QUi doit se charger de la raison d’être ?
Si la décision appartient aux actionnaires, les dirigeants doivent embarquer toutes les parties prenantes : salariés, clients, partenaires…
Formuler une raison d’être, c’est commencer par se poser quelques questions existentielles. Pourquoi l’entreprise existe-telle ? Pourquoi existera-t-elle encore dans cinquante ans ? À quel besoin essentiel répond-elle ? Que manquerait-il au monde si elle disparaissait ? Quelles sont son utilité et sa contribution à son écosystème et à la société tout entière ? « Partant de là, la définition d’une raison d’être est une décision stratégique de tout premier plan, qui relève d’un acte de leadership ; la réflexion doit forcément commencer chez les dirigeants », explique Jean-Noël Felli, cofondateur du cabinet de conseil en stratégie et en management Balthazar.
Cette démarche exige d’être convaincu : si les intéressés ne sont pas prêts à repenser leur stratégie en fonction de ce qu’ils découvriront, la recherche de la raison d’être ne sera qu’une série de voeux pieux, sans grande utilité. «L’expression puis la traduction de cette décision constituent un acte de souveraineté, avec sa part d’audace et de choix radicaux », poursuit Jean-Noël Felli. Les salariés ou les futurs salariés sont demandeurs : en 2018, plus de 30 000 jeunes ont signé le manifeste « Pour un réveil écologique ». « Ils affirment ne pas vouloir travailler dans des entreprises qui ne s’engageront pas concrètement, et avec amplitude, dans la transition écologique », rappelle Sylvain Breuzard, PDG de Norsys. Cette société de services numériques, qui emploie 600 personnes, est entreprise à mission depuis octobre 2020. Elle est aussi estampillée B Corp, certification américaine qui rencontre un succès croissant dans le monde.
Si l’équipe dirigeante joue un rôle pilote, elle n’est pas seule à la manoeuvre. « Le travail sur la raison d’être nécessite plusieurs mois de maturation avec des méthodes qui vont associer l’ensemble des parties prenantes », ajoute Jean-Noël Felli. Ainsi les fondateurs (s’ils sont présents), les actionnaires historiques, les collaborateurs, les organisations syndicales, les partenaires, les clients… « In fine, il s’agit de converger avec quelques phrases sur un texte qui, associé à des engagements clairs, va faire évoluer l’entreprise », précise Jean-Noël Felli. Chez Norsys, Sylvain Breuzard creuse le modèle de «permaentreprise », qui propose un développement autour de trois principes éthiques : prendre soin des êtres humains, préserver la planète et se fixer des limites tout en partageant équitablement les richesses. Toutes les structures peuvent-elles y prétendre ? « Encore faudrait-il qu’elles aient, à leur tête et dans leur conseil d’administration, des femmes et des hommes lucides et sincères qui arrêtent de se cacher derrière une façade verte synonyme, au mieux, d’ajustements à la marge », juge Sylvain Breuzard. Une nouvelle fois, les dirigeants sont placés devant leurs responsabilités.
AvAncer sur les deux jAmbes
Pour avoir travaillé sur un livre blanc sur le sujet, Dominique Stucki, avocat associé au cabinet Cornet Vincent Ségurel, note que les managers enclins à prendre part au débat sont volontaristes : ils veulent s’engager et ne recherchent pas seulement un simple habillage marketing. Dans certaines entreprises, l’impulsion vient du sommet avec un dirigeant qui fixe un cap puis demande à son conseil d’administration de le suivre. Dans d’autres entités, le mouvement vient davantage de la «base » : salariés, syndicats ou clients.
On peut aussi avancer sur les deux jambes. Promoteur immobilier basé en France, le groupe Réalités, 550 collaborateurs, illustre la double approche de la raison d’être. Après la création d’une direction dédiée aux enjeux stratégiques – dont la RSE –, des ateliers ont été organisés en interne et une enquête diffusée auprès des salariés et des nombreux partenaires. « Nous avons eu près de 80 % de taux de réponse : cela montre à quel point l’entreprise tout entière veut s’engager, s’exclame le PDG Yoann Choin-Joubert. À l’arrivée, Réalités est devenu entreprise à mission en six mois. Beaucoup nous disaient que nous n’y arriverions jamais ! »
Pour que le suivi de la raison d’être soit réel, les différentes fonctions devront être mobilisées : ressources humaines, service commercial, direction financière… Dominique Stucki n’exclut pas, dans un avenir proche, que se généralise un poste de référent : les dossiers sont parfois trop complexes pour un profil généraliste, signe qu’ils montent en puissance. ■