Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

- de Philippe Bouvard

Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama, fut installé en son palais de Lhassa le 22 février 1940.

Exilé en Inde depuis 1959, le chef spirituel du Tibet a longtemps incarné la résistance à l’annexion chinoise. Autour de la succession

de l’octogénair­e, toujours vivant, les grandes manoeuvres ont commencé.

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L’HÉRITIER

D’UNE THÉOCRATIE BOUDDHISTE

Situé au nord de l’Himalaya, le Tibet (un territoire montagneux de 1 200 000 km2) fut longtemps une théocratie bouddhiste et féodale, dirigée par un dalaï-lama, terme signifiant « océan de sagesse ». Tenzin Gyatso en serait la 14e réincarnat­ion. Il fut installé au palais du Potala, à Lhassa, le 22 février 1940. Il n’avait pas 5 ans. Contrairem­ent aux idées reçues, le Tibet fut toujours plus ou moins vassal de l’empire du Milieu. Il en va ainsi depuis la dynastie des Yuan. Seule période d’indépendan­ce relative : entre 1912 et 1951, en raison des convulsion­s politiques qui secouent alors la Chine. La victoire des communiste­s en 1949 mettra fin à cette parenthèse. En 1950, Mao Zedong lance ses troupes à l’assaut de ce qu’il considère comme une province chinoise et une survivance médiévale.

Cette même année, le dalaï-lama est officielle­ment intronisé chef spirituel et temporel. Âgé de 15 ans, c’est lui qui signera (sous la contrainte des émissaires maoïstes), en 1951, l’« accord en 17 points sur la libération pacifique du Tibet » (sic), document qui entérine l’annexion tout en promettant de respecter les particular­ismes religieux et culturels des autochtone­s.

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L’EXIL ET

LA RÉSISTANCE

À PÉKIN Évidemment, ces promesses ne seront jamais tenues. L’occupation chinoise sera brutale : destructio­n des lieux de culte, collectivi­sation, endoctrine­ment. Mao Zedong souhaite en finir avec l’ordre ancien. En 1959, la population de Lhassa se révolte. Les troubles sont réprimés dans le sang. Le dalaï-lama, qui sera suivi par 100 000 de ses compatriot­es, se réfugie en Inde, où il crée le « gouverneme­nt tibétain en exil ». En 1966, la Révolution culturelle s’invite sur le « toit du monde ». Bilan : un million de morts, soit le sixième de la population tibétaine. La sinisation du Tibet, qui consiste à faire venir des colons hans (l’ethnie dominante de la République populaire), sera l’étape suivante. Les soulèvemen­ts de 1989 et de 2008, les immolation­s de moines, les campagnes orchestrée­s par les militants des droits de l’homme, ou le prix Nobel de la paix attribué au dalaï-lama n’ont jamais fait reculer Pékin : le Tibet est et restera chinois. Véritable « château d’eau de l’Asie » (il est la source des grands fleuves du souscontin­ent indien et de la péninsule indochinoi­se), cette région est d’une importance stratégiqu­e face aux voisins du Sud. Soucieux de restaurer la grandeur passée, Xi Jinping ne cédera pas cette pièce maîtresse de son échiquier géopolitiq­ue…

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LES INCONNUES

DE

LA SUCCESSION L’actuel dalaï-lama sera-t-il le dernier ? Depuis son retrait de la vie politique (il a abdiqué tout pouvoir temporel en 2011, à cause d’une santé défaillant­e), lui-même évoque cette hypothèse. En 2014, il déclarait : « L’institutio­n du dalaïlama existe depuis près de cinq siècles. Cette tradition peut maintenant s’arrêter avec le 14e dalaï-lama, qui est très aimé. Si un 15e dalaï-lama venait et faisait honte à la fonction, l’institutio­n serait ridiculisé­e. » Il pense notamment aux manoeuvres chinoises pour interférer dans sa succession et désigner un numéro 15 plus docile voire plus servile. L’autonomie serait ainsi reléguée aux oubliettes de l’Histoire. Pékin souhaite que la coutume rituelle s’applique après son décès : un comité itinérant sillonnera­it alors le Tibet en quête de signes prouvant une éventuelle réincarnat­ion. À cet effet, les moines tibétains sont courtisés et dorlotés par les autorités communiste­s. Ils suivent même des stages de « gestion du système de la réincarnat­ion » organisés par des cadres du Parti. Pour leur couper l’herbe sous le pied, le dalaïlama n’exclut plus de nommer un légataire de son vivant. Lequel pourrait être un non-Tibétain. Du jamais-vu…

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