LE BLOC-NOTES
Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama, fut installé en son palais de Lhassa le 22 février 1940.
Exilé en Inde depuis 1959, le chef spirituel du Tibet a longtemps incarné la résistance à l’annexion chinoise. Autour de la succession
de l’octogénaire, toujours vivant, les grandes manoeuvres ont commencé.
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L’HÉRITIER
D’UNE THÉOCRATIE BOUDDHISTE
Situé au nord de l’Himalaya, le Tibet (un territoire montagneux de 1 200 000 km2) fut longtemps une théocratie bouddhiste et féodale, dirigée par un dalaï-lama, terme signifiant « océan de sagesse ». Tenzin Gyatso en serait la 14e réincarnation. Il fut installé au palais du Potala, à Lhassa, le 22 février 1940. Il n’avait pas 5 ans. Contrairement aux idées reçues, le Tibet fut toujours plus ou moins vassal de l’empire du Milieu. Il en va ainsi depuis la dynastie des Yuan. Seule période d’indépendance relative : entre 1912 et 1951, en raison des convulsions politiques qui secouent alors la Chine. La victoire des communistes en 1949 mettra fin à cette parenthèse. En 1950, Mao Zedong lance ses troupes à l’assaut de ce qu’il considère comme une province chinoise et une survivance médiévale.
Cette même année, le dalaï-lama est officiellement intronisé chef spirituel et temporel. Âgé de 15 ans, c’est lui qui signera (sous la contrainte des émissaires maoïstes), en 1951, l’« accord en 17 points sur la libération pacifique du Tibet » (sic), document qui entérine l’annexion tout en promettant de respecter les particularismes religieux et culturels des autochtones.
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L’EXIL ET
LA RÉSISTANCE
À PÉKIN Évidemment, ces promesses ne seront jamais tenues. L’occupation chinoise sera brutale : destruction des lieux de culte, collectivisation, endoctrinement. Mao Zedong souhaite en finir avec l’ordre ancien. En 1959, la population de Lhassa se révolte. Les troubles sont réprimés dans le sang. Le dalaï-lama, qui sera suivi par 100 000 de ses compatriotes, se réfugie en Inde, où il crée le « gouvernement tibétain en exil ». En 1966, la Révolution culturelle s’invite sur le « toit du monde ». Bilan : un million de morts, soit le sixième de la population tibétaine. La sinisation du Tibet, qui consiste à faire venir des colons hans (l’ethnie dominante de la République populaire), sera l’étape suivante. Les soulèvements de 1989 et de 2008, les immolations de moines, les campagnes orchestrées par les militants des droits de l’homme, ou le prix Nobel de la paix attribué au dalaï-lama n’ont jamais fait reculer Pékin : le Tibet est et restera chinois. Véritable « château d’eau de l’Asie » (il est la source des grands fleuves du souscontinent indien et de la péninsule indochinoise), cette région est d’une importance stratégique face aux voisins du Sud. Soucieux de restaurer la grandeur passée, Xi Jinping ne cédera pas cette pièce maîtresse de son échiquier géopolitique…
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LES INCONNUES
DE
LA SUCCESSION L’actuel dalaï-lama sera-t-il le dernier ? Depuis son retrait de la vie politique (il a abdiqué tout pouvoir temporel en 2011, à cause d’une santé défaillante), lui-même évoque cette hypothèse. En 2014, il déclarait : « L’institution du dalaïlama existe depuis près de cinq siècles. Cette tradition peut maintenant s’arrêter avec le 14e dalaï-lama, qui est très aimé. Si un 15e dalaï-lama venait et faisait honte à la fonction, l’institution serait ridiculisée. » Il pense notamment aux manoeuvres chinoises pour interférer dans sa succession et désigner un numéro 15 plus docile voire plus servile. L’autonomie serait ainsi reléguée aux oubliettes de l’Histoire. Pékin souhaite que la coutume rituelle s’applique après son décès : un comité itinérant sillonnerait alors le Tibet en quête de signes prouvant une éventuelle réincarnation. À cet effet, les moines tibétains sont courtisés et dorlotés par les autorités communistes. Ils suivent même des stages de « gestion du système de la réincarnation » organisés par des cadres du Parti. Pour leur couper l’herbe sous le pied, le dalaïlama n’exclut plus de nommer un légataire de son vivant. Lequel pourrait être un non-Tibétain. Du jamais-vu…