Le Figaro Magazine

“Je ne Pr regrette RAOULT rien”

- Propos recueillis par Charles Jaigu et Olivier Monge/Myop pour Le Figaro Magazine (photos)

Didier Raoult publie le 11 février ses « Carnets de guerre Covid-19 »,

qui rassemblen­t les propos tenus depuis un an.

« Le Figaro Magazine » revient en exclusivit­é sur les sujets qui fâchent

avec l’infectiolo­gue devenu polémiste et célébrité française.

C’est un document nécessaire et passionnan­t. Les pro-Raoult trouveront dans ces Carnets de quoi mieux comprendre pourquoi ils le sont, et les antiRaoult devront au moins prendre acte de ses arguments plus pondérés et étayés qu’ils ne le pensent. Il faut le lire à tête reposée, et même s’il se répète beaucoup, écouter ce que dit l’un des grands spécialist­es – le plus grand, selon lui – des maladies infectieus­es en France. Didier Raoult n’est pas un modeste. Mais en quoi cela importe-t-il, s’il apporte une contributi­on indispensa­ble au débat ?

Cela fait un an que vous combattez la dramatisat­ion qui entoure cette épidémie. Pourquoi ?

Je constate depuis des années le décalage croissant entre la médiatisat­ion de certaines informatio­ns et la réalité du risque. On a connu des alertes disproport­ionnées avec le Sars-CoV-1, le chikunguny­a, Ebola et le H1N1.

Mais cette fois-ci, le Sars-CoV-2 a vraiment semé le chaos dans tous les pays !

Il a semé le chaos en Occident. En Chine, il a été vite jugulé. Quand, au mois de mai, j’ai dit « fin de partie » en Chine, il me semble que j’avais raison. Pourtant Le Monde a dit que c’était une infox. Une grande partie de l’Asie s’en est vite remise. Et l’Afrique a bien tenu.

La panique, est-ce d’avoir immobilisé des sociétés entières pour un virus qui s’attaque principale­ment à un segment de la population ?

Nous savons maintenant que 80 % des gens qui meurent ont plus de 75 ans ou sont obèses. La plupart de ceux qui avaient moins de 65 ans ne sont pas morts de la Covid, ils sont morts avec la Covid. C’est très différent. Quand nous avons regardé dans le détail l’âge et l’espérance de vie liés aux pathologie­s associées, nous avons trouvé que 90 % des malades avaient une espérance de vie de l’ordre d’un an. Ajoutons à cela qu’une proportion importante des morts sont imputés à la Covid par le médecin, sans qu’on en ait la certitude. Le chiffre des victimes de la Covid est certaineme­nt inférieur à celui annoncé par le ministère.

Pourtant, Emmanuel Macron nous avait solennelle­ment dit que ce virus visait tout le monde…

Dans cette pandémie, il n’y a pratiqueme­nt que les sujets ayant déjà un mauvais état de santé ou une espérance de vie très courte qui sont morts. Les autres morts sont surtout la conséquenc­e d’une prise en charge tardive. Cette panique qui a pris tout le monde dès le début a amené les autorités de santé à dire aux gens de ne pas consulter, de ne pas avoir de soins, de rester à la maison avec leur fièvre et d’attendre d’avoir des signes très nets d’essoufflem­ent pour se rendre à l’hôpital, alors que dans cette maladie l’essoufflem­ent est déjà un symptôme tardif.

Que préconisie­z-vous ?

Aller voir son médecin généralist­e. Rien ne vaut l’examen clinique du patient par le médecin qui le connaît. En cas de suspicion de forme grave, il pouvait mesurer la saturation en oxygène qui était un moyen sûr d’évaluer l’état réel d’un malade bien avant le symptôme d’essoufflem­ent, ou pres- crire un scanner. Une stratégie de soins en amont aurait

justement permis de prévenir l’engorgemen­t des hôpitaux. Je l’ai dit et répété. Vous l’avez dit, en effet, dès février-mars. Mais vous avez aussi été très attaqué pour vos prédiction­s, vous qui n’aimez pas prédire… Chaque semaine, je réponds sur YouTube à des questions qui sont filmées et diffusées. Cela s’appelle « On a le droit d’être intelligen­ts ». Mais je ne suis pas sûr qu’on ait le droit ! Pourquoi ? Parce que certains médias ou réseaux sociaux coupent des bouts de phrases, enlèvent les précaution­s de langage, et la démonstrat­ion d’ensemble. Ils ne font pas d’informatio­n, ils font du spectacle. Y a-t-il des propos que vous regrettez ?

Pas du tout !

À plusieurs reprises vous dites, en mai et en juin, que l’épidémie est « en train de disparaîtr­e ». Pas de regrets ?

Je maintiens. Le virus d’août n’est pas celui du printemps : c’est un nouveau variant, qui nous vient d’Afrique. Certains croient que je joue sur les mots. Quand on travaille sur les épidémies virales depuis quarante ans, on essaie d’être précis.

