PAPOUASIE-NOUVELLE-GUINÉE
Ceux qui l’ont visitée sont unanimes : la Papouasie-Nouvelle-Guinée est un autre monde. Dans cette dernière frontière à la fois rude et attachante, vertigineuse et secrète, une nature inviolée sert d’écrin à une mosaïque de cultures tribales qui perpétuen
Carnets de voyage
Après moins d’une heure de vol depuis la ville de Mount Hagen, au centre du pays, le Piper de six places entame sa descente vers la piste herbue de Karawari. C’est-àdire nulle part. Depuis le hublot, on distingue un dérisoire ruban vert tracé sur le velours sombre d’une jungle étendue à l’infini. Dès l’atterrissage, les repères du monde moderne s’effacent, engloutis par l’immensité sauvage et la touffeur du climat. Mal reliée au monde extérieur, presque recluse, la région du fleuve Sepik représente l’une des dernières frontières du voyage. Pas de routes, pas de véhicules, pas d’électricité, pas d’eau courante, pas d’infrastructures et des réseaux de communication extrêmement limités. Un monde taillé sur mesure pour les visiteurs dotés d’un solide esprit d’aventure. Pour autant, l’« Amazonie de la Papouasie » n’est pas une diagonale du vide. La vie s’organise autour du Sepik et de ses affluents, dont le Karawari. Ces cours d’eau pétrissent la grande forêt à force d’étreintes énamourées, façonnant ici des lacs de couleur ambre, là des bras morts, un peu plus loin des anses de sable gris. Accessible en un quart d’heure de pirogue depuis l’aérodrome, le Karawari Lodge est la seule structure d’hébergement de la province. Aménagé sur une crête boisée, il toise cet univers amphibie qu’il nous tarde d’explorer. Le lendemain, à l’aube, Paul, un guide naturaliste originaire d’un village du Sepik, nous conduit sur les méandres de la rivière à bord d’une embarcation à moteur. Un gros disque rose orangé filtre entre les frondaisons de ce labyrinthe noueux et nappe d’une poudre d’or la surface de l’eau tourbillonnante.
UN PARADIS ORNITHOLOGIQUE
Près de la rive, debout sur son frêle esquif en bois, un pêcheur est occupé à relever son filet. Chorégraphie en ombre chinoise, que nous vivons comme une offrande. Dans la brume matinale qui se dissipe doucement, le Karawari bruisse de mille présences volatiles, de mille parfums capiteux. Soudain, Paul coupe le moteur. « Un oiseau de paradis, là-haut ! » crie-t-il en pointant de l’index l’oiseau-emblème du pays (il figure sur le drapeau et sur la pièce de 1 kina), perché sur une branche à la cime d’un arbre. C’est un mâle, repérable à son plumage aux couleurs éclatantes, en pleine parade nuptiale. Le don Juan déploie ses plumes effilées dans l’espoir d’attirer l’attention des belles aux alentours. Une technique de séduction ce jour-là non concluante, aucune femelle ne s’étant manifestée pendant notre observation. Plus loin, des milans sacrés, des milans siffleurs, des martins-pêcheurs, des aigrettes, des hérons et autres calaos font le show, validant le titre de paradis ornithologique dont se prévaut la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Notre exploration est entrecoupée de visites de villages situés sur les berges du cours d’eau nourricier. Malgré une douceur de vie apparente, les conditions d’existence sont rustiques. « Pour rallier
Wewak, la localité la plus proche, il faut deux jours de navigation », témoigne Zacharias, un chef de village. L’autosubsistance est la règle, facilitée par une ressource providentielle, le sagoutier, une variété de palmier dont les parties remplissent tous les usages dans la vie quotidienne : alimentation (la fécule extraite de la moelle du tronc entre dans la préparation de galettes), habillement (les fibres végétales sont utilisées pour confectionner des vêtements), habitat (le bois et l’écorce servent de matériaux de construction) et objets usuels. La pêche traditionnelle, à bord de pirogues fabriquées à partir de troncs évidés, vient compléter les produits vivriers et la chasse au cochon et au casoar. La vie communautaire reste très ritualisée. Le christianisme, présent dans la région du Sepik depuis la fin du XIXe siècle, n’a pas fait disparaître les croyances animistes. Après une danse d’accueil, nous sommes invités à entrer dans une haus tambaran (maison des esprits), le centre spirituel et religieux du village. Décoré de masques et de sculptures, il est réservé à l’initiation des jeunes hommes, laquelle peut, dans certaines tribus, prendre la forme de scarifications particulièrement impressionnantes. Ainsi les « hommes crocodiles », dont les boursouflures sur le dos et les épaules évoquent la texture écailleuse de la peau d’un crocodile, l’animal totémique du Sepik.
