Le Figaro Magazine

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Jean Tulard, de l’Institut

- Par Jean Tulard, de l’Institut *

Ce 13 octobre 1809, Joseph Fouché regarde de la fenêtre de son bureau du quai Voltaire couler la Seine. Le tout-puissant ministre de la police est d’humeur morose. Certes, Napoléon vient de vaincre à Wagram, mais l’on parle d’un mariage avec une archiduche­sse autrichien­ne, une nièce de Marie-Antoinette et de Louis XVI. Or, Fouché a voté la mort du roi. Il pressent sa disgrâce.

Déjà Talleyrand a essuyé au début de l’année une violente algarade de la part de l’Empereur et, écarté de toute fonction, s’est retiré à Valençay. Est-ce maintenant le tour de Fouché ? Celui-ci soupire. Il a vaincu Robespierr­e, mais Napoléon ? Un huissier frappe à la porte : un pli urgent venu par courrier, puis télégraphe, de Vienne, de la part de Schulmeist­er, le fameux espion chargé de la sécurité de Napoléon en Autriche. Fouché lit : « Je vous préviens immédiatem­ent. L’Empereur a été assassiné ce 12 octobre par un inconnu lors de la parade militaire devant le château. J’enquête. Prenez toutes dispositio­ns à Paris. » Fouché pâlit. Sa main tremble en tenant la lettre. Mais son émotion est vite surmontée. Son sang-froid est proverbial.

Napoléon est mort, mais il n’a pas d’héritier. La faiblesse du régime saute aux yeux. Joseph, le frère aîné est en Espagne, Jérôme en Allemagne, Louis est malade et Lucien exilé. Murat se plaît à Naples. Aucun maréchal n’a l’envergure nécessaire pour succéder à l’Empereur.

Le vide… à moins que. L’occasion n’est-elle pas venue de proclamer la République, le vieux rêve des Jacobins en 1800 et encore en 1804, avant que Napoléon ne se couronne empereur ? Fouché se voit à la tête de cette République. Mais il lui faut l’appui d’un général comme dans tout bon coup d’État. Bernadotte vient d’arriver à Paris, privé de son commandeme­nt pour avoir adressé à ses soldats un ordre du jour sans l’avis de Napoléon. Or, Fouché l’a tiré jadis d’un complot contre Bonaparte et Bernadotte lui en a été reconnaiss­ant. Fouché griffonne un mot à porter à son adresse. Populaire dans l’armée, républicai­n dans l’âme, Bernadotte devrait lui assurer la garnison de Paris.

Il faut se rendre aux Tuileries, c’est-àdire traverser la Seine pour prévenir l’impératric­e et Cambacérès qui, en l’absence de l’Empereur, préside le Conseil d’État et le Conseil des ministres.

Et d’abord Joséphine, qu’il utilise comme agent secret en épongeant ses dettes les plus criantes. À la nouvelle de la mort de Napoléon, elle éclate en fureur et dénonce sa trahison avec sa « putain de Polonaise ». Puis, se rendant compte de l’indécence de son comporteme­nt, elle feint l’évanouisse­ment.

Au tour de Cambacérès, qui vient de présider le Conseil d’État et songe à son dîner, commençant à évoquer une bisque d’écrevisses et un potage à la Reine. Fouché le coupe et lui annonce la nouvelle. Cambacérès s’effondre. Toutefois, régicide comme Fouché, l’idée de République ne lui déplaît pas, prêt à tout pour sauver le luxe de sa table.

Deux ministres rencontrés ne manifesten­t à l’annonce de la mort de l’Empereur qu’un regret poli. Ils ont tellement vu de changement­s de régime ! Partout la surprise et un sentiment d’impuissanc­e. Reste le Sénat, gardien de la Constituti­on, mais Fouché peut compter sur l’influence de Sieyès, autre régicide, et qui adore rédiger de nouvelles constituti­ons…

Fouché regagne son ministère où l’attend un nouveau pli. Toujours Schulmeist­er : « Très bonne nouvelle. En réalité l’attentat a manqué. Le jeune étudiant allemand du nom de Staps avait bien un poignard, mais Rapp l’a ceinturé à temps. Dans la confusion on a cru que l’Empereur avait été tué ; en réalité il a regagné ses appartemen­ts sain et sauf. »

Fouché froisse le papier, fait partir ses messages à l’intention de Bernadotte, Joséphine et Cambacérès.

Rien ne filtra de la tentative de Fouché, chacun préférant garder le silence sur son attitude. Seul, un certain général Malet en eut peut-être écho, et il s’en souviendra un peu plus tard. Les Mémoires du temps seront muets, en sorte que les historiens n’ont jamais su que la République avait failli être proclamée en France le 13 octobre 1809. Comme il le pressentai­t, Fouché fut disgracié le 3 juin 1810. Quant à Staps, il était fusillé le 16 octobre au matin. Son dernier cri fut : « Vive la liberté ! Mort au tyran ! ».

* Dernier livre paru : L’Europe au temps

de Napoléon (direction), Éditions du Cerf.

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