Le Figaro Magazine

LA PAGE HISTOIRE

Les « Mémoires » du père de l’unité allemande prennent des libertés avec la vérité historique, mais restent un document précieux.

- de Jean Sévillia

Géant de l’histoire, Otto von Bismarck (1815-1898) fut sans doute l’homme qui, après Napoléon, influença le plus le destin du continent européen au XIXe siècle. Quelques mois après sa mort étaient parus ses Mémoires. Fruit de plusieurs années de travail, l’ouvrage, best-seller en Allemagne

(300 000 exemplaire­s vendus en quelques semaines), fut traduit en français dès l’année suivante. C’est cette version qui est aujourd’hui rééditée, présentée par Jean-Paul Bled, éminent spécialist­e des pays germanique­s et auteur, entre autres, d’une biographie de Bismarck. Né peu avant Waterloo, celui-ci, après avoir fait de la Prusse la première puissance allemande et fondé l’Empire allemand au profit des Hohenzolle­rn, mourra après avoir mis en place une partie du système d’alliances qui présidera à la tragédie de 1914. Ses Mémoires retracent sa carrière et les événements qu’il a successive­ment provoqués ou affrontés, de 1848 à 1890, comme député au Landtag de Prusse, ministre-président de la Prusse, chancelier de la Confédérat­ion de l’Allemagne du Nord, puis comme chancelier de l’Empire allemand, tout en conservant pendant vingt-sept ans le portefeuil­le des Affaires étrangères de la Prusse. Après avoir écrasé l’Autriche, en 1866, à Sadowa, le « chancelier de fer » fut vainqueur de la France en 1870-1871, et travailla ensuite à isoler celle-ci, dans un premier temps par l’alliance des trois empereurs (Allemagne-Autriche-Russie), système qui dut être abandonné du fait de la rivalité austro-russe dans les Balkans, mais que Bismarck sauva partiellem­ent en maintenant de bons rapports avec la Russie. Adversaire des catholique­s et des socialiste­s, tour à tour

« réactionna­ire rouge » ou « révolution­naire blanc », le chancelier était difficile à classer. Loyal ministre de Guillaume Ier puis de Frédéric III (qui ne régna que trois mois), il fut évincé du pouvoir en 1890, en désaccord avec Guillaume II qui s’éloignait de la Russie et dont la stratégie maritime et coloniale dressait la Grande-Bretagne contre l’Allemagne et la poussait dans les bras de la France. Guillaume II, d’ailleurs, n’apparaît pas dans ces Mémoires qui prennent avec la vérité historique des libertés que corrige l’introducti­on de Jean-Paul Bled. Ce précieux document, cependant, permet de comprendre comment s’est édifiée la légende du père de l’unité allemande.

Mémoires, de Bismarck, édition présentée et annotée par Jean-Paul Bled, Perrin, 644 p., 27 €.

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