Luxe longtemps réservé aux stars du showbusiness et aux princes de la finance, s’offrir une île devient un rêve de moins en moins inaccessible.
Refuges ultimes et havres naturels préservés, les îles font plus que jamais rêver. Avec le confinement, la demande a explosé pour ces biens atypiques qui séduisent les robinsons modernes.
C’est une silhouette flottant au beau milieu de l’océan, de la mer ou de la lagune. Un bout de terre singulier battu par les vagues, forteresse imprenable, promesse de solitude et de liberté. À l’heure où l’épidémie de Covid-19 terrorise la planète, posséder une île privée est sans doute le rêve le plus fou – et le plus tentant – que l’on puisse concevoir pour fuir la foule, mettre les siens à l’abri, même au prix d’une vie de bohème le temps des vacances. En marge du monde, loin de tout. « Le confinement a accentué de façon incroyable l’intérêt pour les biens hors norme, situés dans des environnements exceptionnels, témoigne Ronan Pradeau, directeur de Bretagne Sud Sotheby’s Realty. Les clients sont en quête de refuges et les îles font plus que jamais rêver. Les demandes de renseignements sur elles ont été multipliées par cinq à dix dans nos agences bretonnes durant le confinement ! » Qu’importent les contraintes d’accès, les caprices de la météo, les tempêtes et les marées ; oublié le coût des travaux, de 30 à 40 % plus élevé que sur le continent, les artisans devant faire venir leur matériel sur place à l’aide de chalands… L’envie de s’échapper sur ces confettis marins n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui !
UNE ENVIE DE LIBERTÉ
À la tête de Demeures du Littoral, Roselyne Bothorel confirme cette tendance. Il y a quelques mois, son agence immobilière a mis en vente l’île d’Aval, au large de Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor), proche du littoral Sud de Keralies et des îlots de l’île au Mouton et Enez Vihan. Un « produit » qui avait tout pour plaire avec ses 6 hectares de terrain chargés d’histoire (le roi Arthur y serait enterré au pied d’un menhir, dit la légende), ses plages de sable fin, une belle longère disposant de 8 pièces principales, 3 salles de bains, exposée plein sud.
L’île, accessible par la terre à marée basse, appartenait à la même famille depuis 1960. L’un des indivisaires y vivait à l’année et avait parfaitement pris soin des lieux. Seul point noir : l’absence d’électricité. Mais pour les insulaires, redécouvrir l’adversité du quotidien fait partie des plaisirs de la vie ! Pour s’éclairer le soir autrement qu’à la bougie, on sollicite un groupe électrogène et le tour est joué ; ou alors des panneaux solaires, quand on a la chance d’avoir reçu l’autorisation administrative d’en installer – ce qui n’est pas simple car l’administration, en France, veille scrupuleusement sur les pépites de notre littoral. Mais qu’à cela ne tienne : « Le charme opère dès l’arrivée », promettait l’annonce immobilière, vantant les atouts de l’île d’Aval. Tant et si bien que lorsque le téléphone s’est mis à sonner avec frénésie dans les locaux de l’agence, l’île était déjà sous compromis ! L’acquéreur ? « Il s’agit d’un entrepreneur assez jeune – 45 ans environ – qui a vendu son entreprise et a eu envie d’assouvir son rêve. Il est littéralement tombé amoureux de la Bretagne Nord », confie Roselyne Bothorel. « Les acheteurs d’îles sont d’une discrétion à toute épreuve, surtout en Bretagne, ajoute-t-elle. Ils veulent être tranquilles, ils ne cherchent pas à passer à la télévision. » On saura juste que le prix initialement demandé – 2,94 millions d’euros, frais d’agence inclus – a été « un peu négocié ». Mais pas tant que cela : les îles privées habitables ne sont pas légion dans les Côtes-d’Armor !
