LE THÉÂTRE
Shakespeare revisité avec bonheur à l’Artistic Théâtre dans une jubilatoire mise en scène de Frédérique Lazarini, qui emprunte au cinéma italien des années 1960.
On vient de voir un spectacle qui rachète avec éclat les crimes commis contre le théâtre au nom de la liberté de le mettre en pièces. Il s’agit d’une Mégère apprivoisée dont Frédérique Lazarini nous livre une extravagante adaptation. Adaptation est un mot faible. Transformation convient davantage. Avec Lazarini, en effet, Shakespeare prend un sacré coup. À la lettre en tout cas, car pour ce qui est de l’esprit c’est autre chose, et c’est cela qui est merveilleux. Expliquons-nous. À quelle époque est-on, et où ? De nos jours, approximativement, vers les années 1950-1960, et en Italie, dans un village, un cinéma en plein air, très simple, très peuple. Quel rapport avec les mégères ? Elles sont là ! Toutes les deux, et leur père et leurs prétendants. Tantôt en chair et en os, tantôt sur l’écran. Car, et c’est le coup de génie de Lazarini, elle mêle théâtre et cinéma au moyen d’un montage d’images empruntées au cinéma italien, étonnant témoignage de la modernité de Shakespeare, ou plus exactement de la pérennité des sujets qui peuplaient son théâtre, à commencer par le sort des femmes. Le personnage de Catarina est édifiant à cet égard. Il est évident que le texte de la comédie souffre du traitement qui lui est ici infligé. Le texte, mais jamais l’âme de la pièce, jamais son sens, et quant à son animation, son rythme, ils y gagnent eux, et par-là même sa gaieté, sa jeunesse, sa franchise. Tout cela grâce à l’humour du montage cinéma et à la jouissive mise en scène, pleine d’une invention folle et simple à la fois. Tout est intelligence et talent dans ce travail collectif, qui diffuse sans relâche une humeur joyeuse. Tout : la scénographie et les lumières, les costumes et l’interprétation très commedia dell’arte d’une troupe fort homogène. Le couple Sarah Biasini-Cédric Colas est absolument merveilleux, la vivacité de celui-ci étourdissante, la sensibilité de celle-là remarquable. Ils sont excellemment entourés par Maxime Lombard, Pierre Einaudi, Guillaume Veyre. On ne saurait trop rendre hommage à l’élégance de ce spectacle. Le mot peut surprendre s’agissant de cette pièce de Shakespeare. Tout en effet, sa facture, sa construction, son intrigue fait d’elle une oeuvre simple, de caractère populaire, une comédie joyeuse dont on attend une interprétation au premier degré. Or, avec une telle mise en scène, cela devient une oeuvre d’un goût, d’une délicatesse, d’une finesse intellectuelle rares, à quoi s’ajoute un message sur la condition féminine qui prend à rebours celui de l’auteur. La preuve est faite qu’on peut adapter Shakespeare sans habiller les acteurs d’une barboteuse, comme le fit Ostermeier avec La Nuit des rois.
La Mégère apprivoisée, de William Shakespeare. Adaptation et mise en scène de Frédérique Lazarini. Artistic théâtre (01.43.56.38.32).
“LA MÉGÈRE APPRIVOISÉE” :
UNE FÊTE JOYEUSE
Une extravagante
adaptation