CHÂTEAUX PRIVÉS… DE VISITEURS
Accusant de lourdes pertes depuis le début de la crise sanitaire, les propriétaires de monuments historiques privés se préparent activement à la réouverture au public.
Le château de Breteuil a pris, cet hiver, un air bien triste. « Cela fait un choc de voir tous les volets clos. Breteuil a toujours été ouvert depuis plus de cinquante ans ! » se désole le propriétaire des lieux, Henri-François de Breteuil qui, dès 1969, alors qu’il venait de prendre en main le destin de ce château familial du XVIIe siècle, situé au coeur de la vallée de Chevreuse (Choisel, Yvelines), a décidé de l’ouvrir au public pour subvenir aux frais de sa restauration. Un succès, avec plus de 120 000 visiteurs ces dernières années. La crise de la Covid-19, hélas, en a fait s’évaporer une bonne partie ! Seuls le parc et quelques animations extérieures sont désormais accessibles. Depuis plusieurs mois, l’équipe de 10 personnes qui s’active habituellement sur place est au chômage partiel. Quant aux travaux non essentiels – comme la construction d’un gîte, initialement programmée –, ils ont été annulés pour les deux années à venir. « En 2020, nous avons perdu près de la moitié de notre chiffre d’affaires », explique le marquis de Breteuil.
Du nouveau à BeauregarD
Le sort de Breteuil n’est pas isolé. Dans toute la France, des milliers de propriétaires de monuments historiques privés pleurent les visiteurs disparus et les recettes évanouies, souvent essentielles à la survie de leur modèle économique qui repose pour l’essentiel sur le nombre de tickets vendus à l’entrée de leurs grilles, les animations proposées, les souvenirs vendus en boutique, les locations pour les mariages ou séminaires… Mais pas question de s’avouer battus. Plutôt que de s’apitoyer sur leur sort, beaucoup préfèrent regarder vers l’avenir et préparer la réouverture tant attendue de leur monument. « Cette période a été propice à une riche réflexion familiale, explique Guy du Pavillon, propriétaire du château de Beauregard, ancien relais de chasse du roi François Ier, situé dans le Loir-et-Cher, à mi-chemin entre Blois, Cheverny et Chambord. Avec Natalie, mon épouse, et nos enfants, nous avons vécu deux mois et demi sur place au printemps dernier. Cela ne nous était jamais arrivé. Il n’y avait plus aucun visiteur. Nous nous sommes totalement réapproprié les lieux, les enfants ont pris le temps de traîner dans les greniers, de voir Beauregard autrement ; et nous, de réfléchir aux différentes manières d’enrichir notre proposition de visites. »
Résultat : un travail a été lancé pour reconstituer, sur la base d’un recueil du XVIIe siècle, la biographie des 327 personnages qui, de Philipe VI de Valois à Louis XIII, ont contribué à l’histoire politique de l’Europe et dont les portraits ornent la fameuse galerie des Illustres de Beauregard, objet des soins attentifs des propriétaires du château (la restauration de chacun des portraits, lancée en 1983, se poursuit année après année). Un projet numérique, confié à un petit groupe d’étudiants, devrait suivre. Autre nouveauté (testée avec succès l’été dernier) : les visiteurs pourront découvrir, à la réouverture de Beauregard, une nouvelle galerie consacrée… aux chiens de stars, photographiés par Antoine Schneck : Moujik IV d’Yves Saint Laurent, Loopy de Daniel Auteuil, Dash de Stéphane Bern ou encore Uma d’Isabelle Adjani font désormais concurrence aux portraits de Catherine de Médicis, du prince de Condé ou de Jean sans Peur…
un avant et un après-CovID
À Marzac aussi, Jacques et Catherine Guyot se préparent à une réouverture qu’ils espèrent pour les vacances de Pâques. « Nous y croyons, assure Catherine Guyot. Nous venons d’embaucher deux personnes en CDI, capables de conduire les visites, de vendre une carte postale ou de donner un coup de main au jardin… » Bref, des polyvalents, à l’image des propriétaires de ce joyau du Périgord noir qui se trouvait à l’abandon quand ils l’ont racheté aux enchères, en 2019. En 2020, il a fallu poursuivre les travaux malgré l’absence de perspectives claires, restaurer le rez-de-chaussée, puis le premier étage qui s’intégrera dans le futur parcours des visiteurs. Une obligation, dans ce château totalement déshabillé, inhabité depuis trente ans ! « On continue à investir dans le projet, on ne peut pas se permettre d’arrêter », explique Catherine Guyot, convaincue que les « petits » châteaux comme Marzac ont une carte à jouer pour séduire les visiteurs en quête d’histoire, mais aussi de tranquillité et d’espace. « Il y aura clairement un avant et un après-Covid, explique-t-elle. Compte tenu des contraintes sanitaires qu’il nous faudra respecter à l’avenir, il va falloir gérer les flux, investir dans des outils digitaux pour que chacun puisse réserver son créneau de visite, mais aussi franchir une étape supplémentaire dans la professionnalisation de notre offre pour nous distinguer les uns des autres. » Animations diverses, murder parties, escape games… Les châteaux privés ne manquent pas d’idées pour offrir des expériences toujours plus riches à leurs visiteurs. À Breteuil, tout est prêt pour 2021. Ne manque plus que le feu vert des pouvoirs publics. On a même prévu, outre les traditionnelles chasses au trésor et animations autour des contes de Perrault, une nocturne 1900 (dans l’esprit de la série télévisée Downtown Abbey), une démonstration d’art floral et même un bal Napoléon… Masqué ? Secrètement, tout le monde espère bien que non. ■