L’ARMÉE ROUGE À L’OEUVRE : POLITIQUE D’ABORD
★★★ Les Maréchaux de Staline, de Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Perrin, 540 p., 25 €.
Ces 17 portraits de maréchaux de l’ère stalinienne ne sont pas seulement des portraits militaires, mais des profils politiques aussi. Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, qui font autorité en matière de connaissance de l’Armée rouge, montrent comment cette troupe fut avant tout le bras militaire du Parti communiste. Qu’ils aient porté ou non l’uniforme tsariste, qu’ils aient combattu pendant la guerre civile du côté bolchevique – la plupart – ou du côté
« blanc » comme Chapochnikov ou Govorov, ces hauts gradés devaient intérioriser sous peine de mort les codes du marxismeléninisme. Une adhésion idéologique contrainte qui ne garantissait d’ailleurs pas leur survie comme le prouvera l’exécution de quatre d’entre eux : Toukhatchevski, Blioukher, Egorov puis Koulik. Ce degré extrême de politisation suffit à distinguer l’Armée rouge de n’importe laquelle de ses homologues. En toutes circonstances, c’est le militaire qui doit s’incliner.
Vivant et documenté, le travail de Lopez et Otkhmezuri nous permet de comprendre pourquoi Staline, obsédé par la Révolution française comme tous les bolcheviks – donc prêt à contrer toute « réaction bonapartiste » –, dressera constamment ses maréchaux les uns contre les autres de façon à mieux les contrôler : Joukov contre Koniev pour la prise de Berlin, par exemple. Apparaît ainsi, mais en creux, un dix-huitième portrait. Celui du maître du Kremlin comme chef de guerre, moins incohérent et moins incompétent que le veut la vulgate. Malgré de coûteuses erreurs, la cohérence de Staline tenait dans la politique et la géopolitique, facteurs déterminants de sa stratégie militaire. Voici à l’oeuvre pendant la Seconde Guerre mondiale un dirigeant totalitaire inhumain certes, mais aussi un « patron » qui, par la peur, la division, la déstabilisation et la ruse, s’impose aux personnalités souvent puissantes de ses propres maréchaux.