À L’AFFICHE Culturellement vôtre, par J.-Ch. Buisson et les passe-temps d’Éric Neuhoff
Dans un texte sensible et joliment mélancolique, Michel Field raconte sa ville autant que sa vie.
Du passé, Michel Field rêvait de faire table rase quand, jeune militant trotskiste, il menait la fronde lycéenne contre la loi Debré. C’était il y a bientôt un demi-siècle, c’était il y a mille ans. Depuis, la raison est revenue au professeur de philosophie devenu journaliste, puis animateur apprécié d’émissions politiques ou culturelles, puis responsable de programmes dans l’audiovisuel public. Au point de flirter avec une forme de mélancolie, voire de nostalgie, pour un vieux monde qu’il n’appelle plus à fuir comme le réclamait un célèbre slogan de Mai 68. Paris émois (Éditions Mialet-Barrault) est une magnifique promenade littéraire hantée par les ombres ou les fantômes de Mercier, Hazan et Modiano. Les lecteurs de Léon Daudet y trouveront même des accents de Paris vécu, avec cet art maîtrisé de mêler des souvenirs personnels et une description précise, presque clinique, des rues, des bâtiments, des ambiances, des odeurs perçus, aperçus ou entraperçus durant douze mois d’une année récente.
Dans ces 230 pages merveilleuses éclatent l’érudition historique et politique de Michel Field, son implication passionnée dans la vie de la Cité, mais aussi une lucidité, une honnêteté et une tendresse parfois inattendues. Qui imaginait ces torrents d’émotion (ferveur, tristesse, déception, enthousiasme) que la vue d’une silhouette jadis croisée, d’un coeur autrefois conquis, d’un lieu naguère fréquenté (un cinéma, un couloir de métro, une venelle pavée, une gare, un marché, une salle de spectacle, un local syndical…), pouvait déclencher chez celui dont on croyait naïvement que l’allure et le ton bonhommes disaient sa vérité ? Comment aurait-on pu deviner en lui ce dilemme permanent entre la fidélité à ce qu’il a été et l’envie quotidienne de bousculer ses certitudes, changer ses habitudes (être fils de prolo juif autrichien et grandir dans le 16e le prédisposait certes un peu à cette angoisse existentielle). Lui-même le mesurait-il ? Sans doute pas. Telle est la magie de Paris : conduire à se décrire celui qui l’écrit.