Le Figaro Magazine

L’INSUBMERSI­BLE

Depuis 2017, nombreux sont ceux qui ont tenté d’avoir la peau du maire de Nice, en raison de son rapprochem­ent avec Emmanuel Macron et ses troupes. En vain. Portrait.

- Par Carl Meeus

AParis, il est de bon ton de se moquer de Christian Estrosi. Ses adversaire­s au sein de son parti l’ont affublé du surnom de « motodidact­e », contractio­n de moto et autodidact­e, en raison de son passé de champion motocyclis­te (quatre fois champion de France entre 1974 et 1979 et une fois vice-champion du monde) et de son absence de diplôme du baccalauré­at. Ses ennemis se gaussent de ses changement­s de pied fréquents et se souviennen­t de l’époque où il fustigeait « la cinquième colonne », avant d’adoucir ses propos quand il a fallu récupérer les voix de la gauche au second tour des élections régionales de 2015 face à la pression de Marion Maréchal-Le Pen. Nombre d’observateu­rs s’amusent de sa pratique de la langue de bois quand il lui faut justifier qu’il est à la fois membre des Républicai­ns, qu’il a lancé son mouvement la France audacieuse en compagnie d’autres maires de même sensibilit­é, et qu’il est soutenu par La République en marche pour conserver la ville de Nice aux élections municipale­s des 15 et 22 mars prochains.

En politique, il n’est pas interdit d’être habile. C’est même plutôt conseillé, surtout quand le paysage politique bouge en profondeur. Christian Estrosi a la prudence d’un Robert Dalban dans Les Tontons flingueurs qui lance cette savoureuse réplique, avant la fameuse scène de la cuisine : « Quand ça change, ça change, faut jamais s’laisser démonter. » Et de sortir un flingue caché dans la boîte à gâteaux en fer. Christian Estrosi n’a pas sorti de flingue mais n’était pas loin de la sulfateuse quand il s’est rapproché d’Emmanuel Macron juste avant le premier tour de la présidenti­elle en 2017. Un petit déjeuner fortement médiatisé a fait s’étrangler les dirigeants des Républicai­ns engagés derrière François

Fillon, son rival dans le départemen­t, Éric Ciotti en tête. Face aux LR qui prônent un combat frontal face à LREM, Christian Estrosi vante l’ouverture, allant jusqu’à rencontrer les dirigeants du parti macroniste pour négocier un soutien.

LE GESTE D’EMMANUEL MACRON

Le maire de Nice n’a pas oublié que, celui qui était ministre de l’Économie, a été l’un des seuls du gouverneme­nt à le soutenir après l’attentat du 14 juillet 2016. « C’est le seul qui me tend la main, quand dans un climat de grande hostilité, Cazeneuve et Valls ont eu une attitude insupporta­ble, sans humanité, cherchant à se protéger de tout. Macron a appelé et m’a demandé ce qu’il pouvait faire pour aider les milieux économique­s. » Un geste que Christian Estrosi n’oubliera pas. « Pendant cinq ans, Nice a été marginalis­ée, humiliée par Hollande. Emmanuel Macron n’a pas arrêté de nous accorder des marques de respect. »

Sensible aux attentions comme au fait qu’une partie des électeurs de droite sont séduits par le nouveau président, Christian Estrosi revendique sa part de liberté par rapport à la doctrine de sa famille politique d’opposition systématiq­ue. « Je soutiens le gouverneme­nt quand il veut démanteler les régimes spéciaux et je soutiens les avocats. C’est ma liberté. Qui peut douter que je sois un mec de droite ? s’interroge l’ancien ministre. J’étais RPR, j’étais UMP et je suis adhérent LR », insiste celui qui n’a pas commis l’erreur de quitter sa famille politique. Même si visiblemen­t il se sent plus à l’aise à la tête de la France audacieuse.

Mais plus que l’habileté, c’est la fidélité à sa ville qui le caractéris­e. Les électeurs ont apprécié qu’il démissionn­e en 2017 de la présidence de la région pour reprendre les rênes de la ville. « Un maire qui s’investit dans sa ville, il

est indéboulon­nable, analyse Thierry Mariani. Il ne faut pas être surdoué. Et Christian Estrosi s’est investi à fond. » Quand on l’interroge sur son attachemen­t à cette ville, le maire plonge sa main dans la poche intérieure de sa veste et en sort une carte plastifiée. Elle date du 31 mars 1946. C’est la carte d’électeur de sa mère qui a pu voter pour la première fois à cette date, elle qui est devenue française en 1934. « C’est le symbole de mon histoire avec ma ville, explique Christian Estrosi, ravi de son effet. Je la garde toujours avec moi sur mon coeur. »

