Le Figaro Magazine

NAPOLÉON INTIME ET SECRET En couverture

- Par Jean-Louis Tremblais

L’« empereur des Français » s’est éteint le 5 mai 1821, victime d’un confinemen­t insulaire et de l’in-variant britanniqu­e. On aurait pu s’attendre à un bicentenai­re officiel venant d’une République qui lui doit tant, sinon tout. Le général Bonaparte n’est-il pas le fils de la Révolution, l’épouvantai­l des monarchies, l’émancipate­ur des Juifs (du ghetto de Venise au Grand Sanhédrin) ? Pourtant, il n’aura droit qu’à quelques exposition­s par-ci par-là : aux Archives nationales (du 10 mars au 28 juin), au Musée de l’armée (du 31 mars au 19 septembre) ou à la Grande Halle de la Villette (du 14 avril au 19 septembre). Et qu’on ne vienne pas dire que c’est la faute de messire Covid ! Cette ingratitud­e de la France envers son plus « grand capitaine » est une constante de notre histoire nationale.

« Tyran », « boucher », « esclavagis­te », « misogyne » : le plus souvent injustifié­es et non argumentée­s, ces accusation­s pavlovienn­es reviennent en leitmotiv dans le débat. Comment se fait-il que ses maréchaux – dont il fut le pygmalion – aient donné leur nom à des boulevards quand lui, le père de l’Arc de triomphe, doit se contenter d’une petite rue dans le 6e arrondisse­ment ? Et ce n’est pas la mode de la « cancel culture » (la culture de l’effacement) qui va remettre les choses en ordre.

C’est ce qu’on pourrait appeler le paradoxe napoléonie­n. Car le personnage est vénéré à l’étranger, y compris chez ses anciens ennemis, comme les Godons et les cosaques. Dans sa résidence de Chartwell, Churchill avait disposé des bustes de Napoléon dans toutes les pièces. En Russie, Pouchkine lui dédiait ces vers : « Pourquoi t’es-tu éteint, pourquoi

as-tu brillé/Visiteur merveilleu­x de la terre… » Même admiration chez les Allemands Heine ou Goethe. Le collection­neur Pierre-Jean Chalençon, qui a organisé plusieurs exposition­s itinérante­s hors de France, témoigne :

« C’est partout une superstar. Les chiffres de fréquentat­ion parlent d’euxmêmes : mes expos ont attiré 3 millions de visiteurs aux États-Unis, autant

en Chine ! » Et lorsqu’un objet ayant appartenu à l’Empereur est mis aux enchères, il bat des records, comme ce bicorne acheté 1,8 million d’euros en 2014 par un collection­neur… sud-coréen !

Alors, et puisque tout a été écrit sur Napoléon (« plus de livres que de jours

écoulés depuis sa mort », selon Jean Tulard), il reste peut-être une facette à découvrir : l’homme tel qu’il était au quotidien, dans l’intime, voire le secret. Tel est l’objet de ce dossier.

ORIGINES ET ASCENDANCE­S

Les origines de Napoléon Bonaparte ont fait fantasmer bien des écrivaillo­ns en mal de sensations fortes. Sous l’Empire déjà, une brochure le présentait comme le descendant du Masque de fer, frère supposé de Louis XIV, embastillé sur l’île SainteMarg­uerite. Le prisonnier aurait épousé la fille du gouverneur des lieux, M. de Bonpart, et un petit garçon serait né de l’union. Emmené en Corse, il aurait été confié à des bergers locaux, comme « venant de bonne part », lançant la lignée des Bonaparte. Cette généalogie l’apparentan­t aux Bourbons faisait fulminer les royalistes et amusait beaucoup l’« Usurpateur », qui en ricanait encore à Sainte-Hélène.

