Le Figaro Magazine

“NOUS N’AVONS AUCUN POUVOIR SUR LE CONTENU DES MANUELS”

La présidente du Conseil supérieur des programmes regrette l’absence de dialogue sur le fond avec les éditeurs scolaires.

- Souâd Ayada Propos recueillis par Judith Waintraub

Le rôle du Conseil supérieur des programmes est de proposer des projets de programmes au ministre chargé de l’Éducation nationale. Son objectif est d’assurer la transmissi­on des savoirs fondamenta­ux dans chaque discipline enseignée, de veiller à ce que les élèves accèdent à ce qui ne peut s’acquérir que par l’école et à l’école. Là où je suis, j’essaie autant que faire se peut de protéger l’institutio­n scolaire de toutes les modes en vogue dans la société et de la prémunir des idéologies de la « déconstruc­tion », postcoloni­ales ou identitair­es. Les nouveaux programmes de lycée reflètent ma conviction que l’école ne saurait être le supplétif de tel ou tel courant de pensée qui, hélas, trouve dans l’université ses bastions. On y confond la liberté académique et la recherche avec l’exercice d’un militantis­me imprégné de ces idéologies à la mode. La situation intellectu­elle des structures universita­ires où l’on forme les professeur­s mériterait, à cet égard, la plus grande attention.

Le Conseil supérieur des programmes n’a aucun pouvoir sur le contenu des manuels scolaires. Leurs éditeurs sont les acteurs d’un marché où les modes ont de l’influence sur la production, comme dans tous les marchés régis par l’offre et la demande. Le ministère est tenu d’informer les éditeurs lors du processus de fabricatio­n de nouveaux programmes d’enseigneme­nt, mais les éditeurs scolaires, eux, ne sont tenus à rien, pas même de s’assurer de l’exactitude des contenus qu’ils diffusent ! Ils sont extrêmemen­t attachés à leur liberté éditoriale et ils considèren­t que c’est à eux de définir leur ligne pédagogiqu­e. Autant dire que la discussion avec eux est limitée à des questions formelles et ne porte jamais sur des questions de fond. Ils interprète­nt toute tentative pour envisager avec eux les contenus et les orientatio­ns des manuels scolaires comme une intrusion suspecte. L’Académie des sciences leur a proposé un travail en commun sur les manuels scientifiq­ues, notamment pour éviter des erreurs. Les éditeurs ont refusé. Je reçois de nombreux courriels de protestati­on contre le contenu de certains manuels. Il est très difficile de faire comprendre à mes interlocut­eurs que les manuels scolaires ne sont pas les programmes scolaires et que je ne peux répondre que de ces derniers. Mais il faut rappeler l’existence d’un tiers dans ce débat : les collectivi­tés locales, qui financent l’achat des manuels. Elles dépensent beaucoup d’argent et elles pourraient utiliser ce levier pour se pencher sur leur contenu, mais elles ne le font pas. Leur attitude est symptomati­que de l’attitude du corps social en général : il ne s’intéresse aux manuels scolaires qu’à l’occasion de débats qui agitent la société et se montre le plus souvent indifféren­t à ce qu’ils contiennen­t. Y compris lorsqu’il s’agit d’erreurs qui ne participen­t en aucune manière à la formation intellectu­elle des jeunes gens ou de représenta­tions fausses, voire nocives, qui mettent en péril le discerneme­nt et la liberté de jugement que l’école est censée aiguiser.

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