DERRIÈRE LE MIROIR
Sur une trame faussement banale, un film subtil et envoûtant de Marc Fitoussi : « Les Apparences ».
C’est presque un truisme : les apparences sont aussi trompeuses que la simplicité est biblique et l’ennui profond. Cas d’école avec… Les Apparences, justement (en salles le 23 septembre). On vous annonce un film dont le réalisateur signe aussi le scénario et les dialogues, où il est question de tromperies conjugales au sein de couples bourgeois et où figure Benjamin Biolay : vous vous méfiez. Vous supputez la énième gouttelette d’écume de la nouvelle vague. Mais quelques détails vous convainquent d’aller le voir : cela ne se passe pas dans le 6e arrondissement de Paris, mais à Vienne, en Autriche (avec un peu de chance passeront les fantômes de Zweig, Roth et Schiele) ; la musique est signée Bertrand Burgalat ; Karin Viard est de la partie.
On avait raison de tenter le diable… et de parier sur une réalité plus engageante que les apparences ne le suggéraient. Débutant comme un banal vaudeville contemporain, le film de Marc Fitoussi dérive lentement mais sûrement, subtilement, vers le drame et le polar. Au fil des scènes, les masques tombent plus sûrement qu’en ce moment dans une salle de classe dès que le prof tourne le dos. Ève préférera-t-elle quitter son mari volage ou s’accrochera-t-elle à une vie, certes humiliante, mais confortable ? Risquera-t-elle de mettre en péril l’air de femme épanouie, accomplie, satisfaite qu’elle veut se donner ? Cédera-t-elle à la tentation de tromper à son tour son mari ? Et si oui, s’en cachera-t-elle ou s’en servira-t-elle pour le rendre jaloux et le reconquérir ? De son côté, Henri oserat-il aller au bout de ses désirs et de ceux de sa jeune maîtresse ? Celle-ci est-elle d’ailleurs vraiment celle qu’elle paraît être ? Et ce Jonas qui tourne autour d’Ève : est-il simplement un jeune homme en quête de cougar ou un harceleur professionnel ? Au-delà des incessantes et réjouissantes chaussetrappes narratives et d’une réflexion sur l’image qu’on renvoie (à soi-même, à ses amis, à la société), il flotte une atmosphère délicieuse de fausse « fête étrange » qui magnifie Les Apparences. Les acteurs, tous admirables (dans la retenue, la morgue, le désespoir, la peur ou le désarroi), y sont pour beaucoup. Et là, ce n’est pas qu’une apparence.