difficile métier du monde. Il s’ensuivit plus d’un millier de missives furibardes et un petit déjeuner de deux heures à l’Élysée en tête à tête avec l’encensé. Pour autant, France-Soir, dont j’étais devenu le directeur, demeura dans l’opposition.

À la télé, j’ai obligé Serge Gainsbourg à se raser en direct devant la caméra et Léon Zitrone à répondre à mes questions juché sur un fauteuil de dentiste. J’ai eu le culot de programmer chaque soir pendant vingt-cinq minutes avant le journal de 20 heures des jeunes comédiens complèteme­nt inconnus. Sur la 3, je me suis auto-interviewé en changeant de coiffure et de costume. Culotté, j’ai profité et parfois abusé de la confusion du grand public entre les vedettes et ceux dont le métier consiste à les asticoter. Après la première semaine des « Grosses Têtes », j’ai tempêté que cette émission n’avait aucun avenir. Je l’ai néanmoins animée pendant trente-sept ans en assurant de surcroît des galas délirants sous des chapiteaux géants. Au moment où l’ambition était tricarde, j’ai eu le culot de faire paraître un mensuel nommé Réussites qui fut un échec cuisant. Longtemps, j’ai publié autant de livres que je prenais de kilos. J’ai vécu, joué, roulé au-dessus de mes moyens et ne voilà-t-il pas qu’aujourd’hui j’ai le culot d’avouer ce qu’en général on s’évertue à dissimuler.

“Du haut de mon certificat

d’études primaires, j’ai

tarabusté des sommités de tout poil ”

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