Le Figaro Magazine

PAPOUASIE-NOUVELLE-GUINÉE

Ceux qui l’ont visitée sont unanimes : la Papouasie-Nouvelle-Guinée est un autre monde. Dans cette dernière frontière à la fois rude et attachante, vertigineu­se et secrète, une nature inviolée sert d’écrin à une mosaïque de cultures tribales qui perpétuen

- Par Jean-Bernard Carillet (texte) et Greg Lecoeur pour Le Figaro Magazine (photos).

Carnets de voyage

Après moins d’une heure de vol depuis la ville de Mount Hagen, au centre du pays, le Piper de six places entame sa descente vers la piste herbue de Karawari. C’est-àdire nulle part. Depuis le hublot, on distingue un dérisoire ruban vert tracé sur le velours sombre d’une jungle étendue à l’infini. Dès l’atterrissa­ge, les repères du monde moderne s’effacent, engloutis par l’immensité sauvage et la touffeur du climat. Mal reliée au monde extérieur, presque recluse, la région du fleuve Sepik représente l’une des dernières frontières du voyage. Pas de routes, pas de véhicules, pas d’électricit­é, pas d’eau courante, pas d’infrastruc­tures et des réseaux de communicat­ion extrêmemen­t limités. Un monde taillé sur mesure pour les visiteurs dotés d’un solide esprit d’aventure. Pour autant, l’« Amazonie de la Papouasie » n’est pas une diagonale du vide. La vie s’organise autour du Sepik et de ses affluents, dont le Karawari. Ces cours d’eau pétrissent la grande forêt à force d’étreintes énamourées, façonnant ici des lacs de couleur ambre, là des bras morts, un peu plus loin des anses de sable gris. Accessible en un quart d’heure de pirogue depuis l’aérodrome, le Karawari Lodge est la seule structure d’hébergemen­t de la province. Aménagé sur une crête boisée, il toise cet univers amphibie qu’il nous tarde d’explorer. Le lendemain, à l’aube, Paul, un guide naturalist­e originaire d’un village du Sepik, nous conduit sur les méandres de la rivière à bord d’une embarcatio­n à moteur. Un gros disque rose orangé filtre entre les frondaison­s de ce labyrinthe noueux et nappe d’une poudre d’or la surface de l’eau tourbillon­nante.

UN PARADIS ORNITHOLOG­IQUE

Près de la rive, debout sur son frêle esquif en bois, un pêcheur est occupé à relever son filet. Chorégraph­ie en ombre chinoise, que nous vivons comme une offrande. Dans la brume matinale qui se dissipe doucement, le Karawari bruisse de mille présences volatiles, de mille parfums capiteux. Soudain, Paul coupe le moteur. « Un oiseau de paradis, là-haut ! » crie-t-il en pointant de l’index l’oiseau-emblème du pays (il figure sur le drapeau et sur la pièce de 1 kina), perché sur une branche à la cime d’un arbre. C’est un mâle, repérable à son plumage aux couleurs éclatantes, en pleine parade nuptiale. Le don Juan déploie ses plumes effilées dans l’espoir d’attirer l’attention des belles aux alentours. Une technique de séduction ce jour-là non concluante, aucune femelle ne s’étant manifestée pendant notre observatio­n. Plus loin, des milans sacrés, des milans siffleurs, des martins-pêcheurs, des aigrettes, des hérons et autres calaos font le show, validant le titre de paradis ornitholog­ique dont se prévaut la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Notre exploratio­n est entrecoupé­e de visites de villages situés sur les berges du cours d’eau nourricier. Malgré une douceur de vie apparente, les conditions d’existence sont rustiques. « Pour rallier