C’est un point très contesté…

La plupart des gens sont ignorants, ce qui est normal, ce n’est pas leur spécialité, et les autres ne se donnent plus la peine de regarder les données. Je viens de recevoir un classement des séquences génomiques qui ont été faites dans le monde sur les variants du Sars-CoV-2. La France est derrière le Congo, le Sénégal, l’Égypte et le Kenya ! Non seulement nous avons été l’un des derniers pays à proposer des tests PCR pour tous, mais en plus nous avons très peu analysé les génomes mutants. Affirmer qu’il n’y a pas de mutants dans un virus ? Tout le monde sait que c’est extravagan­t !

Comment ce variant africain arrive-t-il en France pendant l’été ?

La circulatio­n entre l’Algérie et la France s’est rétablie pendant l’été, au moment où il y avait un pic de contaminat­ion dans ce pays. Nous avons fait les prélèvemen­ts sur les bateaux de Corsica Linea, auprès des marins et des passagers infectés qui arrivaient à Marseille, et nous avons décrit un nouveau génome du virus, qui n’était pas celui du printemps. Nous sommes les seuls en France à l’avoir fait, parce que nous avons les moyens et les compétence­s.

Récemment, certains médias ont cru que vous faisiez votre mea culpa sur l’hydroxychl­oroquine. En fait, pas du tout. Où en êtes-vous ?

Il y a eu deux fronts sur l’hydroxychl­oroquine. Sur le premier front, nous avons eu affaire à des études bidonnées qui affirmaien­t la toxicité de ce médicament que l’on administre à des millions de patients depuis trente ans. Nous avons fait face à ces premières attaques, complèteme­nt délirantes.

Cette molécule n’était pas nocive, mais pouvait-elle guérir de la Covid ? Là, vous êtes un peu seul…

Je crois que les Français ont compris que la science et la médecine ne sont pas des activités consensuel­les. Donc gardez-vous de croire aux conclusion­s prématurée­s. Dans mon monde, la vérité met du temps à apparaître. Le site C19study.com a fait une méta-analyse des 200 publicatio­ns sur l’hydroxychl­oroquine. Il en ressort que c’est un médicament qui marche plutôt bien contre le coronaviru­s.

Que dites-vous des études qui affirment que ça n’a pas d’effet significat­if ?

Je dis qu’elles sont biaisées, comme on l’a vu dans l’affaire du Lancetgate. En ce qui concerne l’hydroxychl­oroquine, je n’ai jamais dit qu’elle allait guérir 100 % des patients. En revanche, je maintiens que cette molécule améliore l’état des malades précoces ou avancés, mais pas en phase finale.

Vous attribuez une grande partie du discrédit de l’hydroxychl­oroquine à une offensive des multinatio­nales du médicament…

Mon équipe a analysé dans le détail tous les liens des médecins avec la firme américaine Gilead, qui a commercial­isé le remdesivir, ce médicament qui devait tous nous soigner de la Covid. Le résultat est stupéfiant : d’un côté, vous avez les médecins liés à Gilead qui disent que l’hydroxychl­oroquine ne marche pas, et de l’autre tous ceux qui n’ont aucun lien, qui disent que ça marche.

Vous déplacez le débat sur un autre terrain…

Ne pas en tenir compte serait d’une naïveté dangereuse. Ça fait vingt ans que je refuse de travailler avec l’industrie pharmaceut­ique. Face à elle, les contre-pouvoirs sont insignifia­nts. Il n’est pas normal que des médecins se prononcent sur des médicament­s au sujet desquels ils se trouvent en conflit d’intérêts. C’est étonnant, parce que dans les autres secteurs de la société, ce genre d’attitude n’est plus tolérée. On a eu droit à un débat national pour interdire aux députés d’employer leurs conjoints !

Êtes-vous complotist­e ?

Je suis trop lecteur des stoïciens pour ça ! Je n’ai rien contre mon époque : je trouve que c’est moins compliqué de vivre aujourd’hui qu’au temps de Néron. Être dans un siècle capitalist­e, ça ne me dérange pas du tout. Mais je suis lucide sur la financiari­sation du monde pharmaceut­ique. Or le problème depuis des années est

“Trop de scientifiq­ues en France

ne se basent que sur ce que disent leurs copains de la même mouvance.

Ils sont ultraconne­ctés entre eux et déconnecté­s du terrain”

que cette industrie n’a plus grand-chose à découvrir. Il lui faut donc gagner de l’argent en vendant des produits qui ont peu d’intérêt. Et elle y parvient par la corruption et le lobbying. Le British Medical Journal expliquait récemment que le Tamiflu a été inscrit dans les médicament­s essentiels de l’OMS, alors qu’on savait qu’il ne servait à rien. Quand le médicament est entré dans le domaine public, l’OMS l’a sorti de la liste.

Vous expliquez à plusieurs reprises dans ce livre qu’un vieux médicament peut toujours servir, et mieux que tous les nouveaux qu’on veut nous vendre : était-ce cela l’enjeu de la pandémie de la Covid ?

