UN VACCIN CONTRE LE FATALISME
Et si ce que nous vivons depuis bientôt un an n’était pas aussi inédit que cela ? Et si nous avions enfin la modestie d’admettre que la peste noire au Moyen Âge, le typhus au XIXe ou la grippe espagnole il y a un siècle avaient autrement éprouvé nos ancêtres que la Covid-19, celle-ci fût-elle en effet meurtrière ? Et si, surtout, nous relisions vraiment Sophocle, Molière, Camus et Ionesco ? Dans Rhinocéros, le dramaturge d’origine roumaine montrait comment un peuple passe vite de la sidération à la résignation, qui est l’antichambre de la défaite…
Dans un essai courageux, aussi profond, argumenté et magnifiquement écrit que son auteur peut apparaître parfois, sur le petit écran, léger, péremptoire et paradoxal, Christophe Barbier nous ramène à l’essentiel : ce que cette pandémie et la façon dont nous la subissons et dont nos autorités la gèrent disent de nous. Du lien entre les citoyens et leurs élus. De notre rapport à la médecine et aux médecins. De notre capacité à préférer la
« servitude volontaire » à la résistance aventureuse. L’ancien patron de L’Express va se faire de nouveaux ennemis, mais il a raison de pointer notre étrange consentement à « mettre un voile sur nos libertés, comme l’on cache les statues des dieux » (Montesquieu). Il a raison de se demander comment ce grand pays de résistants que nous prétendons être se soumet aussi volontiers aux tyrannies : celle, « pâle », du pouvoir ; celle, noire, de la statistique ; celle, blanche, des services sanitaires ; celle, bleue, de la peur. Peur des autres, peur de soi, peur de la mort. Comme le résume avec justesse l’essayiste, notre époque estime que « puisque Dieu est mort, la mort doit mourir ». Au point que même se sacrifier pour des idées, comme tant de Français l’ont fait dans le passé, paraîtrait incongru, inacceptable… Christophe Barbier devrait faire tous les jours ce qu’il fait dans son livre : ne pas donner de leçons mais en tirer. Dans ce registre, il est un maître.