CINÉMA : “LES QUATRE CENTS COUPS”
Les films qui ont révolutionné le septième art (3/7)
Fin des années 1950. Une bande de jeunes punks (le terme n’existant pas encore, on les nommait les « jeunes Turcs ») cinéphiles, décident de dézinguer le « cinéma à la papa » et déboulonnent méthodiquement, dans Les Cahiers du cinéma ou dans Arts, les grands formalistes du 7e art français : selon eux, Autant-Lara, Duvivier, Grangier, etc. méritent d’être fusillés comme Brasillach. À leurs yeux, seuls comptent Fritz Lang, Howard Hawks, Alfred Hitchcock, et chez les Français, Jean Renoir. Parmi ces jeunes hommes agressifs et très disparates (quel rapport entre Rivette, Rohmer, Chabrol, Varda ou Eustache, sinon un même désir de tout ratiboiser ?), l’un était plus littéraire que ses confrères, et s’avérera moins politique que son rival Godard : François Truffaut n’a jamais été maoïste et a entretenu une longue correspondance avec l’un de ses premiers supporteurs, Lucien Rebatet.
UN RÉALISME DÉCOIFFANT
Pourquoi choisir Les Quatre Cents Coups (1959) comme film étendard de la Nouvelle Vague alors que À bout de souffle (1960) a eu une renommée internationale plus importante ? Godard a su créer quelques rares scènes cultes (Belmondo qui se frotte la lèvre supérieure en hommage à Bogart, la petite Jean Seberg qui vend le Herald Tribune sur les Champs-Elysées, la fin rue Campagne-Première et quelques dialogues marquant les esprits faibles – « Si vous n’aimez pas la mer, etc. »). C’était amusant, des générations de futurs réalisateurs américains ont trouvé cela formidable, mais il restait un
problème : Godard écrivait son scénario sur un demi ticket de métro, puis sur un confetti, puis il a décidé de carrément s’en passer.
L’idée novatrice de la Nouvelle Vague, sans doute nécessaire malgré ses excès et ses nombreux ratés, était de faire sortir le cinéma des studios, de filmer dans de vrais appartements, dans de vraies rues, et non dans des décors en carton-pâte (ce qui ne manquait pas de charme non plus). Les metteurs en scène écrivaient leurs propres histoires, leurs héros étaient jeunes et souvent insolents. Ainsi Les Quatre Cents Coups s’ouvret-il avec une longue séquence montrant la tour Eiffel et le Trocadéro, à hauteur d’enfant, avec la musique de Jean Constantin, et la belle photo d’Henri Decae. La capitale est prégnante dans le film, comme dans Bob le flambeur de Melville. Truffaut aimait les romans : dès son premier film, la structure narrative est nettement supérieure à celle du Suisse de À bout de souffle. Le revoir en 2020 frappe d’ailleurs par son classicisme structurel, même si formellement, le film est novateur. Paris en noir et blanc est fantastique, son réalisme, très différent de celui à l’italienne, décoiffe. Et puis une forme de psychologie, d’empathie pour ses personnages, différencie le critique féroce de toutes les oeuvres de son confrère Godard (qu’il a fini par le traiter de « con »). C’est l’histoire largement autobiographique d’un gamin, fils unique vivant dans un minuscule appartement avec des parents qui s’engueulent – un père rigolard mais un peu lâche et une mère qui ne lui montre aucun amour. Truffaut a trouvé un enfant qui lui paraît être son double absolu au même âge : Jean-Pierre Léaud, dont les bouts d’essai pour ce premier film sont devenus mythiques. Le gamin est d’un naturel ahurissant (pour la première et la dernière fois, par la suite, il fera « du Jean-Pierre Léaud », c’est-à-dire qu’il jouera faux en déclamant des dialogues impossibles).
SEUL CONTRE LE MONDE ENTIER
Truffaut lui fait jouer sa propre enfance, celle d’un gosse perdu et turbulent. Il se rebelle contre ses profs, sèche les cours, erre, dans les 9e et 18e arrondissements, va au cinéma, découvre Balzac, affiche dans sa chambre en forme de placard et une photo de l’écrivain, lui allume un cierge (qui mettra le feu). Il s’extrait de la vie normale des jeunes de son âge, et, après avoir volé une machine à écrire, finit en maison de correction. Il se retrouve, le regard perdu, derrière un grillage : son enfance est foutue. Le monde entier est contre lui. Le jeune Antoine s’en échappe, court comme un dératé avec ses petites jambes le temps d’une scène poignante, puis se retrouve face à la mer : c’est une impasse. Il fixe la caméra qui gèle son regard avant que le mot « fin » n’apparaisse pour ce qui est le plus beau plan du plus beau film sur l’enfance. Qui ne verse pas une larme sur cette dernière séquence a un coeur de pierre. ■