Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE

- de François d’Orcival

Qu’elle nous semble loin, la bohème ! Et avec elle son cortège d’histrions, artistes facétieux désespérém­ent rétifs à tout esprit de sérieux, qui clamaient avec insolence leur amour de « l’art pour l’art » et ne se souciaient de rien d’autre que de la valeur esthétique de l’oeuvre. « Il n’y a rien de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid », écrivait Théophile Gautier en 1834.

Sans doute la chercheuse Carole Talon-Hugon a-t-elle la nostalgie de cette parenthèse marginale, et méconnue sans doute, de l’histoire des arts et des lettres, elle qui déjà fit il y a quelques années une critique remarquabl­e des « morales de l’art » et fustigea plus récemment « l’art sous contrôle ». En publiant aux PUF un nouvel essai,

L’Artiste en habits de chercheur, elle n’étudie plus cette fois la prétention de l’art à nous faire la morale,

mais à nous faire la leçon. « Un courant notable de l’art contempora­in, précise la philosophe de l’art, se présente comme poursuivan­t une entreprise cognitive. Il s’agit du courant qui réunit des oeuvres empruntant aux sciences sociales leurs matériaux, leurs modes opératoire­s et leur finalité. »

Cet art contempora­in n’entend pas interpréte­r le monde, le traduire à travers la subjectivi­té de l’artiste, ni encore moins le célébrer (c’est-à-dire pour reprendre la jolie formule de Carole Talon-Hugon, « montrer le sensible dans sa gloire »). Seulement le retranscri­re, l’archiver. La prétention est documental­iste. Mais souvent aussi militante : on ne s’en émeut guère plus, de toute façon, à mesure que s’affirme la politisati­on du champ des sciences sociales. Que les films d’Avi Mograbi, cinéaste antisionis­te qui ne cache pas son appartenan­ce à l’extrême gauche, se présentent comme des documentai­res scientifiq­ues et en même temps comme des oeuvres engagées, ne semble plus contradict­oire aux yeux de personne.

Analyse minutieuse, érudite même, du phénomène de « désartific­ation » de l’art, ce livre de Carole Talon-Hugon souligne très justement tout ce que l’art peut perdre à se confondre avec la science. Réciproque­ment, la science elle aussi en sort affaiblie : en croyant poursuivre les deux à la fois, l’artiste-chercheur risque de manquer aussi bien l’idéal de la beauté que celui de la vérité.

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L’Artiste en habits de chercheur, de Carole Talon-Hugon, PUF, 193 p., 14 €.

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