DES FESTIVALS DE DANSES ET DE CHANTS RITUELS
Ceux que la prodigieuse diversité culturelle de la PapouasieNouvelle-Guinée passionne ne manqueront pas de faire coïncider leur séjour avec un sing sing dans la région des Highlands, l’épine dorsale de la Nouvelle-Guinée. Le sing sing ? Une version papoue d’un pow-wow, un festival de danses et de chants rituels qui réunit des centaines de tribus en provenance de tout le pays. Chacune en tenue traditionnelle, avec coiffes de plumes d’oiseaux, maquillages chatoyants et peintures faciales à la dimension artistique indiscutable. Parmi les plus réputés, le Goroka Show, qui a lieu pendant deux jours en septembre, et le Mount Hagen Show, le deuxième week-end d’août. Les joutes sont vécues dans un esprit d’émulation par les groupes participants. Résultat : une profusion de plumes et de costumes, un flamboiement de sons, d’odeurs et de chants, un déferlement de couleurs et de gestes, qui parlent à l’âme. Grand aficionado de ces festivals, Philippe Janvier-Kamiyama, l’ambassadeur de France à Port Moresby, témoigne de leur côté authentique : « Ces événements ne sont ni des reconstitutions ni des spectacles folkloriques. Leur fonction première est de permettre aux différentes ethnies d’affirmer leur singularité et d’exprimer la vitalité de leurs traditions. Et pour les visiteurs étrangers, c’est une immersion culturelle sans équivalent. Ils ne sont pas cantonnés dans des tribunes et ont le loisir de se mêler aux groupes qui se produisent. » L’ethnie la plus remarquée est incontestablement celle des Hulis. Les observer dans leurs préparatifs, avant qu’ils n’entrent dans l’enceinte, est un pur bonheur visuel. La minutie des parures (dont des bicornes et des perruques !), l’association des pigments (à dominante jaune et
DÈS L’ATTERRISSAGE, LES REPÈRES DU MONDE MODERNE S’EFFACENT, ENGLOUTIS PAR L’IMMENSITÉ
SAUVAGE ET LA TOUFFEUR DU CLIMAT.
et l’esthétique des ornements corporels, réalisés à partir de feuilles, de fleurs, de plumes, de cheveux, d’écorces, d’os, de coquillages et de graines, étourdissent nos sens. Les Hulis sont des artistes plasticiens dans l’âme. À défaut de leur ravir la vedette, les Asaro Mudmen (hommes de boue) font preuve d’une grande expressivité et d’un sens certain de la mise en scène. Reconnaissables entre tous avec leurs effrayants masques de glaise, leurs corps enduits d’argile blanche et leurs doigts prolongés de morceaux de bambous effilés, ils exécutent une danse rituelle saccadée qui, jadis, était utilisée comme moyen d’intimidation contre les tribus rivales.
ENTRE VOLCAN ET VESTIGES
Dans ce pays hors norme, tout semble puissant, farouche, inapprivoisé. Rien n’échappe à ce constat. À l’extrémité est de l’île de Nouvelle-Bretagne, sur la péninsule de Gazelle, le volcan Tavurvur fait régulièrement parler de lui. Lors d’une phase éruptive en 1994, une grande partie de la ville de Rabaul a été dévastée. Nouvel accès de colère en août 2014. Le trublion libère des panaches de cendres volcaniques, provoquant l’évacuation des villages proches du cratère. Depuis, l’enfant terrible de la géographie papoue semble s’être apaisé. De la plage du Kokopo Beach Bungalow Resort, le plus bel hôtel de Nouvelle-Bretagne, la silhouette du Tavurvur se découpe en toile de fond, dressée comme un gigantesque terril (600 m) audessus des eaux indigo de la mer de Bismarck. Gravir ce prodige de nature brute est une expérience incomparable. En cette matinée ensoleillée, nous crapahutons à travers les champs de basalte qui tapissent les pentes. Des grumeaux de pierres grenues et abrasives crissent sous nos pas comme des meringues. Une heure d’ascension et le cratère s’ouvre enfin à nos pieds. Plantés sur la lèvre de la caldeira, nous restons bouche bée devant le spectacle qu’offre l’antre du monstre. Un univers entièrement minéral, noirâtre, grisâtre et brunâtre, duquel sourdent d’épaisses volutes blanches qui montent vers l’azur. Un morceau de Lune. Ou de Mars. En toile de fond, les verts scintillants de la jungle et le tapis bleuté de la baie de Rabaul forment un cadre tropical plus rassurant. On peine d’ailleurs à imaginer que cette grande et photogénique baie fut occupée par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, qui en fit l’une de ses plus importantes bases navales dans le Pacifique occidental, avec plus de 100 000 soldats stationnés. Face au déluge de feu des Américains, l’armada japonaise finit par céder en 1945, malgré une résistance acharnée. On peut se remémorer cette période tragique en visitant les nombreux vestiges (tunnels, bunkers, épaves sous-marines, barges de transport, base de sous-marins et canons de défense antiaérienne) disséminés dans la péninsule de Gazelle. Aujourd’hui, la baie de Rabaul a retrouvé son aspect paisible. Les visiteurs viennent y observer une colonie de dauphins à long bec (stenelles) comprouge)
