Le Figaro Magazine

CINÉMA : “APOCALYPSE NOW” ET LE NOUVEAU FILM DE GUERRE

Tout l’été, gros plan sur un long-métrage qui a, d’un point de vue formel, bouleversé le cinéma. Cette semaine, le grand classique de Coppola sorti en 1979.

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Les films qui ont révolution­né le septième art (6 / 7)

USA, début des années 1970. Une bande d’apprentis réalisateu­rs cinéphiles, tout aussi passionnés de cinéma américain qu’européen et asiatique, désirent désormais imposer leurs propres scénariste­s, choisir euxmêmes leurs acteurs (souvent inconnus), leurs chefs-opérateurs et leurs monteurs. À la fin des sixties, quelques longs-métrages avaient déjà un peu changé la donne : Bonnie & Clyde, amoral et sans happy end, ou le manifeste hippie Easy Rider, qui n’a rien coûté et a rapporté beaucoup tout en suggérant une nouvelle forme de liberté, tant au niveau de sa constructi­on hasardeuse que dans la nouvelle façon de filmer (scènes pyschédéli­ques, grain énorme, grandsangu­laires utilisés comme des gros plans, filtres, etc.).

Easy Rider était un brin opportunis­te : il s’agissait de toucher le public hippie… Les futurs maîtres de ce que l’on appellera le « nouvel Hollywood » sont plus éduqués, rigoureux, inspirés. Ils se nomment Martin Scorsese, Brian De Palma, Terrence Malick, William Friedkin, Robert Altman, Monte Hellman, Michael Cimino ou Francis Ford Coppola (liste non exhaustive). Plusieurs connaîtron­t rapidement la gloire, commercial­e ou critique (Malick avec Badlands, Scorsese avec Taxi Driver, Friedkin avec L’Exorciste), tout comme leurs acteurs, Al Pacino, Gene Hackman, Robert De Niro, Martin Sheen. Certains disparaîtr­ont vite, d’autres mettront plus de temps avant de rayonner (Cimino avec Voyage au bout de l’enfer, 1978). Celui qui s’est le plus rapidement imposé est Francis Ford Coppola via le diptyque Le Parrain I et II (1972 et 1974). Il a réinventé le film de gangster avec un casting ahurissant :

Marlon Brando (qui était au fond du trou, a dû passer des bouts d’essai et se vieillir avec des boules de coton dans les joues et un maquillage impression­nant), mais aussi Robert De Niro, Al Pacino, James Caan, Robert Duvall, John Cazale et Diane Keaton. Trois Oscars pour le premier volet, six pour le deuxième. Enivré par son succès, il a décidé d’adapter librement la nouvelle de Joseph Conrad, Au coeur des ténèbres. Le Congo du XIXe siècle sera remplacé par le Vietnam de la fin des années 1960. Coppola a pensé pour le rôle principal à Harvey Keitel, acteur chéri de son ami Scorsese. Il choisira finalement Martin Sheen.

Le film commence avec This Is the End des Doors tandis que Sheen (qui a eu un arrêt cardiaque durant le film) se saoule à mort. Le ventilateu­r au plafond enchaîne sur des pales d’hélicoptèr­e, comme le début de 2001 alignait des lancements d’ossements par des singes sur un vaisseau spatial. Sheen/Willard est recruté pour aller éliminer un ancien champion des forces spéciales, le colonel Kurtz, qui est manifestem­ent devenu fou au Cambodge. Les photos de Brando en uniforme datent du chef-d’oeuvre de Huston, Reflets dans un oeil d’or. Sheen/Willard part avec quelques hommes remonter la rivière, croise un fou (Robert Duvall, fan de surf, qui « aime l’odeur du napalm le matin »), puis, après un long et éprouvant voyage, gagne son repaire où les têtes coupées côtoient des corps en putréfacti­on. Brando, dont on ne voit que le crâne, soliloque sur la folie du monde et vante le courage des vietcongs. Sheen est hagard du début à la fin et fume 100 paquets de cigarettes ultralongu­es. La folie de sa cible le gagne, il devient obsédé par celui qu’il doit tuer en lisant son dossier sur la rivière Nung et hallucine lorsqu’il arrive sur place, reçu par un Dennis Hopper sous LSD qui parle de Kurtz comme d’un génie. Le lieu est un concentré de folie. Il finira par le tuer tandis que l’ancien militaire des forces spéciales devenu psychopath­e – ou bien est-il dans la vérité ? – murmure « L’horreur… L’horreur ».

Avec Apocalypse Now, film qui devait être fini en cinq mois mais a pris plus d’un an de tournage, Coppola a explosé les budgets, tandis que Star Wars, sorti deux ans avant et destiné aux enfants (sans parler des Dents de la mer, un film de plage), avait rapporté dix fois plus. Il a révolution­né le film de guerre classique, mais la récréation du « nouvel Hollywood » était finie. Surtout après que Michael Cimino avait explosé tous les compteurs (coûts démentiels et aucune audience) avec La Porte du paradis. Francis Ford Coppola recevra en 1979 la palme d’or à Cannes pour ce film qui est considéré comme la pire folie du cinéma. Charcuté au montage, il aura droit, vingt ans plus tard, à une version de deux cents minutes baptisée Redux (intégrant notamment la séquence mythique avec Aurore Clément où figure la réplique empruntée à La 317e Section de Schoendoer­ffer sur le destin de l’oeuf : « Le blanc part, le jaune reste. ») Version qui l’installera définitive­ment comme l’un des plus grands longs-métrages jamais réalisés. Coppola n’a jamais rien tourné d’aussi bon depuis. Mais quelqu’un est-il jamais arrivé à faire aussi bien ?

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devenu fou.
Marlon Brando joue le colonel Kurtz, un militaire devenu fou.
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Martin Sheen, hagard, poursuit sa mission coûte que coûte.
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au Cambodge.
Arrivée dans le camp de Kurtz, au Cambodge.
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Robert Duvall aime le surf et « l’odeur du napalm le matin ».
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Une attaque au son de « La Chevauchée des Walkyries », de Wagner.

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