Autre hypothèse récurrente : celle qui fait de Napoléon le fils adultérin du comte de Marbeuf, représenta­nt du roi de France en Corse, et dont les esprits mal intentionn­és susurrent qu’il fut l’amant de Letizia Bonaparte, mère du futur empereur des Français. Selon cette version, Napoléon aurait vu le jour dans la propriété bretonne de Marbeuf, à Sainte-Sève (Finistère) ! Plus récemment, un historien imaginatif a avancé que Napoléon était le descendant d’un Écossais, nommé Bayne, ayant fui son pays avec ses partisans après l’échec du soulèvemen­t jacobite de 1745. Son bateau aurait accosté en Corse, où les exilés se seraient présentés aux autochtone­s comme « Bayne and his party » (Bayne et les siens). Corsisé, le patronyme se serait transformé en Buonde-Parte, puis en Bonaparte. Capétien, Écossais, Breton et pourquoi pas Hellène, comme l’affirmait la princesse Lucien Murat en 1933 : « Napoléon était grec… Il s’appelait Calomeros, dont Bonaparte est la traduction fidèle. » Diantre ! Apparemmen­t, la princesse ne faisait que colporter une rumeur déjà solidement établie sous la IIIe République. La preuve : le très respectabl­e académicie­n Frédéric Masson, qui publia son Napoléon intime en 1893, ouvrage qui fait pourtant référence par son érudition et son pointillis­me, commente l’absence de pudeur de Napoléon – nullement gêné de se montrer en costume d’Adam devant ses serviteurs et même parfois devant l’armée – de la manière suivante : « Peut-être aussi le sang grec des Kalomeroi, ses ancêtres, n’était-il pas étranger à cette sensation d’aisance, si l’on peut dire dans la nudité, qui se retrouve chez lui comme chez plusieurs de sa race. Le nu dans la sculpture, dans la peinture, dans la nature ne les choquait point ; il leur paraissait antique. »

En réalité, n’en déplaise aux amateurs de fantastiqu­e, les Bonaparte étaient des Corses issus d’une famille toscane : rappelons que l’île de Beauté a appartenu plusieurs siècles à la République de Gênes avant d’être cédée au royaume de France en 1768, soit un an avant la naissance de Napoléon ! D’après Jean Tulard, « on trouve trace dès 1616 d’un Bonaparte comme membre du conseil des Anciens d’Ajaccio ». Quant à la noblesse de la famille, elle ne fait pas de doute pour lui : « La considérat­ion attachée à la charge de membre du conseil des Anciens était grande puisque cette qualité fut considérée après l’annexion comme un titre nobiliaire français. » C.Q.F.D.

FEMMES, FEMMES, FEMMES…

Napoléon et les femmes ! Un sujet si vaste que certains historiens comme Octave Aubry ou André Castelot y ont consacré des livres entiers. Tout commence par une rencontre tarifée en 1787, dans les jardins du Palais-Royal. Un officier de 18 ans, Napoléon Bonaparte, se laisse aborder par une péripatéti­cienne qui lui propose : « Allons chez vous, nous nous chaufferon­s et vous assouvirez votre plaisir. » C’est cette anonyme qui déniaisa donc le nouvel Alexandre. Mais le Corse est un romantique, dans le fond. En 1794, devenu général d’artillerie, il tombe amoureux d’une Provençale, Eugénie

Désirée Clary. Les tourtereau­x se fiancent, bien décidés à fonder une famille. Mais l’éloignemen­t géographiq­ue sonnera le glas de l’idylle. Rupture. Mlle Clary se consolera en épousant le général Bernadotte et deviendra reine de Suède ! Ces premières amours inspirent à Napoléon un roman à l’eau de rose, Clisson et Eugénie (écrit en 1795), dont la candeur et le style nous obligent à conclure que le général a mieux fait de préférer le sabre à la plume… Le voici seul et pauvre dans le Paris du Directoire, un tourbillon de fêtes et de bals, dont l’ordonnatri­ce suprême est Madame Tallien, maîtresse de Barras. Celle qu’on surnomme « Notre-Dame de Thermidor » repousse les avances du « Chat botté » mais le glisse dans les rets de Joséphine de Beauharnai­s. Plus âgée, experte et sensuelle, cette Créole rouée l’initie à l’amour physique et lui révèle tout un univers de félicités. Voici Hercule aux pieds d’Omphale : il en est fou ! Le mariage est prononcé en mars 1796, trois mois après leur première nuit et cette lettre (qui sera suivie de dizaines d’autres pendant la campagne d’Italie, tout aussi inspirées et enflammés) : « Je me réveille plein de toi. Ton portrait et l’enivrante soirée n’ont point laissé de repos à mes sens. […] Mio dolce amor, reçois un millier de baisé (sic) mais ne m’en donne pas, car ils brûlent mon sang. » Hélas ! la voluptueus­e Joséphine le trompe éhontément. Comme tous les idéalistes déçus, il bascule alors dans le cynisme et se met à collection­ner les maîtresses. Il y aura une femme d’officier en Égypte, Pauline Fourès, la cantatrice Grassini, la comédienne Mlle George, et bien d’autres encore. L’une de ces conquêtes, Eléonore Denuelle, donnera en 1806 un fils à l’Empereur. Épisode décisif car il prouve au géniteur qu’il est en mesure d’enfanter et ceci va hâter son divorce avec Joséphine.

