“NOUS N’AVONS AUCUN POUVOIR SUR LE CONTENU DES MANUELS”
La présidente du Conseil supérieur des programmes regrette l’absence de dialogue sur le fond avec les éditeurs scolaires.
Le rôle du Conseil supérieur des programmes est de proposer des projets de programmes au ministre chargé de l’Éducation nationale. Son objectif est d’assurer la transmission des savoirs fondamentaux dans chaque discipline enseignée, de veiller à ce que les élèves accèdent à ce qui ne peut s’acquérir que par l’école et à l’école. Là où je suis, j’essaie autant que faire se peut de protéger l’institution scolaire de toutes les modes en vogue dans la société et de la prémunir des idéologies de la « déconstruction », postcoloniales ou identitaires. Les nouveaux programmes de lycée reflètent ma conviction que l’école ne saurait être le supplétif de tel ou tel courant de pensée qui, hélas, trouve dans l’université ses bastions. On y confond la liberté académique et la recherche avec l’exercice d’un militantisme imprégné de ces idéologies à la mode. La situation intellectuelle des structures universitaires où l’on forme les professeurs mériterait, à cet égard, la plus grande attention.
Le Conseil supérieur des programmes n’a aucun pouvoir sur le contenu des manuels scolaires. Leurs éditeurs sont les acteurs d’un marché où les modes ont de l’influence sur la production, comme dans tous les marchés régis par l’offre et la demande. Le ministère est tenu d’informer les éditeurs lors du processus de fabrication de nouveaux programmes d’enseignement, mais les éditeurs scolaires, eux, ne sont tenus à rien, pas même de s’assurer de l’exactitude des contenus qu’ils diffusent ! Ils sont extrêmement attachés à leur liberté éditoriale et ils considèrent que c’est à eux de définir leur ligne pédagogique. Autant dire que la discussion avec eux est limitée à des questions formelles et ne porte jamais sur des questions de fond. Ils interprètent toute tentative pour envisager avec eux les contenus et les orientations des manuels scolaires comme une intrusion suspecte. L’Académie des sciences leur a proposé un travail en commun sur les manuels scientifiques, notamment pour éviter des erreurs. Les éditeurs ont refusé. Je reçois de nombreux courriels de protestation contre le contenu de certains manuels. Il est très difficile de faire comprendre à mes interlocuteurs que les manuels scolaires ne sont pas les programmes scolaires et que je ne peux répondre que de ces derniers. Mais il faut rappeler l’existence d’un tiers dans ce débat : les collectivités locales, qui financent l’achat des manuels. Elles dépensent beaucoup d’argent et elles pourraient utiliser ce levier pour se pencher sur leur contenu, mais elles ne le font pas. Leur attitude est symptomatique de l’attitude du corps social en général : il ne s’intéresse aux manuels scolaires qu’à l’occasion de débats qui agitent la société et se montre le plus souvent indifférent à ce qu’ils contiennent. Y compris lorsqu’il s’agit d’erreurs qui ne participent en aucune manière à la formation intellectuelle des jeunes gens ou de représentations fausses, voire nocives, qui mettent en péril le discernement et la liberté de jugement que l’école est censée aiguiser.