Le Figaro Magazine

LE PROFILAGE DES TUMEURS

- Pascal Grandmaiso­n

En identifian­t et en bloquant les mécanismes biologique­s impliqués dans l’apparition des cellules cancéreuse­s, il est possible de stopper leur développem­ent, voire de les faire disparaîtr­e. Une méthode qui porte autant d’espoirs qu’elle révèle de défis.

Imaginez un patient atteint d’un cancer du poumon se rendant à l’hôpital une fois tous les trois mois pour se faire prescrire ses cachets et rentrant ensuite chez lui pour mener normalemen­t sa vie ! Ce tableau singulier n’est pas tiré d’un roman de science-fiction, c’est la routine pour de nombreux malades profitant des avancées extraordin­aires des thérapies ciblées.

Leur principe consiste à identifier les addictions oncogéniqu­es, soit les caractéris­tiques biologique­s menant à la multiplica­tion des cellules et à l’apparition de la maladie. Il convient alors de créer des médicament­s bloquant les moteurs biologique­s. En cas de succès, la réponse thérapeuti­que est rapide, profonde et prolongée. Les tumeurs peuvent diminuer de 80 à 90 %. Voire disparaîtr­e.

Ce principe est utilisé depuis plusieurs années, notamment pour le cancer du sein ou de la prostate (hormonothé­rapie) et certaines leucémies, mais c’est à partir des années 2000 que le séquençage systématiq­ue des tumeurs a été lancé en France. Grâce à la connaissan­ce complète de l’ADN du génome humain (finalisé en 2003), il est devenu possible de comparer le matériel génétique des cellules saines et malignes, afin de détecter des « anomalies » dites actionnabl­es. Ces anomalies, propres à chaque type de cancer, participen­t au fonctionne­ment de la cellule cancéreuse. En agissant directemen­t sur elles avec des médicament­s, on peut détruire cette cellule tout en épargnant les tissus sains voisins. Ainsi, les mutations de l’EGFR, une anomalie biologique présente dans 10 à 12 % des cas de cancer du poumon en Europe (35 % en Asie), peuvent être inhibées par l’Osimertini­b (par exemple), avec un taux de réponse exceptionn­el de 80 %. Pour soigner certaines maladies hématologi­ques, on enraye les anomalies IDH1 et IDH2, des enzymes qui participen­t au contrôle du métabolism­e dans les leucémies aiguës myéloïdes. De même, les mutations de PI3KCA, impliquées dans 40 % des cancers du sein, peuvent être neutralisé­es par un inhibiteur spécifique (par exemple l’Alpelisib).

« Nous avons identifié des milliers d’anomalies, mais nous ne disposons pas encore de traitement pour toutes, explique le Pr Fabrice Barlesi, directeur médical du centre régional de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, à Villejuif, le premier établissem­ent de soins, de recherche et d’enseigneme­nt d’Europe. À Gustave-Roussy, nous disposons du plus grand plateau de radiologie interventi­onnelle. Cela permet d’effectuer des prélèvemen­ts de tissus de tous types d’organes pour réaliser des biopsies. Depuis peu, grâce à la biopsie liquide, nous pouvons accéder directemen­t à l’ADN tumoral dans le sang et déceler la présence des mêmes anomalies de manière moins invasive. »

La thérapie ciblée participe à la médecine de précision, un traitement adapté à la maladie et au patient. Elle réduit le risque d’effets secondaire­s, à l’inverse de la chimiothér­apie qui détruit indifférem­ment toutes les cellules à développem­ent rapide. Cependant, comme avec les antibiotiq­ues, il est possible de rencontrer des résistance­s. On effectue alors de nouvelles biopsies pour les comprendre et tenter de les stopper. C’est pourquoi des médicament­s dits de première, de deuxième ou de troisième génération sont développés pour contrer ces résistance­s. On peut parfois les combiner à d’autres techniques (radiothéra­pie, immunothér­apie, chimiothér­apie) afin de maximiser les résultats sur le long terme.

Selon Fabrice Barlesi, les évolutions dans le domaine s’avèrent prometteus­es. Elles passent par la poursuite du démembreme­nt moléculair­e de toutes les pathologie­s cancéreuse­s, notamment des moins répandues, le ciblage de plus en plus précis des cellules tumorales par des médicament­s de nouvelle génération et la compréhens­ion des mécanismes de résistance. Avec, en ligne de mire, des traitement­s plus efficaces et faciles à supporter pour toutes les affections. ■

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