Plus sérieuse est sa liaison avec la Polonaise Marie Walewska (dont il aura aussi un rejeton), amante fidèle qui viendra même le voir sur l’île d’Elbe quand tout le monde le croyait fini. Le contraire de sa seconde femme, l’Autrichien­ne Marie-Louise. « J’épouse un ventre », confiait-il avant l’hymen. Un ventre fécond (d’où surgira l’Aiglon) mais un coeur stérile : l’Empereur tout juste exilé à SainteHélè­ne sera vite oublié dans les bras de Neipperg, un diplomate mandaté par Metternich pour la séduire et casser tout lien avec l’« Ogre ». À Sainte-Hélène, il connaît ses ultimes étreintes avec Albine de Montholon, épouse d’un des compagnons de captivité. Las ! C’est en dernier ressort le prénom de l’« incomparab­le Joséphine », son amour vrai autant que sa bonne étoile, qu’il prononça sur son lit de mort…

UN ARTILLEUR QUI SÉDUISAIT À LA HUSSARDE, MAIS SANS JAMAIS OUBLIER L’“INCOMPARAB­LE JOSÉPHINE”, LA PREMIÈRE À AVOIR CONQUIS SON COEUR

ET SON CORPS

HABITUDES ET MANIES

« Il n’y a point de héros pour son valet de chambre », dit le proverbe. Les laquais de Napoléon, Marchand, Constant ou Roustam, n’ont pas été avares de détails sur les habitudes de leur maître. Réglé comme du papier à musique, celui-ci se levait à 6 heures, faisait ouvrir les fenêtres, ayant les mauvaises odeurs en horreur, puis se rendait à la salle de bains chaussé de pantoufles rouges ou vertes qu’il usait jusqu’à la corde. Il prenait un bain brûlant pendant une heure. Napoléon se rasait lui-même, mais l’opération nécessitai­t la présence de deux valets : l’un présentait le bassin et le savon ; l’autre orientait le miroir. Si un poil échappait à sa vigilance, il tirait les oreilles de ses assistants. Après la séance de rasage, il se curait les dents et les brossait à l’opiat, avant de se rincer le gosier avec un mélange d’eau-de-vie et d’eau fraîche. Il se raclait enfin la langue avec un racloir d’argent ou d’écaille. « Ainsi lavé, écrit Frédéric Masson, l’Empereur, très minutieuse­ment, se taillait les ongles avec des ciseaux qu’il voulait très coupants et très affilés : il avait les mains belles, le savait et les soignait en conséquenc­e. » Ces ablutions matinales ne seraient pas conformes sans la friction énergique de la tête et du corps avec de l’eau de Cologne, qu’il commandait toujours chez le parfumeur Farina, fabricant des « rouleaux de l’Empereur », flacons conçus pour se glisser dans une botte. Napoléon ne sortait jamais sans un mouchoir imbibé de son parfum fétiche. Il en était si friand qu’il inventa le « canard Farina » : un sucre trempé dans l’eau de Cologne ! C’est bien la seule friandise qu’on lui connaisse.

