Venise de l’intérieur
Q★★★ Carnet vénitien, de Liliana Magrini, Serge Safran éditeur, 187 p., 18,90 €. ui à Venise se souvient encore de Liliana Magrini, sinon l’eau, le ciel et la lumière qu’elle a su voir, comme seuls le peuvent sans doute les heureux mortels nés dans cette ville « où de l’ombre, tant de bouches s’ouvrent vers le soleil » ? Mais voir est une chose, faire voir en revanche, est un don. Traductrice d’Albert Camus, Magrini le tirait d’une porosité exceptionnelle au vivant, comme en témoigne ce récit écrit directement en français et d’une humanité sans faille. Car cette cité,
« à la secrète géométrie de ruche »,
existe avant tout par les êtres qui l’habitent. En 1956, ils étaient chiffonniers, fleuristes, loueurs de barques, enfileuses de perles, lavandières ou chasseurs de potins pour Il Gazzettino et leur goût du jeu irradiaient chacun de leurs gestes. Magrini les saisit, comme en passant, mais elle sait aussi s’arrêter et tendre l’oreille. Ainsi près d’un batelier, au beau visage « lissé par le vent humide des lagunes » : « Le vieux parlait des marées. Entre la montée et la descente des eaux,
disait-il, il y a toujours une demiheure de répit. L’eau se repose, dans ce répit […] C’est un grand corps. Un grand corps qui respire. » Une Venise sur le vif, vue de l’intérieur.