CROISIÈRE AUX ÎLES MYSTÉRIEUSES
Au XXIe siècle, les croisiéristes ont largement balisé les mers et les océans. Chaque crique, chaque plage, est l’objet de féroces rivalités. Désormais, pour surprendre les passagers, il faut s’aventurer vers les rivages les plus reculés, les plus surprenants. Ainsi Nicolas Dubreuil, tête chercheuse de Ponant, a-t-il récemment élaboré un itinéraire à travers les îles les plus secrètes du continent africain, dans l’archipel des Bijagós, au sud du Sénégal.
Le Figaro Magazine – De quand date votre premier voyage aux îles Bijagós ?
Nicolas Dubreuil – Je m’y suis rendu en kayak il y a une vingtaine d’années. C’est une région très sauvage et dangereuse, on y croise beaucoup de crocodiles ainsi que des mambas noirs, des serpents particulièrement redoutables qui se cachent dans les arbres et se laissent tomber sur leurs proies. J’en avais donc gardé le souvenir d’une expédition compliquée et nous avons dû prendre en compte tous ces dangers pour établir un itinéraire de croisière sécurisé. Le Ponant passait depuis longtemps par ces îles, le temps d’une brève escale dans une transatlantique entre le Brésil et l’Afrique. Nous avons décidé de leur dédier une croisière complète d’une semaine. Cependant, sur les 88 îles que compte l’archipel, nous n’en visitons que cinq ou six. D’autres sont infréquentables car trop dangereuses. Il existe en outre des « îles taboues », des territoires qui, selon les coutumes locales, ne doivent pas être foulés par l’homme. Le nom de « bijagós » est un mythe pour les explorateurs…
Même si la plupart des gens savent à peine sur quel continent les situer, les Bijagós ont toujours eu un pouvoir d’attraction important. Aujourd’hui encore, on y rencontre des personnalités un peu particulières. Je pense à un ancien champion cycliste français installé là depuis des années. Ces îles doivent en partie leur aura à des paysages d’une variété étonnante. Sur quelques kilomètres, on passe de la savane à la jungle, puis à la mangrove, aux plages, aux rizières… Un concentré de la nature africaine en quelque sorte. Mais la population fascine autant les voyageurs que la nature. D’abord, je dois dire que les Bijogós sont… très beaux ! Les hommes et les femmes ont une allure, un charisme qui en imposent. Surtout, au fil des siècles, ils ont mis en place une société matriarcale assez complexe que les ethnologues n’ont jamais cessé d’étudier. J’avoue que je n’ai toujours pas compris comment cela fonctionne exactement, mais lors du repérage, dans les villages, j’étais régulièrement appelé à rencontrer des femmes que l’on me présentait comme des reines. Enfin, ces îles ont construit leur mythe sur leur résistance farouche à la colonisation portugaise. Les hauts-fonds les rendaient difficilement abordables et ce sont les canonnières à fond plat françaises qui ont permis aux Portugais de mettre le pied aux Bijagós. Cependant, même colonisés, les Bijogós n’ont jamais été esclaves. Ils préféraient se trancher la gorge plutôt que de se plier à l’esclavage !
Reste-t-il des traces de ce passé colonial ?
Oui, si l’on vient surtout chercher les paysages, la faune et la flore, les villes et les villages sont tout aussi étonnants. On se croirait parfois au Portugal. Mais un Portugal un peu perdu, presque fantomatique. À Bolama, on passe devant des églises décaties, sous des balcons en fer forgé, dans des ruelles aux couleurs effacées, décorées d’azulejos écaillés. Les locaux ont du mal à comprendre que l’on trouve de l’intérêt dans ces vieilles pierres, mais pour les visiteurs il y a une vraie poésie dans ces bâtiments usés par le temps. L’autre héritage est la langue, un créole portugais très particulier. Et la religion catholique qui se mêle aux croyances animistes locales.
Dans cet environnement si particulier comment se déroulent les excursions ?
Comme la vue depuis le bateau n’offre qu’un intérêt limité, il faut vraiment descendre, se promener à pied, en file indienne, le long des étroits sentiers qu’empruntent les Bijogós eux-mêmes. Sur ces îles, la jungle est un monde à part, une autre planète, mais il est impossible de sortir des chemins ! On visite aussi la mangrove à bord de nos zodiacs. Malgré les raies et les requins, on trouve de très belles plages, totalement désertes où l’on peut se baigner sans risque et organiser des pique-niques. Quant aux
“Les hommes et les femmes ont une allure, un charisme qui en imposent. Surtout, au fil des siècles,
ils ont mis en place une société matriarcale assez complexe que les ethnologues n’ont jamais cessé d’étudier”