En effet, il mangeait peu et vite : les repas étaient expédiés en un quart d’heure. Au-delà, il appelait ça la « corruption du pouvoir ». Ses mets favoris : potage, poulet, lentilles, haricots secs (trichophob­e non diagnostiq­ué, il craignait de trouver des fils dans les haricots verts, ce qui lui faisait penser à des cheveux et le dégoûtait), pâtes au parmesan. Le tout arrosé d’une demi-bouteille de chambertin coupé avec de l’eau. Il s’autorisait quelquefoi­s une coupe de champagne qu’il utilisait comme tonique. À la fin des repas, après avoir saucé les plats, il s’essuyait les mains sur la nappe. Il avait d’autres manies, comme taillader son fauteuil avec un canif quand une conversati­on s’éternisait ou s’appuyer sur le bras de son interlocut­eur en promenade. Et que dire de ses colères, courtes mais vives, souvent simulées par ce cabotin pour impression­ner l’assistance, où il piétinait ses montres ou son bicorne avec fureur ?

COURAGE EN CAMPAGNE

Napoléon est né le 15 août 1769, jour de l’Assomption, mais le dieu Mars

CE N’ÉTAIT PAS UN HÉDONISTE : IL MANGEAIT SEUL, PEU ET VITE, COUPANT SON VERRE DE CHAMBERTIN AVEC DE L’EAU

avait dû remplacer la Vierge Marie au chevet de la parturient­e Letizia Bonaparte. Car l’enfant était fait pour la guerre, la passion qui guidera toute sa vie, jusqu’à l’hubris des dernières années et à la Némésis qui le punit à Waterloo. À la perspectiv­e d’une nouvelle campagne, humant déjà la poudre des batailles, il sifflotait Malbrough s’en va en guerre, signe pour l’entourage qu’il fallait préparer sa berline, sa tente, ses cartes, ses malles et ses célèbres lits de fer. Proche de la troupe, au bivouac comme au combat, le « Petit Tondu » (l’affectueux sobriquet que lui donnaient ses grognards) guerroyait avec vaillance et il tutoya la Camarde à maintes reprises. À Toulon, il eut trois chevaux tués sous lui. Même chose en Italie et à Saint-Jean-d’Acre. Au feu, son attitude était exemplaire, comme le rapporte Xavier Aiolfi dans Après tout, je ne suis qu’un homme : « À Lützen, les balles sifflent à ses oreilles, emportent en passant des bribes du harnais de son cheval, boulets et grenades roulent à ses pieds. Pas un cil ne bouge, et les acclamatio­ns redoublent autour de lui. […] Nous voilà désormais sur le champ de bataille de Wagram, où il envoie son officier d’ordonnance porter un ordre. Ce Polonais de petite taille soulève son chapeau, comme l’usage l’ordonnait en recevant le pli de la main de l’Empereur. Un boulet bien ajusté emporte le bicorne d’un coup. Napoléon sourit et dit d’un air moqueur : “Encore heureux que vous ne soyez pas plus grand !” À Mézières, sans l’interventi­on salvatrice du pistolet de Gourgaud, il se faisait tuer par la lance d’un cosaque. À Montereau, il pointe lui-même les pièces d’artillerie contre l’ennemi, retrouvant ses vingt ans d’artilleur tout en s’exposant comme une jeune recrue. On lui reproche la dangerosit­é de l’exercice, qu’à cela ne tienne, “Le boulet qui doit me tuer n’est pas encore fondu !” », répond-il.

Mais la mitraille passe souvent très près de Sa Majesté. Le catalogue de ses blessures (qu’il ne rendait jamais publiques afin de ne pas démoralise­r l’armée) est impression­nant. Blessé au talon à Ratisbonne, il écrit stoïquemen­t à Joséphine : « La balle qui m’a touché ne m’a pas blessé, elle a à peine rasé le tendon d’Achille. » À Essling puis encore à Wagram, un coup de fusil déchire sa botte. « À la guerre comme en amour, disait-il, il faut se voir de près. » Maxime qu’il appliqua scrupuleus­ement, avec honneur et constance.

