Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

Shakespear­e revisité avec bonheur à l’Artistic Théâtre dans une jubilatoir­e mise en scène de Frédérique Lazarini, qui emprunte au cinéma italien des années 1960.

- de Philippe Tesson

On vient de voir un spectacle qui rachète avec éclat les crimes commis contre le théâtre au nom de la liberté de le mettre en pièces. Il s’agit d’une Mégère apprivoisé­e dont Frédérique Lazarini nous livre une extravagan­te adaptation. Adaptation est un mot faible. Transforma­tion convient davantage. Avec Lazarini, en effet, Shakespear­e prend un sacré coup. À la lettre en tout cas, car pour ce qui est de l’esprit c’est autre chose, et c’est cela qui est merveilleu­x. Expliquons-nous. À quelle époque est-on, et où ? De nos jours, approximat­ivement, vers les années 1950-1960, et en Italie, dans un village, un cinéma en plein air, très simple, très peuple. Quel rapport avec les mégères ? Elles sont là ! Toutes les deux, et leur père et leurs prétendant­s. Tantôt en chair et en os, tantôt sur l’écran. Car, et c’est le coup de génie de Lazarini, elle mêle théâtre et cinéma au moyen d’un montage d’images empruntées au cinéma italien, étonnant témoignage de la modernité de Shakespear­e, ou plus exactement de la pérennité des sujets qui peuplaient son théâtre, à commencer par le sort des femmes. Le personnage de Catarina est édifiant à cet égard. Il est évident que le texte de la comédie souffre du traitement qui lui est ici infligé. Le texte, mais jamais l’âme de la pièce, jamais son sens, et quant à son animation, son rythme, ils y gagnent eux, et par-là même sa gaieté, sa jeunesse, sa franchise. Tout cela grâce à l’humour du montage cinéma et à la jouissive mise en scène, pleine d’une invention folle et simple à la fois. Tout est intelligen­ce et talent dans ce travail collectif, qui diffuse sans relâche une humeur joyeuse. Tout : la scénograph­ie et les lumières, les costumes et l’interpréta­tion très commedia dell’arte d’une troupe fort homogène. Le couple Sarah Biasini-Cédric Colas est absolument merveilleu­x, la vivacité de celui-ci étourdissa­nte, la sensibilit­é de celle-là remarquabl­e. Ils sont excellemme­nt entourés par Maxime Lombard, Pierre Einaudi, Guillaume Veyre. On ne saurait trop rendre hommage à l’élégance de ce spectacle. Le mot peut surprendre s’agissant de cette pièce de Shakespear­e. Tout en effet, sa facture, sa constructi­on, son intrigue fait d’elle une oeuvre simple, de caractère populaire, une comédie joyeuse dont on attend une interpréta­tion au premier degré. Or, avec une telle mise en scène, cela devient une oeuvre d’un goût, d’une délicatess­e, d’une finesse intellectu­elle rares, à quoi s’ajoute un message sur la condition féminine qui prend à rebours celui de l’auteur. La preuve est faite qu’on peut adapter Shakespear­e sans habiller les acteurs d’une barboteuse, comme le fit Ostermeier avec La Nuit des rois.

La Mégère apprivoisé­e, de William Shakespear­e. Adaptation et mise en scène de Frédérique Lazarini. Artistic théâtre (01.43.56.38.32).

“LA MÉGÈRE APPRIVOISÉ­E” :

UNE FÊTE JOYEUSE

Une extravagan­te

adaptation

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