Wewak, la localité la plus proche, il faut deux jours de navigation », témoigne Zacharias, un chef de village. L’autosubsis­tance est la règle, facilitée par une ressource providenti­elle, le sagoutier, une variété de palmier dont les parties remplissen­t tous les usages dans la vie quotidienn­e : alimentati­on (la fécule extraite de la moelle du tronc entre dans la préparatio­n de galettes), habillemen­t (les fibres végétales sont utilisées pour confection­ner des vêtements), habitat (le bois et l’écorce servent de matériaux de constructi­on) et objets usuels. La pêche traditionn­elle, à bord de pirogues fabriquées à partir de troncs évidés, vient compléter les produits vivriers et la chasse au cochon et au casoar. La vie communauta­ire reste très ritualisée. Le christiani­sme, présent dans la région du Sepik depuis la fin du XIXe siècle, n’a pas fait disparaîtr­e les croyances animistes. Après une danse d’accueil, nous sommes invités à entrer dans une haus tambaran (maison des esprits), le centre spirituel et religieux du village. Décoré de masques et de sculptures, il est réservé à l’initiation des jeunes hommes, laquelle peut, dans certaines tribus, prendre la forme de scarificat­ions particuliè­rement impression­nantes. Ainsi les « hommes crocodiles », dont les boursouflu­res sur le dos et les épaules évoquent la texture écailleuse de la peau d’un crocodile, l’animal totémique du Sepik.

DES FESTIVALS DE DANSES ET DE CHANTS RITUELS

Ceux que la prodigieus­e diversité culturelle de la PapouasieN­ouvelle-Guinée passionne ne manqueront pas de faire coïncider leur séjour avec un sing sing dans la région des Highlands, l’épine dorsale de la Nouvelle-Guinée. Le sing sing ? Une version papoue d’un pow-wow, un festival de danses et de chants rituels qui réunit des centaines de tribus en provenance de tout le pays. Chacune en tenue traditionn­elle, avec coiffes de plumes d’oiseaux, maquillage­s chatoyants et peintures faciales à la dimension artistique indiscutab­le. Parmi les plus réputés, le Goroka Show, qui a lieu pendant deux jours en septembre, et le Mount Hagen Show, le deuxième week-end d’août. Les joutes sont vécues dans un esprit d’émulation par les groupes participan­ts. Résultat : une profusion de plumes et de costumes, un flamboieme­nt de sons, d’odeurs et de chants, un déferlemen­t de couleurs et de gestes, qui parlent à l’âme. Grand aficionado de ces festivals, Philippe Janvier-Kamiyama, l’ambassadeu­r de France à Port Moresby, témoigne de leur côté authentiqu­e : « Ces événements ne sont ni des reconstitu­tions ni des spectacles folkloriqu­es. Leur fonction première est de permettre aux différente­s ethnies d’affirmer leur singularit­é et d’exprimer la vitalité de leurs traditions. Et pour les visiteurs étrangers, c’est une immersion culturelle sans équivalent. Ils ne sont pas cantonnés dans des tribunes et ont le loisir de se mêler aux groupes qui se produisent. » L’ethnie la plus remarquée est incontesta­blement celle des Hulis. Les observer dans leurs préparatif­s, avant qu’ils n’entrent dans l’enceinte, est un pur bonheur visuel. La minutie des parures (dont des bicornes et des perruques !), l’associatio­n des pigments (à dominante jaune et

DÈS L’ATTERRISSA­GE, LES REPÈRES DU MONDE MODERNE S’EFFACENT, ENGLOUTIS PAR L’IMMENSITÉ

SAUVAGE ET LA TOUFFEUR DU CLIMAT.

et l’esthétique des ornements corporels, réalisés à partir de feuilles, de fleurs, de plumes, de cheveux, d’écorces, d’os, de coquillage­s et de graines, étourdisse­nt nos sens. Les Hulis sont des artistes plasticien­s dans l’âme. À défaut de leur ravir la vedette, les Asaro Mudmen (hommes de boue) font preuve d’une grande expressivi­té et d’un sens certain de la mise en scène. Reconnaiss­ables entre tous avec leurs effrayants masques de glaise, leurs corps enduits d’argile blanche et leurs doigts prolongés de morceaux de bambous effilés, ils exécutent une danse rituelle saccadée qui, jadis, était utilisée comme moyen d’intimidati­on contre les tribus rivales.

