“Le Roi LeaR”, ou Le tRiomphe de L’éneRgie
Jacques Weber et François Marthouret, héros d’une remarquable démonstration d’acteurs à la Porte Saint-Martin.
Il a paru la semaine dernière dans Le Figaro une très bonne interview de Jacques Weber qui joue à la porte saint-Martin le rôle du roi Lear dans la tragédie de shakespeare. L’acteur résume en trois mots celle-ci : « Il y a une énergie folle dans cette pièce, où se mêlent pensée et souffrance. » Nous avons à beaucoup d’égards aimé ce spectacle, et particulièrement apprécié l’énergie et la souffrance dont il est inondé, mais nous n’y avons pas trouvé la pensée qu’évoque Weber. La chose est ainsi dite brutalement, mais au moins clairement. ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous portons ce jugement au sortir d’une représentation de ce chef-d’oeuvre qui est trop immense pour ne pas courir le risque d’un malentendu entre le spectateur et le metteur en scène. cela n’affecte en rien en l’occurrence le plaisir que donne le spectacle en cause, plaisir qui tient surtout à l’interprétation. elle est exceptionnelle, par cette énergie dont parle Weber, telle d’ailleurs qu’elle domine parfois la pensée. il y a de l’animal chez ce vieux fauve hagard que le rôle entraîne à la folie. Weber a raison de dire que parfois le langage se disloque chez shakespeare. Les mots n’ont plus de sens, ne compte plus que l’instinct. Dans le rôle de Gloucester, François Marthouret n’est pas en reste, impressionnant de vérité dans la souffrance physique et morale qu’il traverse. remarquable également la composition farcesque de Manuel Le Lièvre dans le rôle du Fou. et toute la troupe à l’unisson de cette qualité, qui s’inscrit dans la scénographie dépouillée, simple, mobile, rapide, efficace, plus brechtienne que shakespearienne qu’a imaginée Georges Lavaudant pour sa troisième rencontre avec la pièce, laissant la vie entrer sur ce plateau nu. au fait, ne serait-ce pas cette familiarité entre Le Roi Lear et Lavaudant qui expliquerait le choix de ce dernier de faire avec l’oeuvre ce qu’il appelle un « théâtre-monde », non plus au service d’un seul thème, mais en l’élargissant à des dimensions universelles, à de plus larges horizons, à des langages multiples, à de plus amples destins ? c’est cette ambition que le metteur en scène semble avoir poursuivie avec son comparse Daniel Loayza, traducteur de la pièce, c’est dans cet esprit qu’ils ont apporté un soin particulier à la distribution, confondant en quelque sorte les héros de la pièce et les comédiens qui les interprètent. s’il y a pensée, comme dit Weber, dans ce travail collectif, c’est là qu’elle se situe. Le Roi Lear, de William Shakespeare. mise en scène de georges Lavaudant. avec Jacques Weber, François marthouret, manuel Le Lièvre… théâtre de la porte Saint-martin (paris 10e).