Le Figaro Magazine

QUi doit se charger de la raison d’être ?

Si la décision appartient aux actionnair­es, les dirigeants doivent embarquer toutes les parties prenantes : salariés, clients, partenaire­s…

- Frédéric de Monicault

Formuler une raison d’être, c’est commencer par se poser quelques questions existentie­lles. Pourquoi l’entreprise existe-telle ? Pourquoi existera-t-elle encore dans cinquante ans ? À quel besoin essentiel répond-elle ? Que manquerait-il au monde si elle disparaiss­ait ? Quelles sont son utilité et sa contributi­on à son écosystème et à la société tout entière ? « Partant de là, la définition d’une raison d’être est une décision stratégiqu­e de tout premier plan, qui relève d’un acte de leadership ; la réflexion doit forcément commencer chez les dirigeants », explique Jean-Noël Felli, cofondateu­r du cabinet de conseil en stratégie et en management Balthazar.

Cette démarche exige d’être convaincu : si les intéressés ne sont pas prêts à repenser leur stratégie en fonction de ce qu’ils découvriro­nt, la recherche de la raison d’être ne sera qu’une série de voeux pieux, sans grande utilité. «L’expression puis la traduction de cette décision constituen­t un acte de souveraine­té, avec sa part d’audace et de choix radicaux », poursuit Jean-Noël Felli. Les salariés ou les futurs salariés sont demandeurs : en 2018, plus de 30 000 jeunes ont signé le manifeste « Pour un réveil écologique ». « Ils affirment ne pas vouloir travailler dans des entreprise­s qui ne s’engageront pas concrèteme­nt, et avec amplitude, dans la transition écologique », rappelle Sylvain Breuzard, PDG de Norsys. Cette société de services numériques, qui emploie 600 personnes, est entreprise à mission depuis octobre 2020. Elle est aussi estampillé­e B Corp, certificat­ion américaine qui rencontre un succès croissant dans le monde.

Si l’équipe dirigeante joue un rôle pilote, elle n’est pas seule à la manoeuvre. « Le travail sur la raison d’être nécessite plusieurs mois de maturation avec des méthodes qui vont associer l’ensemble des parties prenantes », ajoute Jean-Noël Felli. Ainsi les fondateurs (s’ils sont présents), les actionnair­es historique­s, les collaborat­eurs, les organisati­ons syndicales, les partenaire­s, les clients… « In fine, il s’agit de converger avec quelques phrases sur un texte qui, associé à des engagement­s clairs, va faire évoluer l’entreprise », précise Jean-Noël Felli. Chez Norsys, Sylvain Breuzard creuse le modèle de «permaentre­prise », qui propose un développem­ent autour de trois principes éthiques : prendre soin des êtres humains, préserver la planète et se fixer des limites tout en partageant équitablem­ent les richesses. Toutes les structures peuvent-elles y prétendre ? « Encore faudrait-il qu’elles aient, à leur tête et dans leur conseil d’administra­tion, des femmes et des hommes lucides et sincères qui arrêtent de se cacher derrière une façade verte synonyme, au mieux, d’ajustement­s à la marge », juge Sylvain Breuzard. Une nouvelle fois, les dirigeants sont placés devant leurs responsabi­lités.

AvAncer sur les deux jAmbes

Pour avoir travaillé sur un livre blanc sur le sujet, Dominique Stucki, avocat associé au cabinet Cornet Vincent Ségurel, note que les managers enclins à prendre part au débat sont volontaris­tes : ils veulent s’engager et ne recherchen­t pas seulement un simple habillage marketing. Dans certaines entreprise­s, l’impulsion vient du sommet avec un dirigeant qui fixe un cap puis demande à son conseil d’administra­tion de le suivre. Dans d’autres entités, le mouvement vient davantage de la «base » : salariés, syndicats ou clients.

On peut aussi avancer sur les deux jambes. Promoteur immobilier basé en France, le groupe Réalités, 550 collaborat­eurs, illustre la double approche de la raison d’être. Après la création d’une direction dédiée aux enjeux stratégiqu­es – dont la RSE –, des ateliers ont été organisés en interne et une enquête diffusée auprès des salariés et des nombreux partenaire­s. « Nous avons eu près de 80 % de taux de réponse : cela montre à quel point l’entreprise tout entière veut s’engager, s’exclame le PDG Yoann Choin-Joubert. À l’arrivée, Réalités est devenu entreprise à mission en six mois. Beaucoup nous disaient que nous n’y arriverion­s jamais ! »

Pour que le suivi de la raison d’être soit réel, les différente­s fonctions devront être mobilisées : ressources humaines, service commercial, direction financière… Dominique Stucki n’exclut pas, dans un avenir proche, que se généralise un poste de référent : les dossiers sont parfois trop complexes pour un profil généralist­e, signe qu’ils montent en puissance. ■

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France