Le Figaro Magazine

CRIMES GLACÉS

★★★ Carole & Clark, de Vincent Duluc, Stock, 236 p., 18,50 €.

- Philippe Blanchet

★★★

Lëd, de Caryl Férey, Les Arènes, « Equinox », 528 p., 22,90 €.

Bienvenue à Norilsk, extrême nord de la Sibérie, ancien goulag plongé dans une nuit totale deux mois par an, et où les températur­es peuvent atteindre les – 60 °C en hiver. La ville-usine, créée par Staline, vit aujourd’hui autour de la plus grande mine de nickel du monde, un congloméra­t tenu par des oligarques corrompus, et bat tous les records en termes de pollution. Norilsk est une prison glacée et insalubre, où l’espérance de vie est largement inférieure à toutes les moyennes, et où tout rêve d’évasion se noie dans les shots de vodka. Une nuit, un violent blizzard emporte le toit d’un immeuble et les habitants découvrent le cadavre d’un éleveur de rennes dans les décombres. Très vite d’autopsie conclue au meurtre. Pour Boris Ivanov, chargé de l’enquête, c’est le début d’une véritable descente en enfer… Il y a trois ans, Caryl Férey désertait l’Amérique du Sud, théâtre de ses derniers polars (Mapuche, Condor, Paz), pour le froid arctique de Norilsk, le temps d’un sidérant reportage. Il revient aujourd’hui dans ce décor cauchemard­esque et inhumain, peuplé de personnage­s pour la plupart meurtris, avec ce thriller aussi dur qu’émouvant, noir comme un hiver de Sibérie.

Lui porte un dentier à la trentaine, se douche cinq fois par jour, change de draps chaque nuit et se colle les oreilles avec de la pâte adhésive. Elle, elle jure comme une charretièr­e, a un humour d’homme, et ne met jamais de soutien-gorge. Les deux sont des stars : Carole Lombard règne sur la comédie, Clark Gable est le séducteur absolu, surtout depuis Autant en emporte le vent. Les deux ont accumulé les conquêtes et les mariages, ils connaîtron­t une passion folle. Ensemble, ils rient et s’engueulent, se comprennen­t. Gable n’a jamais rencontré une telle femme, Lombard l’aime plus qu’elle n’a jamais aimé. Le 16 janvier 1942, Carole meurt dans un accident d’avion. Elle devait prendre le train mais a préféré rentrer plus rapidement, persuadée que son homme, très volage, la trompait avec Lana Turner. Clark ne s’en remettra pas. Il se noie dans l’alcool, s’engage dans l’armée, part en Europe dans les bombardier­s où il tient la mitraillet­te, revient capitaine médaillé, reboit. Il vieillit, sa gloire se ternit, ses films se raréfient, son contrat avec la MGM vacille. Son dernier film porte un titre qui lui va à merveille : Les Désaxés. Il est ridé et figé « comme une statue de cire ». Il meurt peu de temps après la fin du tournage, le 16 novembre 1960, sans avoir oublié au préalable de se marier une cinquième fois, et finit inhumé dans un caveau à côté de la femme de sa vie, Carole… Vincent Duluc, sorcier des pages foot de L’Équipe, a déjà montré son talent d’écrivain. Il évite ici tous les écueils de la « biographie romancée » et peint une folle histoire d’amour tout en ressuscita­nt l’âge d’or de Hollywood. C’est superbe.

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