VENDÉE GLOBE, CHARLIE DALIN : “MON TOUR DU MONDE EN 80 JOURS” Aventure
Trois jours après son arrivée aux Sables-d’Olonne, le Havrais de 36 ans débarque dans les locaux du « Figaro Magazine ». Souriant, détendu, pas plus fatigué que ça. De la poche de sa doudoune grise, il sort une clé USB. Elle contient des photos inédites. Arrivé premier sur la ligne du Vendée Globe, puis classé deuxième derrière Yannick Bestaven (déclaré vainqueur grâce à une bonification de 10 h 15), Charlie Dalin va se confier longuement. Un peu moins de quatre heures pour raconter 80 jours d’un tour du monde de légende…
“Même si Yannick Bestaven a été déclaré vainqueur, on ne m’enlèvera jamais le fait que j’ai été le premier à passer la ligne d’arrivée aux Sablesd’Olonne. Je suis heureux d’avoir réussi à atteindre mon objectif de départ qui était de terminer devant le deuxième. En quittant le ponton le 8 novembre, j’avais vu le trophée de la course et je savais que j’avais toutes les capacités pour le soulever en revenant. Mais quand j’ai vu Yannick (Bestaven) s’en saisir, j’ai eu un coup au coeur. J’accepte, cela fait partie du jeu, ces règles de bonifications après le sauvetage de Kevin Escoffier. Il n’y a pas de polémique, mais c’est dur de voir quelqu’un soulever ce trophée alors que j’ai franchi la ligne en tête. C’est déjà digéré. En partie, car il y a des hauts et des bas. Je suis fier d’avoir réussi à rendre une copie propre. Je n’ai pas de regret. Et Yannick est légitime. Il mérite son Vendée Globe. Il a été en tête longtemps, il a fait une très belle navigation dans les mers du Sud et j’ai compté jusqu’à 450 milles de retard sur lui.
UNE AVARIE DEVENUE UN BOULET
De ce premier tour du monde, je retiens que rien n’est jamais acquis, ni jamais perdu. Je ne pensais pas que j’allais autant bricoler. Je n’ai pas eu le choix. Notamment avec mon problème de cale de foil (une pièce qui soutient le foil sur le côté du bateau qu’il a
DU BONHEUR DANS LA SOLITUDE
Ce furent une course et une aventure uniques. Tu pars et tu ne sais jamais ce qui va t’arriver. Et il n’y a que les fêlés du Vendée Globe pour aller naviguer dans les mers hostiles du Sud. Tu ne te sens pas le bienvenu là-bas. Je sais que je suis un privilégié d’avoir pu explorer et traverser ces mers australes qui sont une énorme partie du globe. J’ai adoré cette notion de voyage, de voir défiler les marqueurs d’un tour du monde, comme les poissons volants, puis les nuages du Pot au noir, les nuits de plus en plus courtes et les mythiques albatros. Lorsque j’ai aperçu les premiers, j’ai couru pour prendre mon téléphone mais je n’ai pas réussi à les photographier. Jusqu’à ce que l’un d’eux m’accompagne plusieurs heures, après une réparation sur ma grand-voile. Ses ailes bougeaient à peine, il se relançait avec les mouvements d’air des vagues. L’albatros est un oiseau splendide, le plus majestueux de tous avec ses quatre mètres d’envergure pour les plus gros. En revanche, ce que j’ai détesté le plus, c’est cette semaine entière passée dans perdue dans l’océan Indien et dont il a
confectionné une réplique, NDLR). J’ai cru que j’allais devoir abandonner. Après cet épisode, chaque minute était du bonus. À force d’efforts, j’ai réussi à me hisser à nouveau en tête mais mon Vendée Globe a changé de tournure avec cette avarie que j’ai traînée comme un boulet. Elle m’a fait perdre des milliers de milles en tout et si elle n’était pas arrivée… Mais avec des si, on gagne toutes les courses ! Forcément, je reviens très différent de ce Vendée Globe (il n’avait jusque-là que brillé sur le circuit de la Solitaire du
Figaro, NDLR). Même si j’avais gagné la Transat Jacques Vabre en double sur ce monocoque Apivia, ce n’était que ma deuxième course en solitaire avec lui. Du coup, chaque jour j’ai appris. Et aujourd’hui, je ne suis plus le même du tout. Mon niveau a vraiment augmenté, même si je ne suis pas encore au max.
