CINÉMA : “IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST”
Les films qui ont révolutionné le septième art (4/ 7)
Années 1960, années pop… Le western – considéré par beaucoup comme le seul art inventé par les Américains avec le jazz – a fait son temps après avoir connu son âge d’or durant la décennie précédente. Ses ténors s’appelaient Raoul Walsh, Howard Hawks, Anthony Mann, Henry Hathaway et, le maître absolu, John Ford. Les stars étaient John Wayne, Robert Mitchum, James Stewart, Richard Widmark, Randolph Scott, Kirk Douglas et même le crooner Dean Martin. Autres temps, autres moeurs, les sixties ont ringardisé ce genre très formaté. Et c’est un Italien qui a tout réinventé. Il tournait ses films en Espagne et dirigeait un obscur acteur américain à qui il ne pouvait dire un mot en anglais. Par conséquent, il n’existe pas de versions originales de ces premiers « westerns spaghetti », doublés en post-synchronisation en fonction des pays où ils devaient sortir. Sergio Leone s’est fait la main avec deux films fauchés, Pour une poignée de dollars
(inspiré d’un film de Kurosawa) et Pour quelques dollars de plus, après être passé par le péplum. Sortis en 1964 et 1965, ces deux longs-métrages sur lesquels personne n’aurait parié ont connu un retentissement mondial avant que Leone n’enfonce le clou avec son premier chef-d’oeuvre, Le Bon, la Brute et le Truand. C’est là, en 1966, que sa syntaxe cinématographique trouve son équilibre. Le western selon Leone est amoral (« La différence entre John Wayne et moi, c’est que moi, je peux tuer un type en lui tirant dans le dos »,
a déclaré Eastwood), violent, et d’une beauté nouvelle. Le look des acteurs est différent de celui des aînés américains. Pantalons moulants, un poncho ou un gilet en cuir usé, chapeaux fatigués, puis, avec Il était une fois dans l’Ouest,
les fameux « cache-poussière ». Avec ce film, sorti en 1968
et dont le scénario a été coécrit avec deux futurs grands réalisateurs (Dario Argento et Bernardo Bertolucci), Leone va encore plus loin dans la révolution du western. Le temps et le tempo sont étirés au maximum – voir la longue scène d’introduction à la gare –, les gros plans sur des gueules patibulaires sont omniprésents. Les dents sont pourries et les ongles en deuil. Charles Bronson, qui succède à Clint Eastwood, est magnétique : on dirait un Apache aux yeux bleus qui transpercent des paupières quasiment closes, même s’il joue le rôle d’un Mexicain alors qu’il est d’origine lituanienne. Le son est presque aussi important que le silence : on entend les mouches et les grillons. Les couleurs sont saturées. Enfin, il y a la connivence inimitable entre le réalisateur et le musicien génial Ennio Morricone. Il avait déjà fait des merveilles pour les trois premiers films avec Eastwood ; là, il se surpasse encore. La bande originale de Il était une fois dans l’Ouest compte autant que ses images. Le thème de l’harmonica (avec de l’écho, ce qui est impossible en extérieur), suivi d’une guitare électrique au son devenu légendaire, ainsi que l’autre aux voix angéliques font littéralement corps avec le film. Aucun cinéaste – même Hitchcock avec Bernard Herrmann, même Demy avec Michel Legrand – ne peut se targuer d’une telle osmose avec la partition de ses films. Leone et Morricone formaient un couple indissociable.
Pour ce quatrième western, Leone se paye le luxe de tourner plusieurs scènes aux États-Unis, notamment dans l’Utah. Mais il reste un magicien : la scène de la pendaison du père de Bronson, sous l’arche, a été filmée en studio à Cinecittà avec du sable rouge rapporté d’Amérique et une peinture en guise de paysage. Le réalisateur est un illusionniste de génie.
Son autre grande idée est d’avoir employé Henry Fonda, éternel gentil et héros des Raisins de la colère, dans un rôle à contre-emploi spectaculaire. L’acteur aux yeux tout aussi bleus que ceux de Bronson est, malgré son élégance naturelle, un monstre qui tue femmes et enfants sans vergogne. C’est, avant que d’autres réalisateurs italiens (Sergio Corbucci, Sergio Sollima) ne labourent le sillon « spaghetti », le plus grand méchant qu’on ait jamais vu dans un western, et tout le monde sait, depuis Alien ou Star Wars, que le méchant est aussi important que le héros. Claudia Cardinale, malgré une teinture blond cendré audacieuse, est d’une beauté insolente. Jason Robards, acteur sous-estimé, fait des merveilles. Le scénario – rien ne vaut une bonne histoire de vengeance – est impeccable : Leone a réalisé un coup de maître. Il continuera dans le genre western avec le bancal Il était une fois la révolution, qui hésite entre le drame et la comédie, puis attendra treize ans avant de réaliser son chef-d’oeuvre absolu, Il était une fois en Amérique, avec le fidèle Morricone à la partition, offrant ainsi à Robert De Niro l’un de ses plus grands rôles. Et puis le rideau sur la salle est tombé : clap de fin. Leone ne fera plus rien d’autre avant sa mort en 1989. On peut dire qu’en cinq films, il a révolutionné plus que le western : c’est le cinéma qu’il a réinventé.