LES AUTRES ILLUSIONS PERDUES
Un premier film très juste sur la génération qui eut 20 ans en 1981 en France : « Les Magnétiques ».
Souvenez-vous 1981. C’était il y a quarante ans, c’était hier. Certains croyaient que le socialisme allait rendre les gens heureux, que le service militaire était une aliénation et que le monde de papa allait s’effondrer sous les coups de boutoir de la musique venue d’Angleterre dont les radios pirates diffusaient les titres phares. On pleurait en écoutant le dernier morceau de Joy Division avant le suicide de Ian Curtis, on découvrait les Bordelais de Camera Silens et les Rennais de Marquis de Sade, on vénérait les Undertones, on dansait le pogo sur Front 242. Les parents observaient d’un oeil circonspect cette jeunesse dont les corps et les esprits ne demandaient qu’à exulter.
Ils craignaient de les voir vite déchanter. Comme Nicolas Mathieu dans son excellent
Leurs enfants après eux, prix Goncourt 2018, Vincent Maël Cardona réussit dans Les Magnétiques (en salles le 17 novembre) à restituer la vie ardente et triste à la fois des baby-boomers dont les illusions vont se perdre dans les années Mitterrand. Au coeur d’une petite ville de province qui s’ennuie, ses héros sont deux frères qui cherchent un sens à une vie toute grise et toute tracée : succéder à leur père garagiste. Jérôme, charismatique, fiévreux, expansif, anime Radio Warsaw et joue au punk des campagnes – il finira mal. Son cadet, Philippe, petit génie du bidouillage, vit dans son ombre, admiratif et inquiet pour son aîné, raisonnable (« Moi, j’étais pour Giscard », soupire-t-il le soir du 10 mai 1981). Sa tentative de se faire réformer P4 échoue piteusement, le voilà enrégimenté à Berlin, où il découvrira le monde et l’amour… à distance. La petite amie de son frère en pince pour lui et lui a fait savoir juste avant son départ
(les femmes sont cruelles). Triangle amoureux tragique et drame freudo-biblique en vue. Cette évocation des années 1981-1983 est d’une justesse rare. Sur le fond et sur la forme, particulièrement soignée : des fourches des mobylettes à la forme et à la couleur des vestes. Sans oublier la bande-son, évidemment.
Le réalisateur est pourtant né en 1980. C’est ce qu’on appelle un beau film de composition (française).