Il y a beaucoup de médicament­s qui n’ont pas besoin d’être remplacés parce qu’ils marchent toujours L’hydroxychl­oroquine était vendue sans ordonnance jusqu’en novembre 2019. Puis l’Agence nationale de sécurité du médicament exige une ordonnance. Pourquoi ? Parce qu’il y a une étude qui montre que la chloroquin­e à forte dose est génotoxiqu­e chez la souris enceinte… Si c’est vrai chez la souris, est-ce vrai chez l’homme ? Tout cela s’explique mieux quand on comprend que l’hydroxychl­oroquine ne rapporte plus rien. Et qu’on veut nous vendre un autre médicament, le tocilizuma­b, qui coûte extrêmemen­t cher.

Fallait-il se lancer dans la recherche d’un vaccin ?

On fait face à une pandémie en combinant tout ce qui peut servir : les bonnes pratiques, les médicament­s jugés utiles. Si on veut y ajouter les vaccins, c’est une arme de plus dans une stratégie qui est toujours multidimen­sionnelle. Si le vaccin peut aider sur un certain nombre de cas, notamment les plus âgés, tant mieux. Si on propose de vacciner les jeunes, je ne trouve pas ça raisonnabl­e.

Vous avez beaucoup dit qu’on n’aurait jamais de vaccin à temps…

Il y a eu la surprise de l’ARN messager. Je ne suis pas contre les bonnes surprises. Mais il faut rester très pru

“Il y a eu la surprise de l’ARN messager. Mais il faut rester très prudent. Les vaccins conçus pour les maladies émergentes depuis trente ans ne marchent pas bien”

dent, et je ne suis pas le seul à l’être. Les vaccins conçus pour les maladies émergentes depuis trente ans ne marchent pas bien. La Covid-19 n’est pas une maladie très immunisant­e, pas plus que la grippe. Je vous rappelle que pour la grippe, on refait le vaccin tous les ans. On ne peut pas dire que la grippe a disparu à cause du vaccin contre la grippe ! Êtes-vous surpris du choix qui vient d’être fait de ne pas reconfiner, contre l’avis du conseil scientifiq­ue ? Le Président a eu raison. Je l’ai dit très souvent depuis un an : les mesures sociales de correction ne marchent pas parce qu’elles créent trop de dommages collatérau­x. Le bénéfice-risque n’est pas satisfaisa­nt. La seule chose qui marche dans le contrôle de l’épidémie, c’est la précocité de mise en place des tests, et l’isolement des malades.

Notre panique sanitaire est d’abord venue de l’embouteill­age des hôpitaux publics. Vous aviez appelé en 2003 à la création de sept infectiopo­les sur tout le territoire français. Pourquoi n’ont-ils pas été mis en place ?

L’idée des infectiopo­les était d’avoir le bon maillage d’hôpitaux équipés de séquenceur­s génomiques, de scanners, d’IRM. Il fallait plusieurs « forts à la Vauban » comme l’IHU que j’ai créé à Marseille. Aujourd’hui, les hôpitaux servent de réservoir de personnel non qualifié pour résorber le chômage local, et l’achat de matériel de pointe est une variable d’ajustement. Personne n’était prêt à faire face.

Comment évaluez-vous l’apport du Conseil scientifiq­ue ?

Trop de prétendus scientifiq­ues en France ne se basent que sur ce que disent leurs copains de la même mouvance. Ils sont ultraconne­ctés entre eux et totalement déconnecté­s du terrain, c’est-à-dire des faits. Si vous prenez dix personnes qui ont un QI à 100, ça ne fait pas 1 000, ça fait 90 ! Le consensus, ce n’est pas la vérité. La vérité, ce sont les faits vérifiés.

Finalement, ce qui prévaut dans l’opinion, c’est le relativism­e : tous les pays ont échoué face à ce virus au comporteme­nt imprévisib­le.

C’est pour ça que nous sommes en déclin. Nous nous réconforto­ns avec les échecs des autres, plutôt que de chercher à nous élever au niveau des meilleurs.

Quels pays nous serviraien­t d’exemple ?

La Chine, Taïwan, la Corée du Sud, Singapour. En Europe, les Suédois n’ont pas de mauvais résultats, tout en ne maltraitan­t pas leur économie.

Vous dites en permanence que vous êtes une star de l’épidémiolo­gie. Pourquoi le répéter sans arrêt ?

Quand ce virus est survenu, j’étais connu dans le monde des maladies infectieus­es, mais inconnu du grand public et des médias. Face à l’impudence actuelle des experts pour plateaux télé qui font les savants sans rien savoir, on est obligé de dire : c’est moi le maître et vous êtes les élèves ! ■

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« J’ai une confiance en moi, et cela m’évite d’être paranoïaqu­e. Les attaques et les coups bas, je m’en fiche. »
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« Tous les jours, je regarde les statistiqu­es des malades sur cet ordinateur. »
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470 p., 19,95 €.
Carnets de guerre Covid-19, Michel Lafon, 470 p., 19,95 €.

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