LES CLÉS POUR COMPRENDRE
L’avocat et militant anti-Poutine est devenu l’icône démocratique de l’Occident, suite à une rocambolesque affaire d’empoisonnement et à une incarcération hautement médiatisée. Mais qui est réellement Alexeï Navalny, et que représente-t-il en Russie ?
1 L’ERREUR TACTIQUE DU KREMLIN
L’affaire navalny est un peu celle de l’arroseur arrosé. Voilà un avocat quadragénaire qui militait depuis quinze ans contre Poutine, sans jamais percer au grand jour. Sa dernière candidature remonte à 2013, lorsqu’il avait obtenu 30 % des voix aux élections municipales de moscou. ce fut un coup de semonce pour Poutine : après une série d’allersretours en prison ou de placements en résidence surveillée (pour des motifs divers et variés : détournement de fonds, manifestations non-autorisées, diffamation publique), navalny est déclaré inéligible en 2017, ce qui l’empêche de se présenter à la présidentielle de 2018. Parallèlement, les médias nationaux reçoivent pour consigne de ne jamais mentionner son nom ou ses actes. autrement dit, navalny était alors condamné à l’oubli dans sa propre patrie. Jusqu’à l’été 2020, où il fait l’objet d’une tentative d’assassinat (attribué au FSB, successeur du KGB) au neurotoxique novitchok. Soigné en allemagne, il effectue son retour en janvier 2021, ce qui lui vaut d’être arrêté et condamné à trois ans et demi de prison ferme pour violation de son contrôle judiciaire. Grâce au zèle du pouvoir russe, le voilà (enfin) devenu quelqu’un, chez lui comme à l’étranger !
2 AGITATEUR PLUS QUE POLITICIEN
Cette sentence propulse l’opposant au rang de martyr. en russie, plusieurs dizaines de milliers de personnes bravent l’interdiction de rassemblement pour manifester leur ras-le-bol. ce qui entraîne 10 000 interpellations. on aurait tort d’interpréter cette vague de protestation comme un mouvement pro-navalny. À en croire un sondage de l’institut Levada, 39 % des russes sont contre ces « troubles », 37 % sont indifférents, et seulement 22 % sont pour. et encore, chez ceux qui sont sortis dans la rue, 43 % l’ont fait pour exprimer un mécontentement général ; ceux qui l’ont fait pour soutenir navalny en particulier ne sont que 16 %. quant à la cote de popularité du n°1 russe, elle reste stable, autour de 65 % ! en revanche, là où navalny a marqué des points, c’est dans l’opération de communication concoctée en allemagne pendant son hospitalisation et lancée sur les réseaux sociaux il y a un mois. il s’agit d’un documentaire explosif sur l’existence d’un palais (chef-d’oeuvre du kitsch) appartenant à Poutine, via des sociétés-écrans. ce film à charge, censé dénoncer un régime corrompu, a totalisé plus de 100 millions de vues et contraint le Président en personne à répondre à ces accusations.
3 LA COQUELUCHE DE L’OCCIDENT
Cette vidéo désormais virale résume toute la pensée de navalny, laquelle se concentre uniquement sur la lutte anticorruption, un thème porteur dans un pays où les oligarques font la loi. Pour le reste du programme, ses opinions politiques sont de nature à en choquer plus d’un en occident. comme la Birmane aung San Suu Kyi, naguère adulée et maintenant critiquée (pour son silence pendant la répression contre les rohingyas musulmans), l’icône navalny pourrait bien réserver quelques désagréables surprises aux apôtres du « politiquement correct ». on pense notamment à sa participation (entre 2007 et 2012) à des marches nationalistes et panslaves dénonçant l’immigration caucasienne. ou à cette déclaration faite en 2013 : « J’ai regardé les statistiques. Savez-vous que 50 % des crimes et délits sont commis par des étrangers ? »
Vérité en deçà de l’oural, erreur au-delà : de tels propos ne choquent point l’opinion russe, bien au contraire. Les menaces de sanctions brandies par l’union européenne et les expulsions réciproques de diplomates ne vont certainement pas changer quoi que ce soit dans l’empire des tsars…