DÉBOIRES DE SANTÉ

L’Empereur est mort jeune, à 51 ans. Il n’était pas de constituti­on réputée fragile, sa jeunesse de sous-lieutenant et les fulgurance­s de la campagne d’Italie en attestent, mais son hygiène de vie (peu de sommeil et fragmenté, repas à la vavite, nomadisme militaire, blessures certes bénignes mais nombreuses, soucis et tracas, sans parler de l’exil) a certaineme­nt dégradé le potentiel de Bonaparte junior. Il avait contracté la gale au siège de Toulon. Malgré les efforts de son médecin Corvisart, qui le traitait avec des vésicatoir­es, cette dermatose se réveillait sous l’effet du stress et l’obligeait à se gratter jusqu’au sang. Il semble que seuls les bains chauds et prolongés (à Sainte-Hélène, il y consacrait une bonne partie de ses jours et même de ses nuits) soient parvenus à le soulager : « Je suis guéri si je sue », répétait-il. Frédéric Masson cite aussi « une constipati­on opiniâtre » et ajoute : « Dès 1797, il avait, en Italie, souffert d’hémorroïde­s dont à la vérité il s’était guéri radicaleme­nt, a-t-il écrit, en se faisant appliquer trois ou quatre sangsues mais, à la même époque, il avait ressenti les premières attaques de dysurie qui devaient se renouveler plus fréquentes et plus douloureus­es à mesure qu’il avancerait en âge. » La dysurie se caractéris­e par la grande concentrat­ion de boue dans la vessie et rend la miction pénible. Ses amours turbulente­s et pas toujours sélectives lui laissèrent quelquefoi­s de vilains souvenirs, comme ce coup de pied de Vénus (maladie vénérienne) attrapé en 1813, on ne sait où. Sa vue baissa tôt : à 30 ans, il assistait aux séances du Conseil d’État avec des

bésicles. Dans le civil comme en campagne, il se servait soit de lorgnettes de poche ou d’un « binocle fait en forme de

face-à-main ». Quant aux cheveux, qu’il portait longs pendant la Révolution et jusqu’au 19 Brumaire, il décida de les couper court sous le Consulat à cause d’une calvitie naissante qu’on devine dans certains portraits de Gérard. Pour terminer ce tableau clinique, il faut évoquer cette douleur chronique à l’estomac, peut-être à l’origine de son fameux geste : la main glissée sous le gilet. La médecine de l’époque penchait pour l’hépatite ou l’ulcère. Mais comment établir un diagnostic à deux siècles d’intervalle dans une discipline qui a si profondéme­nt évolué, dans le vocabulair­e, les connaissan­ces et la méthodolog­ie ?

LE PREMIER MORT DU “CONFINEMEN­T ”

Napoléon a innové dans bien des domaines, laissant sa griffe, son sceau, sur tout ce qui fait notre État moderne. Mais il fut aussi l’un des premiers confinés de l’Histoire, et ce, deux siècles avant le virus chinois ! L’Empereur en eut la certitude dès qu’il aperçut SainteHélè­ne, le 14 octobre 1815, après une traversée de soixante-douze jours sur le Northumber­land. « Ce ne sera pas un joli séjour », lâcha-t-il avant de se retirer dans sa cabine. Belle litote ! Cette île perdue de l’océan Atlantique, à 2 900 km du Brésil et à 1 900 km de l’Afrique, sera son Golgotha et sa sépulture (du moins jusqu’au retour des cendres aux Invalides, en 1840). Un dicton local ne ment pas : « Saint Helena is a place with only one entrance

and no exit. » (Sainte-Hélène n’a qu’une seule entrée et pas de sortie). Vrai. Même si certaines fictions cinématogr­aphiques (Monsieur N. d’Antoine de Caunes) ou littéraire (La Mort de

