Le Figaro Magazine

CULTURELLE­MENT INCORRECT LA CHRONIQUE

Le projet d’acquisitio­n de Carrefour par un groupe canadien illustre la faiblesse de notre modèle économique.

- de François d’Orcival

Tout le monde est satisfait. Le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, ne voulait pas d’une acquisitio­n de Carrefour par le groupe québécois

– et canadien – Couche-Tard qui aurait donné une preuve de plus que les Français se vendaient aux étrangers. On entendait déjà Marine Le Pen. Mais pas seulement elle, nos syndicats aussi, Force ouvrière, la CFDT et autres, prévenaien­t des « conséquenc­es désastreus­es » d’un tel accord ; au nom des agriculteu­rs, la FNSEA mettait elle-même en garde contre la fabricatio­n d’un « hub d’arrivée des produits canadiens » sur notre sol ! Eh bien, c’est entendu : cela ne se fera pas.

En même temps, le ministre canadien de l’Industrie, François-Philippe Champagne, et Pierre Fitzgibbon, son collègue québécois de l’Économie, ont retenu de Le Maire que les deux entreprise­s pourraient continuer « à explorer un partenaria­t ». En somme, les Français et les Québécois ne jettent l’éponge que pour rebondir ; mais après l’élection présidenti­elle française. Ainsi, personne ne prétendra que Bercy sacrifie nos intérêts. De toute façon, Couche-Tard aurait préféré avoir plus de temps – « que les discussion­s cheminent », comme dit

La Presse, de Montréal. Les Canadiens avaient déjà eu l’intention de racheter le pétrolier Caltex, avant de devoir attendre.

Entre les deux groupes, que de contrastes ! Le plus jeune, le plus diplômé des deux patrons, est Alexandre Bompard, 48 ans, ENA, inspecteur des finances, devenu le président de Carrefour en juillet 2017. Il fait face au Québécois Alain Bouchard, qui a 23 ans de plus que lui et a commencé dans le commerce en créant son enseigne – Couche-Tard, figuré par un hibou rouge – à Laval, au Québec, en 1980. À l’époque, Carrefour existait depuis 1959 et ne cessait d’innover. De son côté, au bout de vingt ans d’existence, Couche-Tard prenait pied aux États-Unis, et dix ans après en Europe du Nord. Alors que Carrefour, tout en se développan­t, finissait par traverser une crise. Aujourd’hui, le Français emploie

321 000 collaborat­eurs dans 12 225 magasins pour 30 pays, et réalise 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le Québécois a ouvert

14 214 magasins, où il fait travailler 109 000 salariés au total, et réalise 54 milliards de dollars de ventes. La comparaiso­n de ces chiffres pourrait faire croire que c’est le Français qui va racheter le Québécois. Mais non, c’est bien le Québécois qui avance 25 milliards de dollars ! Certes, cela ne se fera pas cette année. Mais cela signifie bel et bien que, après Alcatel, Pechiney, Lafarge ou Technip, le destin de Carrefour est en train de basculer.

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