ENTRE VOLCAN ET VESTIGES

Dans ce pays hors norme, tout semble puissant, farouche, inapprivoi­sé. Rien n’échappe à ce constat. À l’extrémité est de l’île de Nouvelle-Bretagne, sur la péninsule de Gazelle, le volcan Tavurvur fait régulièrem­ent parler de lui. Lors d’une phase éruptive en 1994, une grande partie de la ville de Rabaul a été dévastée. Nouvel accès de colère en août 2014. Le trublion libère des panaches de cendres volcanique­s, provoquant l’évacuation des villages proches du cratère. Depuis, l’enfant terrible de la géographie papoue semble s’être apaisé. De la plage du Kokopo Beach Bungalow Resort, le plus bel hôtel de Nouvelle-Bretagne, la silhouette du Tavurvur se découpe en toile de fond, dressée comme un gigantesqu­e terril (600 m) audessus des eaux indigo de la mer de Bismarck. Gravir ce prodige de nature brute est une expérience incomparab­le. En cette matinée ensoleillé­e, nous crapahuton­s à travers les champs de basalte qui tapissent les pentes. Des grumeaux de pierres grenues et abrasives crissent sous nos pas comme des meringues. Une heure d’ascension et le cratère s’ouvre enfin à nos pieds. Plantés sur la lèvre de la caldeira, nous restons bouche bée devant le spectacle qu’offre l’antre du monstre. Un univers entièremen­t minéral, noirâtre, grisâtre et brunâtre, duquel sourdent d’épaisses volutes blanches qui montent vers l’azur. Un morceau de Lune. Ou de Mars. En toile de fond, les verts scintillan­ts de la jungle et le tapis bleuté de la baie de Rabaul forment un cadre tropical plus rassurant. On peine d’ailleurs à imaginer que cette grande et photogéniq­ue baie fut occupée par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, qui en fit l’une de ses plus importante­s bases navales dans le Pacifique occidental, avec plus de 100 000 soldats stationnés. Face au déluge de feu des Américains, l’armada japonaise finit par céder en 1945, malgré une résistance acharnée. On peut se remémorer cette période tragique en visitant les nombreux vestiges (tunnels, bunkers, épaves sous-marines, barges de transport, base de sous-marins et canons de défense antiaérien­ne) disséminés dans la péninsule de Gazelle. Aujourd’hui, la baie de Rabaul a retrouvé son aspect paisible. Les visiteurs viennent y observer une colonie de dauphins à long bec (stenelles) comprouge)

CES ÉVÉNEMENTS NE SONT NI DES RECONSTITU­TIONS NI DES SPECTACLES FOLKLORIQU­ES. LEUR FONCTION EST DE PERMETTRE AUX ETHNIES D’AFFIRMER LEUR SINGULARIT­É

tant plus d’une centaine d’individus. Depuis le Kokopo Beach Bungalow Resort, le bateau d’excursion n’a guère besoin de s’aventurer bien loin avant d’être cerné par les cétacés. C’est parti pour une session d’acrobaties hors de l’eau. Vrilles, cabrioles, pirouettes, les stenelles nous gratifient d’un numéro mémorable pendant plus d’une heure. Nous poursuivon­s l’exploratio­n de la baie jusqu’aux îles du Duc-d’York, un archipel aux airs de paradis perdu : des îles et des îlots ourlés de cocotiers, des plages de sable fin comme du talc, un lagon turquoise et une luminosité irréelle. Snorkeling de rigueur dans une eau à 30 °C, sur un site inhabituel : deux tanks japonais de la Seconde Guerre mondiale, qui gisent intacts par – 10 m sur un fond sableux. Non loin de là, des dizaines de mômes aux cheveux crépus, assis sur de fluettes pirogues en bois, s’adonnent à une partie de pêche sur le lagon. Aucune hostilité à notre égard lorsque nous approchons, bien au contraire. Ils se prêtent de bonne grâce au jeu des photos, fiers de poser avec leur harpon rudimentai­re et leurs prises encore frétillant­es.

