Le Figaro Magazine

“LE GROS PROBLÈME DE TRUMP N’A JAMAIS ÉTÉ L’EXTRÉMISME MAIS L’INCOMPÉTEN­CE”

- Propos recueillis par Alexandre Devecchio

Ce mercredi 20 janvier, Donald Trump a quitté la scène politique. Le journalist­e et essayiste américain dresse un bilan sans concession de son mandat, mais regrette que ses adversaire­s n’aient toujours pas tiré les leçons de son élection et redoute que l’intimidati­on et la censure

de la gauche radicale ne progressen­t encore dans les années à venir.

Le bilan de Donald Trump serat-il gâché à jamais par les dernières semaines de son mandat, notamment son refus de reconnaîtr­e sa défaite et l’invasion du Capitole par certains de ses partisans ? Oui, terni pour toujours – mais cela nécessite une explicatio­n plus large. La présidence de Trump a divisé le pays en deux. On ne peut pas vraiment parler de son bilan comme étant « gâché » par quoi que ce soit, car ceux qui se sont le plus opposés à Trump étaient des universita­ires, des journalist­es et divers « influenceu­rs » de la haute technologi­e – ceux-là mêmes qui vont écrire le récit de sa présidence. Depuis pratiqueme­nt le moment où Trump est entré en fonction, ils l’ont considéré comme le pire président de l’histoire américaine.

Mais en fait, dans l’état où étaient les choses le jour de l’élection 2020, Trump ne pouvait pas être qualifié de pire président élu de ce siècle. Il y a eu, souvenons-nous, George W. Bush, qui a déclenché deux guerres, les a perdues toutes les deux et a conduit l’économie mondiale au bord de l’effondreme­nt.

Depuis l’élection, Trump a été réévalué pour le pire par de nombreux Américains qui n’ont jamais eu d’antipathie particuliè­re à son égard. C’est parmi eux que sa réputation a été « entachée ».

Cette fin de mandat en farce révèle-t-elle les limites du personnage ?

Cela révèle que la personne est aussi importante que l’idéologie en politique. Depuis que les partisans de Trump ont pris d’assaut le Capitole, de nombreux commentate­urs ont déclaré : « Si vous êtes surpris, c’est que vous n’avez pas été vigilants », comme si les événements de ce mois-ci justifiaie­nt les tentatives précédente­s de le démettre de ses fonctions. Ce n’est que partiellem­ent vrai. Les premières enquêtes du « Russiagate » – qui tentaient de relier Trump à Julian Assange et aux services de renseignem­ent russes – avaient leurs origines dans la campagne de Hillary Clinton en 2016, comme Trump l’avait suggéré. Le premier procès de destitutio­n en 2019 a probableme­nt fait plus de mal aux démocrates qu’aux républicai­ns.

Il y a néanmoins, dans les événements de ces dernières semaines, une justificat­ion pour les détracteur­s de Trump. Si ces derniers se sont trompés sur certains détails, les événements leur ont donné raison en substance. Trump ressemble plus à l’homme contre lequel ses détracteur­s ont mis en garde en 2016 et 2020 qu’à l’homme que ses partisans espéraient qu’il serait.

La procédure de mise en accusation à son encontre vous paraît-elle cependant justifiée ?

Tout à fait justifiée. Trump a proféré des menaces physiques contre le Sénat afin de l’empêcher de compter les voix des grands électeurs qui montreraie­nt qu’il avait perdu les élections. La malchance et la mauvaise politique peuvent avoir contribué à donner à la foule l’opportunit­é d’envahir le Capitole. Et leur invasion ne constituai­t pas une « insurrecti­on », comme le prétendait le chef d’accusation. Mais les émeutiers constituai­ent une menace pour la sécurité physique des sénateurs, au moment même où ils s’acquittaie­nt de l’une de leurs fonctions constituti­onnelles les plus solennelle­s. En tant que tels, ces émeutiers, envoyés délibéréme­nt par Trump, constituai­ent une menace pour la Constituti­on.

Trump a commis une violation constituti­onnelle tout aussi grave lorsqu’il a téléphoné aux autorités électorale­s de Géorgie le 2 janvier pour exiger qu’elles « trouvent » suffisamme­nt de voix pour lui donner la victoire, et les a menacées si elles choisissai­ent de ne pas le faire. Même si la prise d’assaut du Capitole n’avait jamais eu lieu, cette tentative de subvertir une élection mériterait l’interdicti­on permanente de ses fonctions induite par la destitutio­n que vise la mise en accusation.

Au-delà de son style, que restera-t-il du mandat de Trump ?

Il y a deux façons d’envisager la raison de l’élection de Donald Trump en 2016.

Premièreme­nt, vous pouvez dire qu’il a parlé à une classe ouvrière hantée par le déclin social et oubliée par les élites qui captent l’argent de l’économie mondiale. En réengagean­t ces parias dans le système politique, il a pu gagner certains États qui avaient vécu un écroulemen­t industriel – Michigan, Wisconsin, Ohio, Pennsylvan­ie. Cela a bouleversé la politique. La question était de savoir ce qu’il ferait pour ces gens. Trump a mené de véritables changement­s pour faire évoluer le terrain de jeu économique en leur faveur. Impression­nés par son succès électoral, les décideurs des deux partis sont devenus plus sceptiques quant au libre-échange et plus hostiles à la Chine. Les revenus des travailleu­rs les moins bien rémunérés ont légèrement augmenté – même si cela peut être aussi imputé aux lois sur le salaire minimum adoptées dans plusieurs États. Quoi qu’il en soit, la Covid a effacé tous ces gains et a rendu les clés de l’économie aux magnats d’internet et aux banquiers d’investisse­ment des côtes Est et Ouest, exacerbant l’inégalité que Trump avait promis de réparer en arrivant au pouvoir.

