AU COEUR DE L’HORREUR
★★★★ Anatomie d’un génocide. Vie et mort dans une ville nommée Buczacz, d’Omer Bartov, Plein Jour, 443 p., 24 €.
C’est une petite ville de Galicie de quelques milliers d’habitants. Coincée, avant 1914, entre l’Empire austro-hongrois et l’Empire russe. Partagée, après 1918, entre Polonais et Ukrainiens. Écartelée, après 1939, entre l’URSS, qui l’occupe jusqu’en 1941, et l’Allemagne nazie, qui l’administre jusqu’à fin 1944. C’est durant cette dernière période que se déroule l’horreur absolue : l’arrestation, puis la déportation ou l’exécution de près de
10 000 habitants de Buczacz et de ses environs. Juifs. Certes, comme le montre Omer Bartov dans son exceptionnel livre-enquête, les Juifs n’avaient pas toujours été épargnés par le mépris ou la haine des populations locales dans les siècles précédents. Plus ou moins assimilés, plus ou moins acceptés, plus ou moins tolérés… Mais bon an, mal an, dans l’Empire austro-hongrois multiethnique, ils avaient fini par se mêler ou voisiner avec les chrétiens. Des mariages mixtes avaient été célébrés. Un « vivreensemble » s’était installé. Dans l’entre-deux-guerres, première alerte : les mouvements nationalistes ukrainiens et polonais que tout oppose se retrouvent sur un point : accuser les Juifs de tous les maux. Agressions, pogroms. Mais rien au regard de ce qui les attend. Après les déportations ordonnées par les Soviétiques début 1940, les massacres de masse débutent, une fois Buczacz conquise par les nazis au cours de l’été 1941. S’appuyant sur de nombreuses et saisissantes photos et sur des témoignages recoupés, Bartov ne se contente pas de décrire dans le détail ce morceau de génocide : il en montre tous les mécanismes en s’intéressant aux vies (statut social, psychologie…) des victimes comme des bourreaux. Et en évaluant le degré de collaboration et de complicité dans la Shoah de ceux qui étaient hier voisins, collègues, employés ou amis des « fils d’Israël » : Polonais, Ukrainiens et parfois aussi Juifs… Un très grand livre. Poignant. Glaçant. Sidérant.