CES ÉVÉNEMENTS NE SONT NI DES RECONSTITUTIONS NI DES SPECTACLES FOLKLORIQUES. LEUR FONCTION EST DE PERMETTRE AUX ETHNIES D’AFFIRMER LEUR SINGULARITÉ
tant plus d’une centaine d’individus. Depuis le Kokopo Beach Bungalow Resort, le bateau d’excursion n’a guère besoin de s’aventurer bien loin avant d’être cerné par les cétacés. C’est parti pour une session d’acrobaties hors de l’eau. Vrilles, cabrioles, pirouettes, les stenelles nous gratifient d’un numéro mémorable pendant plus d’une heure. Nous poursuivons l’exploration de la baie jusqu’aux îles du Duc-d’York, un archipel aux airs de paradis perdu : des îles et des îlots ourlés de cocotiers, des plages de sable fin comme du talc, un lagon turquoise et une luminosité irréelle. Snorkeling de rigueur dans une eau à 30 °C, sur un site inhabituel : deux tanks japonais de la Seconde Guerre mondiale, qui gisent intacts par – 10 m sur un fond sableux. Non loin de là, des dizaines de mômes aux cheveux crépus, assis sur de fluettes pirogues en bois, s’adonnent à une partie de pêche sur le lagon. Aucune hostilité à notre égard lorsque nous approchons, bien au contraire. Ils se prêtent de bonne grâce au jeu des photos, fiers de poser avec leur harpon rudimentaire et leurs prises encore frétillantes.
UN DES PLUS BEAUX SANCTUAIRES MARINS AU MONDE
C’est une évidence : la mer de Bismarck regorge d’espèces marines. Rien de mieux qu’une croisière-plongée au départ du Walindi Plantation Resort, sur la côte nord de la Nouvelle-Bretagne, pour en découvrir les trésors. En neuf jours, l’Oceania,un catamaran de 27 mètres, dessert les plus beaux sites de la baie de Kimbe, considérée par les scientifiques comme l’un des plus riches sanctuaires de la biodiversité marine à l’échelle de la planète. Dès l’embarquement, Faustine, directrice de la croisière, une Française originaire d’Avignon, nous communique son enthousiasme : « Les nombreux hauts-fonds et les splendides récifs coralliens de Kimbe sont des oasis de vie. Ils attirent les poissons comme des aimants.» À raison de trois à quatre immersions quotidiennes dans cette immense baie que notre bateau est seul à fréquenter, nous observons des thons, des barracudas, des tortues, des carangues, des éponges barriques et une multitude de coraux durs, de coraux mous et de gorgones… Une moisson de précieux souvenirs. Seul bémol, l’absence de grosse faune pélagique, comme les requins ou les raies mantas. On vient ici pour le petit, voire le tout petit, comme les nudibranches aux allures de jouets en caoutchouc ou les étonnants hippocampes pygmées de quelques millimètres que nos guides de plongée savent repérer au milieu d’une foisonnante colonie corallienne. Autre aspect qui rend cette croisière si spéciale : la rencontre avec les habitants des Vitu, un groupe d’îles volcaniques totalement isolées, au nord-ouest de la baie de Kimbe. À chaque fois qu’il ancre à proximité, une flottille de pirogues à balancier fait cercle autour du navire. Dans une cacophonie bon enfant, Faustine s’approvisionne en fruits et légumes auprès des insulaires, en échange de soupes en sachet et d’autres produits de première nécessité. Un débarquement sur l’île principale des Vitu figure également au programme. Accueil sincère et touchant des villageois, tous mobilisés pour notre venue, au son des tambours. Une réception est organisée à l’école, où Faustine remet du matériel aux élèves, qui entonnent des chants en guise de remerciement. Un bel exemple de tourisme équitable. La journée se termine par une partie de foot avec les jeunes du village sur un terrain herbeux situé devant l’église. Au moment de quitter ce bout du monde pour retrouver le confort moderne de l’Oceania, nos coeurs se serrent. Les mots de Philippe JanvierKamiyama, l’ambassadeur de France en Papouasie-NouvelleGuinée, résonnent encore plus fort : « On finit par s’attacher à ce pays, qui ne cesse d’étonner. »■