Le Figaro Magazine

CROISIÈRE AUX ÎLES MYSTÉRIEUS­ES

- Propos recueillis par Adrien Gombeaud

Au XXIe siècle, les croisiéris­tes ont largement balisé les mers et les océans. Chaque crique, chaque plage, est l’objet de féroces rivalités. Désormais, pour surprendre les passagers, il faut s’aventurer vers les rivages les plus reculés, les plus surprenant­s. Ainsi Nicolas Dubreuil, tête chercheuse de Ponant, a-t-il récemment élaboré un itinéraire à travers les îles les plus secrètes du continent africain, dans l’archipel des Bijagós, au sud du Sénégal.

Le Figaro Magazine – De quand date votre premier voyage aux îles Bijagós ?

Nicolas Dubreuil – Je m’y suis rendu en kayak il y a une vingtaine d’années. C’est une région très sauvage et dangereuse, on y croise beaucoup de crocodiles ainsi que des mambas noirs, des serpents particuliè­rement redoutable­s qui se cachent dans les arbres et se laissent tomber sur leurs proies. J’en avais donc gardé le souvenir d’une expédition compliquée et nous avons dû prendre en compte tous ces dangers pour établir un itinéraire de croisière sécurisé. Le Ponant passait depuis longtemps par ces îles, le temps d’une brève escale dans une transatlan­tique entre le Brésil et l’Afrique. Nous avons décidé de leur dédier une croisière complète d’une semaine. Cependant, sur les 88 îles que compte l’archipel, nous n’en visitons que cinq ou six. D’autres sont infréquent­ables car trop dangereuse­s. Il existe en outre des « îles taboues », des territoire­s qui, selon les coutumes locales, ne doivent pas être foulés par l’homme. Le nom de « bijagós » est un mythe pour les explorateu­rs…

Même si la plupart des gens savent à peine sur quel continent les situer, les Bijagós ont toujours eu un pouvoir d’attraction important. Aujourd’hui encore, on y rencontre des personnali­tés un peu particuliè­res. Je pense à un ancien champion cycliste français installé là depuis des années. Ces îles doivent en partie leur aura à des paysages d’une variété étonnante. Sur quelques kilomètres, on passe de la savane à la jungle, puis à la mangrove, aux plages, aux rizières… Un concentré de la nature africaine en quelque sorte. Mais la population fascine autant les voyageurs que la nature. D’abord, je dois dire que les Bijogós sont… très beaux ! Les hommes et les femmes ont une allure, un charisme qui en imposent. Surtout, au fil des siècles, ils ont mis en place une société matriarcal­e assez complexe que les ethnologue­s n’ont jamais cessé d’étudier. J’avoue que je n’ai toujours pas compris comment cela fonctionne exactement, mais lors du repérage, dans les villages, j’étais régulièrem­ent appelé à rencontrer des femmes que l’on me présentait comme des reines. Enfin, ces îles ont construit leur mythe sur leur résistance farouche à la colonisati­on portugaise. Les hauts-fonds les rendaient difficilem­ent abordables et ce sont les canonnière­s à fond plat françaises qui ont permis aux Portugais de mettre le pied aux Bijagós. Cependant, même colonisés, les Bijogós n’ont jamais été esclaves. Ils préféraien­t se trancher la gorge plutôt que de se plier à l’esclavage !

Reste-t-il des traces de ce passé colonial ?

Oui, si l’on vient surtout chercher les paysages, la faune et la flore, les villes et les villages sont tout aussi étonnants. On se croirait parfois au Portugal. Mais un Portugal un peu perdu, presque fantomatiq­ue. À Bolama, on passe devant des églises décaties, sous des balcons en fer forgé, dans des ruelles aux couleurs effacées, décorées d’azulejos écaillés. Les locaux ont du mal à comprendre que l’on trouve de l’intérêt dans ces vieilles pierres, mais pour les visiteurs il y a une vraie poésie dans ces bâtiments usés par le temps. L’autre héritage est la langue, un créole portugais très particulie­r. Et la religion catholique qui se mêle aux croyances animistes locales.

Dans cet environnem­ent si particulie­r comment se déroulent les excursions ?

Comme la vue depuis le bateau n’offre qu’un intérêt limité, il faut vraiment descendre, se promener à pied, en file indienne, le long des étroits sentiers qu’empruntent les Bijogós eux-mêmes. Sur ces îles, la jungle est un monde à part, une autre planète, mais il est impossible de sortir des chemins ! On visite aussi la mangrove à bord de nos zodiacs. Malgré les raies et les requins, on trouve de très belles plages, totalement désertes où l’on peut se baigner sans risque et organiser des pique-niques. Quant aux

“Les hommes et les femmes ont une allure, un charisme qui en imposent. Surtout, au fil des siècles,

ils ont mis en place une société matriarcal­e assez complexe que les ethnologue­s n’ont jamais cessé d’étudier”

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Comme au premier matin du monde… Lever de soleil sur la plage d’Eticoga, île d’Orango.
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sur l’île de Bubaque au moment du carnaval annuel
de Guinée-Bissau, l’un des plus vibrants et authentiqu­es
d’Afrique de l’Ouest. Ci-contre, coucher de soleil
sur l’île de Rubane.
Ci-dessus, défilé traditionn­el sur l’île de Bubaque au moment du carnaval annuel de Guinée-Bissau, l’un des plus vibrants et authentiqu­es d’Afrique de l’Ouest. Ci-contre, coucher de soleil sur l’île de Rubane.
 ??  ?? Ci-dessous, l’île d’Orango est la plus grande de l’archipel et sans doute la plus mystérieus­e. Une escale y est prévue durant la croisière pour partir à la découverte de sa faune au coeur d’une savane arborée. En bas, à droite, une colonie de flamants roses sur l’île d’Imbone.
Ci-dessous, l’île d’Orango est la plus grande de l’archipel et sans doute la plus mystérieus­e. Une escale y est prévue durant la croisière pour partir à la découverte de sa faune au coeur d’une savane arborée. En bas, à droite, une colonie de flamants roses sur l’île d’Imbone.
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La richesse de sa faune et de sa flore vaut à l’archipel des Bijagós son statut de Réserve de biosphère reconnu par l’Unesco. Ici, paysage de l’île d’Imbone, au coeur du Parc national d’Orango.
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