LA CHRONIQUE de François d’Orcival
Alors qu’il suffisait de réformer cette école qui forme aux responsabilités publiques, Emmanuel Macron décide de la supprimer.
Il fallait donc un énarque pour supprimer l’ENA. Emmanuel Macron (promotion Sédar-Senghor) avait demandé un rapport à Frédéric Thiriez (promotion Malraux), qui le lui avait proposé et le lui a remis au mois de février 2020. Les « gilets jaunes » l’avaient-ils provoqué ? Il y a eu ensuite le coronavirus. Désormais, les élections se rapprochent et le rapport sur la suppression de l’ENA a retrouvé son actualité. Mais là où Frédéric Thiriez suggérait de créer une école d’administration publique (EAP) pour remplacer l’École nationale d’administration et sept autres écoles de l’État, Emmanuel Macron veut un Institut du service public (ISP) qui constituerait un tronc commun pour les 13 écoles de l’administration. L’ISP plutôt que l’EAP parce que l’EAP, ça ressemble trop à l’ENA ? On disait ENA, énarque, et énarchie ; on sera obligé de répéter ISP.
« L’idée de supprimer l’ENA n’est ni nouvelle ni révolutionnaire », dit le rapport Thiriez, qui cite les textes et interventions reçus depuis cinquante ans sur le sujet : Chevènement (ENA), en 1967, Bloch-Lainé (directeur du Trésor, mais pas ENA), en 1969, après Mai 68, puis Silguy (ENA), en 2003, jusqu’aux déclarations de Jacques Chirac (ENA), Laurent Fabius (ENA), François Bayrou (qui ne l’est pas) ou Bruno Le Maire (qui l’est). « C’est dire si le débat est bien antérieur aux “gilets jaunes” », écrit Thiriez. Démocratisation. Ah, le grand mot ! Les fils de cadres représentent toujours 70 % des promotions, et cela dure depuis la création de l’école en 1945. N’est-ce pas le faux problème par excellence ? Et si la formation n’est plus adaptée, pourquoi ne la réforme-t-on pas ? Est-ce en changeant le nom de l’école qu’on l’obtiendra, là où l’on a déjà cru résoudre la question en la déplaçant de Paris à Strasbourg ? La procédure de sortie n’est pas la bonne ? Comme on a tenté plusieurs fois de la réformer sans réussir, Macron supprime tout. Alors que le vrai problème, ce sont les 10 % d’énarques qui sont membres du gouvernement, et les 3 % élus députés. Surreprésentés, concentrés au sommet de l’État : le chef de l’État, son secrétaire général, le premier ministre, son directeur de cabinet… Dans une promotion, 15 à 20 % partent dans le privé, la moitié revient dans le public. D’où l’éternelle question posée : l’ENA étaitelle donc une école de pouvoir ou de service public ? Ou les deux ? Chevènement aurait voulu la réformer. Macron choisit de la remplacer. En tout cas, les premiers concours n’auront pas lieu avant les élections. Le Conseil d’État, la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances continueront d’attendre les meilleurs…