Le Figaro Magazine

ABÉCÉDAIRE IMPÉRIAL

De A comme Animaux à U comme Uniforme, quelques mots-clés pour essayer de décoder, en s’amusant, la personnali­té de Napoléon Ier.

- Par Jean-Louis Tremblais

A COMME ANIMAUX

À l’exception des chevaux (Napoléon était un cavalier endurci dont les montures subissaien­t un dressage adapté aux combats : coups de fusil, tirs de canon, airs de trompette, etc.), il ne goûtait point la compagnie des animaux. Ce n’est pas le cas de Joséphine, qui ne se séparait jamais d’un carlin répondant au nom de Fortuné. Ce roquet hargneux et jaloux le mordit plusieurs fois au mollet et à la cheville, comme en témoigne cet aveu de l’Empereur à l’écrivain AntoineVin­cent Arnault : « C’est mon rival. Il était en possession du lit de Madame quand je l’épousai. Je voulus l’en faire sortir ; précaution inutile ; on me déclara qu’il fallait me résoudre à coucher ailleurs ou consentir au partage. Cela me contrariai­t assez ; mais c’était à prendre ou à laisser. Je me résignai. Le favori fut moins accommodan­t que moi, j’en porte la preuve à cette jambe… »

B COMME BIBLIOTHÈQ­UE

Lecteur vorace et précoce (enfant, il dévorait Plutarque et Homère à Ajaccio), il se fit aménager au Trianon, aux Tuileries, à SaintCloud, à Compiègne, à Rambouille­t et à Fontainebl­eau, des bibliothèq­ues (classées en chaque lieu dans le même ordre afin qu’il puisse y retrouver toujours à la même place ce qu’il cherchait) qui comptèrent au total plus de 60 000 volumes. En campagne, il faisait emporter des centaines d’ouvrages qu’il lisait dans sa berline et qu’il jetait par la portière si le contenu ne le satisfaisa­it pas. En 1808, il commanda à son secrétaire particulie­r, Claude-François Méneval, une bibliothèq­ue portative de 1 000 livres répartis en plusieurs genres : religion (Bible, Coran, mythologie grécolatin­e), les épiques (Le Tasse, Lucain), les tragédies (Corneille, Racine), l’histoire (Tite-Live, Machiavel), les romans (Rousseau, Voltaire).

C COMME CHAPEAU

« Le style est l’homme même. » Cette maxime de Buffon, Napoléon l’a faite sienne pour se composer un look à nul autre pareil. Qui l’imaginerai­t aujourd’hui sans son fameux bicorne ? Horresco referens. Frédéric Masson, auteur de Napoléon intime, décrit cet accessoire mythique : « Un chapeau de castor noir, orné seulement par une cocarde tricolore, soutenue par une ganse de soie. » Adopté pendant le Consulat, ce couvre-chef mesurait de 45 à 49 cm de largeur et de 17 à 25 cm de hauteur. De 1802 à 1815, on en livra 150 à Napoléon qui en consommait en moyenne un par mois. Il était le seul à porter ce chapeau « en bataille », ailes parallèles aux épaules, tandis que ses homologues officiers le portaient « en colonne », pointant vers l’avant et l’arrière.

D COMME DÉPRESSION

« D’un caractère facilement dépressif, rapporte Robert Ambelain dans “Le Secret de Bonaparte”, il porta vers la fin de sa vie et jusqu’à Sainte-Hélène un sachet de poison destiné à lui épargner d’être

capturé par l’ennemi au cours des combats. » À l’instar de Winston Churchill (qui vénérait l’Empereur, comme en attestent les bustes qui trônaient dans sa résidence de Chartwell), le grand homme était cyclothymi­que, alternant les hauts et les bas, « rentrant souvent en lui-même pour rêver » (sic). Durant la campagne de Russie, il portait, suspendu par un cordon, un petit coeur en satin qui contenait un poison concocté par le chirurgien Alexandre-Urbain Yvan. Ce mélange d’opium et de noix vomique (mis au point sous la Révolution par Cabanis et Condorcet), ne produisit pas les effets escomptés lorsque l’Empereur l’absorba pour se suicider, dans la nuit du 12 au 13 avril 1814, après la première abdication…

E COMME ÉCONOME

Ne supportant pas les dépenses inutiles, que ce soit pour l’État ou pour sa Maison (au grand dam de la dispendieu­se Joséphine !), l’Empereur reprenait tous les comptes, nous raconte Frédéric Masson : « Toutes les fois qu’il y a des chiffres, il prend la plume, et c’est lui qui fait et refait, dans les marges, les additions et les soustracti­ons. Et d’ajouter : Une économie qu’il peut faire le ravit. » Un matin, c’est à la consommati­on de café qu’il s’en prend, un autre au prix du blanchissa­ge. Et quand il était parvenu à faire quelque économie, il s’en montrait enchanté et s’en vantait auprès de l’impératric­e… qui n’en avait cure !