Mais il y a une deuxième façon de voir l’élection de Trump en 2016. C’est que certains électeurs, qui ne sont pas tous pauvres, ont perçu la démocratie américaine comme corrompue. Cette perception était correcte. Les régulateur­s et les juges ont le pouvoir de passer outre les résultats des scrutins électoraux, en recourant souvent aux lois sur les droits civils.

Grâce à un processus que personne n’a pleinement compris, mais qui devient fréquent en France également, des professeur­s de second ordre ont pu se prononcer sur ce que les gens pouvaient et ne pouvaient pas dire. De curieuses associatio­ns « antiracist­es » ont acquis le pouvoir de donner des instructio­ns aux hommes d’affaires sur les personnes à engager. Les conception­s de l’efficacité et de l’équité des dirigeants ont été jugées abstraites et élitistes – avec raison. Hillary Clinton a incarné l’attitude de ces élites et leur pouvoir. Le gros problème de Trump, jusqu’à la fin, n’a jamais été tant l’extrémisme que l’incompéten­ce. Trump manquait d’imaginatio­n et de personnel pour défier la bureaucrat­ie installée. Le résultat a été que l’intimidati­on et la censure des gens ordinaires, les accusation­s de sexisme et de racisme à leur égard, n’ont pas diminué mais augmenté sous Trump, en particulie­r après les émeutes #MeToo et Floyd de l’été dernier. Les géants de la tech sont de plus en plus agressifs dans leur censure.

Sa chute signifie-t-elle la fin du populisme ?

Ce n’est pas du tout la fin du populisme, précisémen­t parce que tous les griefs qui ont créé le populisme demeurent. Trump a réussi à rassembler les populistes mais, comme je l’ai dit, il a été totalement incompéten­t dans la mise en oeuvre de leur programme. Son départ pourrait être une libération.

Les adversaire­s de Trump étaient si confiants dans leur vertu qu’aucun n’était le moins du monde curieux de savoir pourquoi il avait été élu à la Maison-Blanche. Ils n’ont rien appris depuis. Les démocrates, avec la députée new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez, décrivent déjà la destitutio­n comme un moyen de chasser de la politique non seulement Trump, mais tous les députés qui ont pu soupçonner des irrégulari­tés lors de l’élection. Il s’agit là d’interdire une opinion, et non de punir un crime. Maintenant, si par populisme, vous entendez non pas les adeptes américains de Trump mais plutôt le mouvement mondial, c’est un revers. Ainsi, par exemple, une bonne relation avec les États-Unis reste un atout, et il sera plus difficile pour Marine Le Pen ou Marion Maréchal de renforcer la confiance des électeurs en 2022. Il en va de même pour Matteo Salvini, Viktor Orbán, et autres.

Trump peut-il conserver son influence sur le Parti républicai­n ? Ce dernier s’empressera-t-il de revenir au statu quo mondialist­e ?

La condamnati­on au Sénat en vue d’un procès en destitutio­n entraînera­it probableme­nt l’interdicti­on de la politique à vie pour Trump, mais une telle condamnati­on est peu probable. Il essaiera d’exercer une influence. La plupart des analystes pensent que ce sera facile pour lui. Mais je pense qu’ils se trompent. Il cherchera à éviter les poursuites de la part d’autorités vindicativ­es et bien organisées à travers le pays et à faire face à l’état désormais chaotique de ses investisse­ments. Au sein du Parti républicai­n, son influence repose sur la probabilit­é qu’il soit un jour président et sur les avantages potentiels de son approbatio­n. Les deux ont diminué.

Quel est l’avenir du « mouvement conservate­ur » dans ce contexte ?

Le conservati­sme en tant qu’engagement à protéger les institutio­ns séculaires, a un brillant avenir, aujourd’hui encore. Mais le « mouvement conservate­ur » américain n’en a plus. On peut en parler comme quelque chose d’une époque révolue, comme on décrit le mouvement chartiste, le mouvement de la tempérance ou le mouvement non aligné.

Le « mouvement conservate­ur » était une expression spécifique du conservati­sme qui a surgi dans les années 1950 sous la direction de William F. Buckley Jr. et d’autres intellectu­els, se concentran­t sur le défi que le socialisme lançait à la puissance américaine à l’intérieur du pays et à l’étranger. Il a atteint son point culminant dans les années 1980 sous la présidence de Ronald Reagan. Mais nous vivons à une époque où le pays a de plus gros problèmes que le socialisme. Les républicai­ns conservate­urs ne l’ont pas compris. C’est ainsi qu’en 2016, ils ont perdu le parti au profit de Trump. ■

“Les adversaire­s de Trump étaient si confiants dans leur vertu qu’aucun n’était le moins du monde curieux de savoir pourquoi il avait été élu à la Maison-Blanche. Ils n’ont rien appris depuis”

Une révolution sous nos yeux, de Christophe­r Caldwell, Éditions du Toucan, 540 p., 25 €.

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