À L’AFFICHE
Pour patienter avant le retour des spectacles, un magnifique et sombre roman de Fabienne Pascaud.
Le théâtre vous manque ? Vous rêvez des raclements de gorge, grincements de fauteuil et autres stridentes sonneries au public qui annoncent le début du spectacle ? Vous êtes orphelin de la chronique de Philippe Tesson ? Nous aussi. D’où la jubilation à lire, en ce moment, le premier roman de Fabienne Pascaud dont les auditeurs du « Masque et la Plume » sur France Inter savent la passion érudite que la directrice de Télérama éprouve pour cet art si français. Ses goûts sont discutables, mais sa ferveur indispensable. C’est justement cette ferveur, cette fièvre, cette frénésie que l’on retrouve dans Rideau noir (Stock). Celles qui animent ses personnages, pour la plupart acteurs ou auteurs. Celles d’une plume trempée dans une encre mystérieuse faite de fantômes intermittents, de tables qui tournent, de familles déchirées, d’enfants abandonnés, de sorciers inquiétants. De meurtres et de résurrections, aussi. Virtuelles ou réelles.
Du Berry à Paris, des années d’après-guerre à 2021 se déploie avec la majesté d’une robe shakespearienne une histoire fragmentée en plusieurs périodes dont les personnages finissent par se croiser comme dans une grande famille. Comme dans un film de Robert Altman. Une construction virtuose, vivante, haletante, en harmonie avec ce qui fait office à la fois de fond de scène et de décor : le théâtre.
À son sujet, Fabienne Pascaud distille avec une diabolique habileté – en évitant le piège de la cuistrerie – mille références, clins d’oeil, avis, définitions qui sont comme des grains de sel sur nos langues asséchées. Les promenades nocturnes de ses héroïnes sur les grands boulevards parisiens, d’une salle l’autre ; ses descriptions de répétitions ou de spectacles à la Comédie-Française en 1947 ou au XXIe siècle ; ses allers-retours entre classique et contemporain ; ses plongées dans les têtes plus ou moins bien faites des comédiens ; tout cela nous renvoie à notre triste statut de non-spectateur.
Avec la crainte qu’il devienne ce qu’est le théâtre :
« de toute éternité ».
Comme ses personnages.