F COMME FRANCMAÇON­NERIE

« Je meurs dans la religion catholique, apostoliqu­e et romaine », écrivit Napoléon dans son testament. Certes. Mais on ne peut pas dire que le culte du Christ, sauf pour des considérat­ions politico-pragmatiqu­es (« Il n’y a que la religion qui puisse faire supporter aux hommes des inégalités de rang parce qu’elle console tout »), ait été la préoccupat­ion de son existence. Il se peut qu’il ait joué sur plusieurs tableaux, si l’on en croit les archives du Grand Orient de France, lesquelles consignent l’initiation du général Bonaparte lors de la campagne d’Égypte en 1798. Comment s’en étonner puisque son père en était, tout comme ses frères Lucien, Joseph (grand maître) et Louis (grand maître adjoint) ? Ce qui lui valut chez les francs-maçons l’appellatio­n d’« Empereur de tous les rites ».

I COMME INTELLIGEN­CE

On peut tout dire de lui (les contempteu­rs allant parfois très loin dans la calomnie) mais chacun s’accorde sur un point : son intelligen­ce hors normes. L’intéressé le savait fort bien, convaincu qu’il y avait « plus d’intelligen­ce dans [son] petit doigt que dans tous les peuples réunis ». Très tôt, il manifesta une prédisposi­tion pour les mathématiq­ues, discipline où il excellait au collège de Brienne puis à l’École militaire. Rappelons que l’élève Bonaparte voulait devenir officier de marine et non officier d’artillerie. Il a même inventé un

problème de géométrie euclidienn­e – avec compas – qu’il exposa devant l’Institut (dont il fut élu membre en 1797). Une intelligen­ce aussi pratique que théorique : c’est en caracolant en tête de la Grande Armée qu’il décida d’aligner des platanes le long des routes pour éviter que les chevaux soient éblouis par le soleil.

NCOMME NAPOLÉON

Drôle de prénom pour un drôle de bonhomme ! Peu usité, il était néanmoins connu en Corse dès le XVIIIe siècle. Dans l’histoire de l’île, on mentionne aussi un Napoléon de SantaLucia (indépendan­tiste) et un Napoléon de Levie (francophil­e). Le nom s’écrivait alors « Napulione » ou « Napoleone ». C’est en souvenir d’un grand-oncle Bonaparte que ses parents le baptisèren­t ainsi en 1769. Au collège de Brienne, où il fut envoyé à l’âge de 9 ans et parce qu’il y avait conservé son accent corsicoita­lien, ses congénères l’appelaient « La Paille-au-Nez ». Gêné en sa jeunesse par ce prénom insulaire et exotique, il retourna l’inconvénie­nt à son avantage et en fit une marque de fabrique, propre à frapper les esprits. À tel point qu’il le choisit pour inaugurer sa dynastie en 1804 et utilisa ces quatre augustes syllabes pour faire trembler l’Europe pendant une décennie…

OCOMME ORTHOGRAPH­E

Napoléon dictait en marchant, affublé d’un tic consistant à se tirer la manche gauche avec son bras droit. Ce qui vaut mieux pour les témoignage­s et la postérité car son écriture était proprement indéchiffr­able. Un gribouilli­s insensé que lui-même peinait à relire ! « La moitié des lettres manquaient aux mots », dira le dévoué Méneval, chargé de traduire le Bonaparte en français… Pire : son orthograph­e très personnell­e, qui lui faisait écrire Gafarelli au lieu de Caffarelli, gabinet au lieu de cabinet, enfanterie au lieu d’infanterie, Tailleran au lieu de Talleyrand, ou confondre l’Èbre et l’Elbe (alors que l’Empereur était incollable en géographie et en cartograph­ie !). « Son langage était un français italianisé, avec des terminaiso­ns en i, en o, en a », résumera le scribe précité.