Au début des années 1980, la politique n’est pas la priorité du jeune champion motocyclis­te. Même si, comme il dit, « on m’a appris à grandir dans le culte du général de Gaulle et de Jean Médecin, maire de Nice », il ne s’imagine pas un instant plonger dans ce monde. Il a bien soutenu Jacques Chirac en 1981, « en tant que sportif de haut niveau » et figure à ce titre sur la liste de Jacques Médecin pour les municipale­s de 1983. Mais il est loin, en 54e position et le jour de l’élection, le jeune sportif court un grand prix en Afrique du Sud. Ce n’est qu’à la fin de la course qu’il apprend la nouvelle : il est le dernier élu sur la liste du maire vainqueur dès le premier tour. Sa vie bascule dans la politique.

SIGLE DU FLNC : « ESTROSI T’ES FOUTU »

Christian Estrosi arrête sa carrière sportive et prend de plus en plus goût à sa nouvelle vie. « Petit à petit, je me suis dit, mais c’est génial de faire avancer des dossiers, de les pousser, de communique­r. » Il est prêt pour l’échelon suivant. Les législativ­es de 1988. Le redécoupag­e des circonscri­ptions mené par Charles Pasqua sous la supervisio­n de François Mitterrand a laissé une terre électorale favorable à la gauche dans les Alpes-Maritimes. C’est celle-là dont il hérite, ses parrains estimant qu’il n’avait aucune chance de l’emporter face à Jean-Hugues Colonna, député PS depuis 1981, opposant au maire de Nice Jacques Médecin et ancien conseiller de Gaston Defferre au ministère de l’Intérieur pour les affaires corses. « On m’a dit, si tu veux te faire les dents, c’est parfait. J’y suis allé à fond », se souvient Christian Estrosi qui n’a que trois semaines de campagne pour se faire connaître au lendemain de la dissolutio­n de l’Assemblée nationale par François Mitterrand. « Je n’ai pas laissé un pouce de terrain. J’ai gagné de 1 200 voix ! » À la surprise générale. Et au grand mécontente­ment des Corses qui estimaient que cette circonscri­ption leur revenait. Dans la nuit de dimanche, un mur de sa maison est recouvert du sigle FLNC (Front de libération nationale corse) avec cette mention : « Estrosi t’es foutu ! » « Ça a été chaud et violent ! »

Conscient de ses lacunes, Christian Estrosi se met au travail. « Le jour où j’ai été élu maire, j’ai appris par coeur le code général des communes pour ne pas passer pour un imbécile. J’ai fait pareil quand je suis entré à l’Assemblée nationale à la commission des lois. » Surtout, il s’attache à changer l’image de sa ville. Son obsession depuis qu’il en a pris les rênes en 2008. Dans l’esprit des gens, Nice est associée à Jacques Médecin et aux affaires qui l’ont conduit à s’enfuir en Amérique latine en 1990. « J’ai pensé que Nice ne pouvait pas réussir si elle n’entrait pas dans cette respectabi­lité qui lui faisait défaut »,

euphémise aujourd’hui celui qui se présente pour un troisième mandat, persuadé qu’« aujourd’hui on ne regarde plus Nice comme avant ».

Smart City, métropole, développem­ent économique autour du numérique et de l’industrie sont désormais les mots utilisés pour caractéris­er Nice. « On a complèteme­nt changé de braquet en dix ans », se félicite le maire. De son côté l’après-municipale­s le verra également changer de braquet. Réélu, il refera de la politique au niveau national. Pour devenir ministre, comme l’imaginent les politiques qui le connaissen­t ? « L’horloge biologique tourne, ce sera peut-être la dernière occasion pour lui », pense un élu. À 64 ans, Christian Estrosi assure avoir tourné la page des portefeuil­les ministérie­ls. « Je n’aspire à aucune responsabi­lité gouverneme­ntale. Pas parce que c’est Emmanuel Macron, ce serait pareil avec une majorité LR. » Son associatio­n La France audacieuse et l’avenir de la métropole niçoise l’intéressen­t beaucoup plus. De quoi espérer peser dans le débat présidenti­el qui vient. ■

“J’ai pensé que Nice ne pouvait pas réussir si elle n’entrait pas dans cette respectabi­lité qui lui faisait défaut”

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En quelques années, le maire a réussi à être « indéboulon­nable ».
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Première supportric­e du candidat : son épouse, à sa droite, avec le tee-shirt à son effigie.

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