1 260 ÎLES PRIVÉES EN FRANCE
Un autre confetti de rêve est cependant proposé à la vente en ce moment par Demeures du Littoral et Bretagne Sud Sotheby’s Realty : la petite île de Roc’h ar Hon, à 10 minutes en bateau de l’Arcouest et toute proche de Bréhat. Elle appartient à des Parisiens qui ont bien fait les choses, question travaux. Mais la propriétaire cherche à s’en séparer depuis le décès de son mari. Le prix demandé ? 1,680 million d’euros. « C’est un bien qui devrait partir rapidement ; nous avons déjà plusieurs visites programmées pour le mois d’août, confie Peter Bos, chez Bretagne Sud Sotheby’s Realty. Certes, il n’y a pas de plage de sable fin et la superficie du terrain – environ 6 000 mètres carrés – n’est pas immense, mais l’endroit est paradisiaque
LES PÉPITES DU LITTORAL FRANÇAIS SONT DES TRÉSORS DE PLUS EN PLUS CONVOITÉS
et la maison, typiquement bretonne avec ses murs en pierres apparentes et ses toits d’ardoise, a été entièrement rénovée dans les années 1990. » S’offrir une île rien qu’à soi pour le prix d’un appartement parisien serait donc possible ? Voilà qui devrait réveiller le Robinson qui sommeille en bien des Français ! Mais attention : les prix peuvent vite s’envoler lorsque la superficie du terrain devient plus importante et que des possibilités de rénovation de bâtiments existent. Lorsqu’il a acquis la partie sud de l’île de Gavrinis, dans le golfe du Morbihan, le producteur de cinéma PierreAnge Le Pogam, natif de Lorient, a dû signer un chèque de 3,5 millions d’euros. C’était en 2006 ; autant dire que la somme serait plus rondelette encore aujourd’hui, car, depuis dix ans, le prix des îles s’est envolé de 10 à 25 % selon leur localisation ! L’ex-associé de Luc Besson (ils ont produit ensemble Le Grand Bleu, Nikita, Léon ou encore Le Cinquième Élément) a succombé au charme des 14 hectares de Gavrinis. L’île est dotée d’une propriété du XVIIIe siècle et de dépendances qu’il a entrepris de rénover. Les Templiers ont habité
les lieux, chargés de mystère. Mieux : l’île abrite, dans sa partie nord (ouverte au public), le fameux cairn de Gavrinis, un monumental site funéraire de pierres sèches doté d’un dolmen érigé vers 4000 avant J.-C. De quoi faire rêver Pierre-Ange Le Pogam, qui se rend dans son refuge breton dès qu’il le peut !
LES PATRONS EN RÊVENT AUSSI
À quelques encablures de là, entre l’île d’Arz et la côte de Séné, l’île de Boëdic, qui a appartenu au célèbre avocat parisien Me Olivier Metzner, a changé de mains en 2015. De l’aveu des agences locales, elle constitue l’un des plus beaux joyaux du golfe du Morbihan. Metzner, avocat de Jérôme Kerviel, Dominique de Villepin et Françoise Bettencourt-Meyers, l’avait acquise en 2010. Il avait entrepris de luxueux travaux, à hauteur de 1 million d’euros. L’île compte 7,5 hectares privés (+ 4 hectares contrôlés par le Conservatoire du littoral) et est agrémentée d’une maison de maître de 16 pièces et d’une longère que la star du barreau avait transformée en luxueux salon design… Tout s’est arrêté en mars 2013 avec la découverte de son corps noyé, à proximité de l’île. L’autopsie a conclu à un suicide. Il a fallu attendre le printemps 2015 pour que Boëdic retrouve son nouveau propriétaire. Mais l’identité de ce dernier est restée un moment secrète. L’achat, pour un montant de 4 millions d’euros, avait été signé par une société civile agricole. Des rumeurs ont couru, laissant entendre que l’acquéreur était un ancien premier ministre ; puis Xavier Beulin, ancien président de la FNSEA (décédé en 2017) ! Mais ces bruits ont été rapidement démentis, avant que l’on découvre que l’heureux propriétaire de Boëdic était le Lyonnais Christian Latouche (56e fortune de France selon le dernier classement du magazine Challenges), très discret fondateur et PDG du groupe Fiducial (17 700 salariés dans le monde, 1,7 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2019), spécialisé dans l’expertise comptable et les conseils juridiques aux entreprises. Symboles de réussite et retraites de luxe, exclusives, les îles
séduisent de plus en plus les grands patrons. Fidèle à la Bretagne chère à son coeur, le capitaine d’industrie Vincent Bolloré a acheté, en 2010, l’île du Loc’h, au coeur des eaux turquoise de l’archipel des Glénan, dans le Finistère. Une terre sauvage, classée zone Natura 2 000 ; 4 kilomètres carrés avec, en son centre, un étang d’eau salée apprécié des oiseaux migrateurs. Bernard Arnault, lui, a opté pour un peu plus d’exotisme : le patron du groupe LVMH a craqué, en 1999, pour l’île de Cistern Cay, dans l’archipel des Bahamas. Rebaptisée Indigo Island, l’île, située à vingt minutes en hydravion de Nassau, s’étend sur une superficie de 54 hectares. Bernard Arnault y a fait construire une luxueuse résidence, au point culminant de l’île, d’où l’on jouit d’un panorama splendide. Les stars de la nouvelle économie n’échappent pas à cet engouement pour la vie insulaire. Pierre KosciuskoMorizet, fondateur de PriceMinister (et frère de l’ex-ministre Nathalie Kosciusko-Morizet), s’est offert l’île des Rimains, à l’extrémité de la rade de Cancale, non loin du Mont-SaintMichel. Ancienne propriété de Lionel Poilâne, disparu lors d’un accident d’hélicoptère en 2002, le lieu abrite un fort du XVIIIe construit sur les plans de Vauban. Une piscine et un héliport y ont été installés. De quoi justifier un prix d’acquisition qui s’élèverait, selon les agences locales, à 5 millions d’euros. Mark Zuckerberg, créateur de Facebook, a, de son côté, craqué pour Hawaï, où il aime passer ses vacances. En 2015, il est devenu l’heureux propriétaire de 144 hectares sur l’île paradisiaque de Kauai, la plus vieille de l’archipel, moyennant un chèque de 66 millions de dollars (environ 52 millions d’euros). Il y voisine avec Larry Ellison, PDG du groupe Oracle, qui a acheté, en 2012, la majeure partie de cette île de carte postale.