“Ce furent une course et une aventure uniques.
Tu pars et tu ne sais jamais ce qui va t’arriver. Il faut être fêlé pour aller naviguer dans les mers hostiles du sud”
“J’ai toujours pensé course. Je vivais
au rythme des classements, je me jetais sur l’ordinateur pour voir la vitesse et le cap des autres”
l’océan Indien où le bateau plantait toutes les dix secondes, s’arrêtait net, une vague le recouvrait. Nerveusement, cela a été horrible, je n’en pouvais plus. Quant au froid, j’ai vécu dans un réfrigérateur pendant un mois, près de l’Antarctique. Même si j’ai eu au minium 5, voire 6 °C à l’intérieur du bateau, j’ai moins souffert que ce que je craignais… Même dans le Sud où tu joues ta survie plus qu’une place au classement, j’ai toujours pensé course. Je vivais au rythme des classements, je me jetais sur l’ordinateur pour voir la vitesse et le cap des autres. Comme je suis très cartésien et que je calcule tout, j’ai passé entre 5 et 7 heures par jour à travailler la météo. Elle a finalement passé son temps à faire le bonheur des uns et le malheur des autres. À chaque fois que j’étais en tête, j’ai attendu patiemment qu’une opportunité me permette de m’échapper mais cela n’est jamais arrivé. La régate a du coup été passionnante et j’ai tout fait pour élaborer de belles trajectoires.
DES NUITS D’ÉPUISEMENT
Évidemment, le naufrage de Kevin Escoffier (le 30 novembre) m’a énormément secoué. C’était la première fois que je pénétrais dans l’océan Indien et j’ai passé la nuit à espérer que Kevin n’y reste pas. Surtout que, le lendemain, je devais subir le passage d’une grosse prune. J’ai regardé mon bateau en me disant « s’il se plie en deux comme le sien, comment je fais, qu’est-ce qu’il faut que je récupère ? » Je me suis projeté. La nuit a été longue à l’affût des nouvelles jusqu’au sauvetage de Jean (Le Cam). Au-delà de cet épisode, j’ai trouvé que la solitude est vraiment pesante quand tu as des soucis, des difficultés. Personne n’est là pour prendre le relais quand tu es épuisé… En mer, je me disais que les gens à terre ne devaient pas se rendre compte de la difficulté de ce que nous vivons, mais en fait, si… Quand je croise du monde dans la rue depuis mon retour, je suis surpris, les gens me disent « Merci pour le rêve, l’évasion. » D’habitude après une course, même la Route du Rhum, on ne me dit pas « merci » mais « bravo » ou
« dommage ». Le Vendée Globe est vraiment une course à part. Et vu le contexte sanitaire actuel, je me suis très investi pour envoyer des vidéos permettant aux gens de s’évader. Je me suis senti privilégié de vivre trois mois de liberté, sans masque ni couvre-feu ; 80 jours de liberté absolue.
REPARTIR POUR GAGNER
C’est vrai qu’après mes deuxièmes et troisièmes places sur la Solitaire du Figaro et cette deuxième place sur le Vendée Globe, je me sens un peu le « Poulidor » de la voile, même si je suis le roi des podiums. Vu le contexte particulier de l’arrivée du tour du monde, j’ai l’impression qu’il ne me manque rien pour gagner. Cela ne remet pas en cause ma façon de m’entraîner sur le modèle du Pôle Finistère Course au Large. J’ai quand même franchi la ligne d’arrivée en tête. Je sais que je peux toujours faire mieux, je suis un éternel insatisfait. Je veux travailler pour arriver à être plus rapide dans le gros temps et pour aborder de manière différente le côté mental de la course. Le Vendée Globe est une course longue et il a réussi à m’atteindre mentalement. C’est une incroyable bataille contre soi-même, pour arriver à garder la motivation ou la reconstruire en cas de problèmes. Alors, oui, j’ai envie de retourner sur le Vendée Globe. Pour le gagner. Pour le revivre en connaissance de cause, en sachant où je vais. Je n’ai pas passé cette édition à me dire « qu’est-ce que je fous là ? » Au contraire, je sais que cette course est faite pour moi. Et j’ai réfléchi, pris des notes pour préparer la suite. Que les vents me soient favorables pour l’avenir ! ■