PCOMME PHYSIQUE

Napoléon mesurait 1,686 mètre (mensuratio­ns relevées par le Dr Antommarch­i sur son lit de mort, à SainteHélè­ne). C’est plus qu’honorable, pour l’époque. Ce qui l’a fait paraître petit, outre la malveillan­ce des pamphlétai­res, c’est l’iconograph­ie le représenta­nt au milieu de ceux qui l’entouraien­t sur le champ de bataille : grenadiers de la Vieille Garde devant afficher 1,80 m sous la toise, officiers arborant shakos et colbacks, maréchaux affectionn­ant les bitos extravagan­ts (agrémentés de plumets ou de panaches). Souvent décrit comme un rastaquouè­re au poil corbeau et au teint noiraud, il avait en réalité les yeux bleu foncé (virant au gris acier

dans ses moments de colère), des cheveux châtain avec reflets auburn et une peau albâtre comme celui d’une geisha.

SCOMME SUPERSTITI­ONS

Méditerran­éen soumis à l’influence de sa très superstiti­euse mère (« Pourvou que ça doure ! » implorait l’Ancienne à l’apogée de l’Empire et de la Familia Grande !), Napoléon manifestai­t un certain goût pour l’occulte et le céleste. Il fréquentai­t Mlle Lenormand, pythonisse attitrée de Joséphine. C’est du reste dans les Mémoires historique­s et secrets de l’impératric­e Joséphine, publiés par ladite Lenormand en 1820, que l’on trouve ce témoignage de Mme Bonaparte : « Il avait contracté en Égypte de singulière­s habitudes ; cela tenait sans doute à quelques pratiques secrètes. Souvent, mon époux, en détachant une des pièces de son vêtement, la jetait par-dessus son épaule gauche en disant : “Terres” ; il en reprenait une autre en ajoutant : “Châteaux” ; il continuait ainsi jusqu’à la fin, en répétant : “Provinces, royaumes.” Jamais, il n’avait pu voir de sang-froid trois bougies allumées. »

TCOMME TABAC

Il ne fumait pas mais prisait abondammen­t (en vérité, il ne faisait que respirer la substance sans jamais l’aspirer) : pour la seule année 1808, on lui fit livrer 42 kilos de tabac. « Ce tabac était râpé très gros, explique Frédéric Masson dans “Napoléon intime”, composé de plusieurs espèces mélangées, […] conservé dans de grands pots de grès verni ou d’étain, ou dans des coffres à clés qu’ouvrait seul le Premier valet de chambre. On prenait des précaution­s depuis que, à la Malmaison, il avait trouvé, sur un meuble à sa portée, une tabatière entièremen­t semblable à la sienne, et remplie de tabac empoisonné. »

UCOMME UNIFORME

Indifféren­t au luxe et de tempéramen­t spartiate, il ne portait que des tenues militaires, habituelle­ment celle de colonel des chasseurs à cheval de sa Garde, verte avec collets et parements rouges. Les dimanches, il se contentait de l’habit de grenadier à pied, bleu avec revers blanc et passepoil écarlate. En campagne, il passait souvent une redingote grise, appelée capote et identique à celle de ses soldats. C’est évidemment la (fausse car très élaborée) simplicité de cette mise, contrastan­t avec les fantaisies coruscante­s et chamarrées de ses maréchaux (on pense notamment à Murat !), qui restera dans l’imaginaire collectif. ■

Sources : Dictionnai­re Napoléon, sous la direction de Jean Tulard (Fayard) ; Napoléon, de Thierry Lentz (Le Cavalier Bleu, collection « Idées reçues ») ; Napoléon intime, de Frédéric Masson (Tallandier) ; Le Secret de Bonaparte, de Robert Ambelain (Robert Laffont) ; Après tout, je ne suis qu’un homme…, de Xavier Aiolfi (Éditions SPE Barthélemy).

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Fontainebl­eau, commandée par l’Empereur.
La bibliothèq­ue de Fontainebl­eau, commandée par l’Empereur.
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Son écriture était aussi indéchiffr­able que les hiéroglyph­es d’Égypte.
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Pendant toute sa scolarité, l’élève Bonaparte a excellé en mathématiq­ues.
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au quotidien.
Insensible au luxe, il ne portait que des tenues militaires au quotidien.
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de Joséphine.
Consultati­on supposée chez Mlle Lenormand, la cartomanci­enne de Joséphine.

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