PROFESSION : VENDEUR D’ÎLES
Farhad Vladi connaît sur le bout des doigts cette clientèle de milliardaires en quête de robinsonnades de luxe : cet Allemand d’origine persane se définit lui-même comme le plus grand vendeur d’îles au monde. Le 14 mars 1971, il signait sa première opération, la vente de Cousine Island, aux Seychelles, après avoir dû renoncer à l’acheter pour lui-même, faute de moyens suffisants à l’époque. Trois ans plus tard, il concluait la vente de l’île Lavrec, en Bretagne, « aujourd’hui l’une des régions d’Europe les plus prisées des amateurs d’îles », assure-t-il. Depuis, Vladi Private Islands, sa société d’une quarantaine de salariés basée à Hambourg (avec des bureaux au Canada et en Nouvelle-Zélande), a vendu plus de 3 000 îles à travers la planète, des Caraïbes aux Fidji en passant par les Seychelles, la Polynésie, la Suède, la Norvège, la Bretagne ou encore la lagune vénitienne ! Fortune faite, Farhad Vladi a lui-même pu s’offrir une perle du Pacifique Sud pour sa jouissance personnelle, Forsyth Island (Nouvelle-Zélande), dont il aime parcourir les 706 hectares comme un roi inspectant son territoire peuplé de moutons et d’oiseaux sauvages. « Je m’y rends une fois par an, pour environ quatre semaines. C’est là que je me ressource véritablement », confie-t-il. Parmi ses clients, on retrouve tout le gotha des people : Tony Curtis, à qui il a vendu Rocky Island, au Canada ; Nicolas Cage, qui a opté pour les Bahamas, tout comme Luc Besson (Little Norman’s Cay, une île de 14 hectares), Johnny Depp, le magicien David Copperfield… Sans oublier Mariah Carey, Diana Ross ou encore l’homme d’affaires autrichien Dietrich Mateschitz, cofondateur de Red Bull, qui a acheté Laucala Island, aux Fidji, et y a ouvert un hôtel de luxe. Parmi les plus beaux faits d’armes de Vladi figure la cession de l’île d’Arros, aux Seychelles, qu’il a vendue, en 1975, à Niloufar et Shahram Pahlavi, neveu du shah d’Iran, qui régnait encore. Un paradis de sable blanc et d’eau turquoise sur lequel il n’y avait rien à l’époque, sinon une nature sauvage ultrapréservée, quelques baraquements et une vague
DES OASIS DE LIBERTÉ, LOIN DE LA FOULE, AU COEUR D’UNE NATURE PRÉSERVÉE
piste d’atterrissage à peine utilisable par les coucous locaux. Sur les conseils du décorateur Jacques Grange, la famille princière a fait appel à l’architecte français Jacques Couëlle, qui a conçu d’étranges et poétiques bungalows blancs. Le botaniste André de Vilmorin a, quant à lui, été chargé des aspects paysagers. Arros, sous l’impulsion des Pahlavi, s’est mise à briller de mille feux, attirant des invités de marque. Mais l’arrivée des mollahs a précipité la chute de la famille princière, contrainte de vendre l’île en 1998, pour 18 millions de dollars de l’époque. Les acheteurs s’appelaient André et Liliane Bettencourt, l’héritière du groupe L’Oréal. On connaît la suite…
NUL BESOIN D’ÊTRE MILLIARDAIRE
« Il n’est pas nécessaire d’être milliardaire pour posséder une île. Si vous pouvez vous offrir une voiture de luxe, alors vous pouvez vous offrir une île ! »
tient à préciser Farhad Vladi, qui vient de vendre, pour 50 000 euros, un bout de terre de 15 000 mètres carrés au Canada (sans habitation mais avec un permis de construire). « Le vrai luxe consiste à posséder un endroit unique au monde, où qu’il soit, et à maîtriser parfaitement son environnement,
ajoute-t-il. La demande est particulièrement forte aujourd’hui pour les îles qui permettent de vivre en autarcie, celles sur lesquelles on peut séjourner et disposer de tout ce qu’il faut pour survivre : une source pour s’abreuver, des eaux poissonneuses, un potager, des arbres fruitiers et, pourquoi pas, son propre élevage de poules ! »
Bref, de quoi s’offrir un confinement de rêve et oublier, en bon sauvage, les problèmes du commun des mortels en foulant le sable immaculé de son royaume. Comme si chaque matin était le tout premier jour du monde. ■
Renseignements :
Bretagne Sud Sotheby’s International Realty
(02.98.10.11.15 ; Bretagnesudsothebysrealty.com/fr)
e-mail : contact@bretagnesudsothebysrealty.com
Demeures du Littoral (02.96.23.09.86 ; Demeuresdulittoral.com)
e-mail : contact@demeuresdulittoral.com Vladi Private Islands, (+49.40.33.89.89 ; Vladi-private-islands.de)
e-mail : info@vladi.de