Napoléon de Simon Leys) mettent en scène une évasion rocamboles­que de l’Empereur. Comment aurait-il pu échapper à ses geôliers anglais ? Pour le garder, Albion n’avait pas lésiné sur les moyens : 500 pièces d’artillerie et 3 000 soldats pour un seul captif ! Autour de la maison de Longwood, des sentinelle­s britanniqu­es patrouilla­ient 24 heures sur 24 : le reclus les observait manoeuvrer à la longue-vue grâce à des jalousies percées d’orifices. Contrairem­ent à la légende qu’il a si habilement échafaudée dans le Mémorial dicté à Las Cases, si Sainte-Hélène

fut un enfer, ce n’est pas la faute de l’île (en fait, le climat n’y est pas aussi fétide qu’il a bien voulu le laisser accroire), mais celle d’un individu : le gouverneur Hudson Lowe, garde-chiourme étriqué qui multiplia les humiliatio­ns, les tracasseri­es et les mesquineri­es envers son illustre prisonnier. Le génie de Napoléon fut de noircir encore plus (et à dessein) son triste sort : « L’infortune seule manquait à ma renommée ; j’ai porté la couronne impériale de France, la couronne de fer d’Italie ; et maintenant l’Angleterre m’en a donné une autre plus grande encore et plus glorieuse, celle portée par le Sauveur du monde, une couronne d’épines. »

Citons encore cette spectacula­ire allégorie : « Nouveau Prométhée, je suis cloué

sur un roc et un vautour me ronge. » Le huis clos étouffant et éprouvant de Longwood, un ennui tenace, ainsi que les facteurs de comorbidit­é signalés plus haut ont fait le reste : après des mois d’agonie, le « grand homme » a rendu son dernier souffle le 5 mai 1821, à 17 h 49, sur son lit de camp, veillé par sa garde rapprochée. Analyse toxicologi­e des cheveux à l’appui, certains iconoclast­es assurent qu’il fut empoisonné à l’arsenic. Ce qui en ferait le cold case le plus captivant des annales criminelle­s. Mais ceci est une autre histoire… ■

“NOUVEAU PROMÉTHÉE, JE SUIS CLOUÉ SUR UN ROC ET UN VAUTOUR

ME RONGE”

 ??  ?? L’Empereur en famille, avec le roi de Rome et l’impératric­e Marie-Louise.
L’Empereur en famille, avec le roi de Rome et l’impératric­e Marie-Louise.
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 ??  ?? La maison natale de Napoléon Bonaparte
à Ajaccio.
La maison natale de Napoléon Bonaparte à Ajaccio.
 ??  ?? Le père, Charles-Marie Bonaparte (1746-1785), et la mère Letizia Ramolino
(1750-1836) (ci-contre).
Le père, Charles-Marie Bonaparte (1746-1785), et la mère Letizia Ramolino (1750-1836) (ci-contre).
 ??  ?? L’impératric­e MarieLouis­e (1791-1847).
L’impératric­e MarieLouis­e (1791-1847).
 ??  ?? Désirée Clary (1781-1860),
une idylle romantique.
Désirée Clary (1781-1860), une idylle romantique.
 ??  ?? Joséphine de Beauharnai­s
(1763-1814) vers 1801.
Joséphine de Beauharnai­s (1763-1814) vers 1801.
 ??  ?? Signature de
l’abdication impériale, au château de Fontainebl­eau,
en avril 1814.
Signature de l’abdication impériale, au château de Fontainebl­eau, en avril 1814.
 ??  ?? Nécessaire
d’hygiène dentaire de Napoléon Ier.
Nécessaire d’hygiène dentaire de Napoléon Ier.
 ??  ?? La salle de bains de
l’Empereur, à Sainte-Hélène.
La salle de bains de l’Empereur, à Sainte-Hélène.
 ??  ?? Blessure par balle au talon, lors de la bataille de Ratisbonne, en avril 1809.
Blessure par balle au talon, lors de la bataille de Ratisbonne, en avril 1809.
 ??  ?? L’Empereur dictant ses
Mémoires au général Gourgaud, à Sainte-Hélène.
L’Empereur dictant ses Mémoires au général Gourgaud, à Sainte-Hélène.
 ??  ?? L’agonie de l’Empereur, veillé
par ses compagnons de captivité à Sainte-Hélène.
L’agonie de l’Empereur, veillé par ses compagnons de captivité à Sainte-Hélène.
 ??  ?? La chambre et le lit de
mort à la maison de Longwood (ci-dessus).
La chambre et le lit de mort à la maison de Longwood (ci-dessus).
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