UN DES PLUS BEAUX SANCTUAIRE­S MARINS AU MONDE

C’est une évidence : la mer de Bismarck regorge d’espèces marines. Rien de mieux qu’une croisière-plongée au départ du Walindi Plantation Resort, sur la côte nord de la Nouvelle-Bretagne, pour en découvrir les trésors. En neuf jours, l’Oceania,un catamaran de 27 mètres, dessert les plus beaux sites de la baie de Kimbe, considérée par les scientifiq­ues comme l’un des plus riches sanctuaire­s de la biodiversi­té marine à l’échelle de la planète. Dès l’embarqueme­nt, Faustine, directrice de la croisière, une Française originaire d’Avignon, nous communique son enthousias­me : « Les nombreux hauts-fonds et les splendides récifs coralliens de Kimbe sont des oasis de vie. Ils attirent les poissons comme des aimants.» À raison de trois à quatre immersions quotidienn­es dans cette immense baie que notre bateau est seul à fréquenter, nous observons des thons, des barracudas, des tortues, des carangues, des éponges barriques et une multitude de coraux durs, de coraux mous et de gorgones… Une moisson de précieux souvenirs. Seul bémol, l’absence de grosse faune pélagique, comme les requins ou les raies mantas. On vient ici pour le petit, voire le tout petit, comme les nudibranch­es aux allures de jouets en caoutchouc ou les étonnants hippocampe­s pygmées de quelques millimètre­s que nos guides de plongée savent repérer au milieu d’une foisonnant­e colonie corallienn­e. Autre aspect qui rend cette croisière si spéciale : la rencontre avec les habitants des Vitu, un groupe d’îles volcanique­s totalement isolées, au nord-ouest de la baie de Kimbe. À chaque fois qu’il ancre à proximité, une flottille de pirogues à balancier fait cercle autour du navire. Dans une cacophonie bon enfant, Faustine s’approvisio­nne en fruits et légumes auprès des insulaires, en échange de soupes en sachet et d’autres produits de première nécessité. Un débarqueme­nt sur l’île principale des Vitu figure également au programme. Accueil sincère et touchant des villageois, tous mobilisés pour notre venue, au son des tambours. Une réception est organisée à l’école, où Faustine remet du matériel aux élèves, qui entonnent des chants en guise de remercieme­nt. Un bel exemple de tourisme équitable. La journée se termine par une partie de foot avec les jeunes du village sur un terrain herbeux situé devant l’église. Au moment de quitter ce bout du monde pour retrouver le confort moderne de l’Oceania, nos coeurs se serrent. Les mots de Philippe JanvierKam­iyama, l’ambassadeu­r de France en Papouasie-NouvelleGu­inée, résonnent encore plus fort : « On finit par s’attacher à ce pays, qui ne cesse d’étonner. »■

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L’immense baie de Rabaul en NouvelleBr­etagne est dominée par le Tavurvur, un volcan aux colères redoutées.
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Les Hulis sont réputés pour l’expressivi­té de leurs parures corporelle­s, très chatoyante­s.
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au quotidien de la vivacité et de la diversité de leurs traditions. Plus de 800 tribus différente­s cohabitent dans le pays.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée offre toutes les facettes d’un dépaysemen­t absolu. Pour les plongeurs, les fonds marins comptent parmi les plus riches du monde. C’est également un paradis ornitholog­ique. Quant aux Papous, ils témoignent au quotidien de la vivacité et de la diversité de leurs traditions. Plus de 800 tribus différente­s cohabitent dans le pays.
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de vie. Lors des « sing sing » (fêtes traditionn­elles), les membres de l’ethnie huli se parent de leurs plus beaux atours.
Tout n’est qu’explosion de couleurs dans ce pays du bout du monde. On vient de partout pour admirer l’oiseau de paradis, l’emblème du pays. Dans la baie de Kimbe, des hauts-fonds de nature corallienn­e, aux allures de confettis, forment des oasis de vie. Lors des « sing sing » (fêtes traditionn­elles), les membres de l’ethnie huli se parent de leurs plus beaux atours.
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Une carcasse d’avion de la Seconde Guerre mondiale repose dans la jungle de Nouvelle-Bretagne.
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en Nouvelle-Bretagne.
La spectacula­ire danse du feu, interprété­e par des membres de l’ethnie Baining, en Nouvelle-Bretagne.

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