LES RESSORTS CACHÉS DES CANDIDATS
Les débats ont permis de connaître leurs propositions. Mais les Français savent moins comment ils sont arrivés à ce niveau, quel a été le moteur de leur ambition. En dehors de Philippe Juvin, moins impliqué dans la campagne, le match se joue à quatre entre Valérie Pécresse, Michel Barnier, Xavier Bertrand et Éric Ciotti.
Enquête sur les secrets des quatre prétendants.
L’adversité et les tribulations ont du bon parce qu’elles mettent à l’épreuve. Les attaques préparent aussi les renaissances », écrivait Charles Péguy. À droite, les mots du poète sont toujours autant d’actualité pour des candidats au congrès LR, qui ont tous, à divers degrés une revanche à prendre. À l’exception de Philippe Juvin, qui s’oblige à rester plusieurs jours par semaine à l’hôpital et participe moins à la campagne, désormais le match se joue à quatre. L’adversité, Valérie Pécresse peut en parler longtemps. « Me battre pour m’imposer : c’est l’histoire de ma vie ! » plaide l’ancienne ministre. À HEC comme après dans sa carrière, elle a souffert d’être considérée comme la blonde de service. À l’ENA, « ils m’appelaient jeune et jolie ». Devant Karine Le Marchand, pour l’émission « Une ambition intime » sur M6, elle raconte comment le secrétaire général de l’Élysée, Dominique de Villepin, l’accueille pour son entretien d’embauche : « En politique, il n’y a pas de femmes normales, il n’y a que des hystériques ou des filles mères. » Même si elle a le syndrome de la bonne élève, il lui en faut plus pour se décourager. « Les gens ne comprennent pas ce qu’est mon “drive” : je suis courageuse, je n’ai pas peur », assure Valérie Pécresse, rappelant son passage en 2007 au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche où elle a tenu bon sur sa réforme de l’autonomie des universités. Mais là encore, certains minimisent son bilan et font valoir que Nicolas Sarkozy l’a soutenue à bout de bras face aux manifestations d’étudiants. Elle s’agace aussi quand elle entend ceux qui suggèrent qu’elle pourrait faire une excellente chef du gouvernement. « Pourquoi on ne dit pas ça pour les autres, les hommes ? » feint-elle de s’interroger.
« J’ai toujours prévenu ceux qui venaient me voir, rebondit Geoffroy Didier, député européen. Elle a une volonté de fer, c’est une fonceuse. Parfois, il faut même la freiner. » Brice Hortefeux a pu la découvrir quand il a décidé de la soutenir.
« C’est du granit. Elle est incroyablement tenace et coriace », constate l’ancien ministre de l’Intérieur, qui voit en elle « une battante et une combattante ». Rentrant du Puy-de-Dôme un dimanche soir en avion, il lui envoie un message à son arrivée à Paris pour lui signaler les hésitations d’un élu avec lequel il a voyagé. Malgré l’heure tardive, Valérie Pécresse prend le temps d’appeler cet élu pour le convaincre.
Séraphin Lampion
Ne rien laisser au hasard, Xavier Bertrand sait faire également. Quitte à agacer. Ses détracteurs à droite le surnomment « Séraphin Lampion », reprenant le nom de l’assureur un tantinet pénible, qui exaspère ses interlocuteurs dans Les Aventures de Tintin. Depuis son arrivée à l’Assemblée nationale en 2002, Xavier Bertrand est habitué à ce genre de quolibet à son encontre. « Il a été victime de racisme social », s’emporte un de ses proches. « Je n’ai jamais été programmé pour devenir ministre ni même député, a coutume de rappeler l’ancien agent d’assurances de Flavy-le-Martel (Aisne). Je me fous complètement de ce qu’ils peuvent dire. » Le président des Hauts-de-France préfère tracer sa route en laissant de côté ces importuns tout en se demandant : « Ils ont fait quoi, eux ? » Quand il pousse pour faire passer, à quatre mois de l’élection présidentielle de 2007, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, Jacques Chirac n’est pas très chaud. Nicolas Sarkozy encore moins, qui lui dira :
« Tu vas me faire perdre ! » Quant aux autres, ils le mettent en garde : « Si tu fais ça, ta carrière est terminée ! » L’intéressé trace sa route. « La politique, c’est l’antidestin », a l’habitude de rappeler Xavier Bertrand. Quand il se lance en politique, l’homme de SaintQuentin (Aisne) n’imagine pourtant pas s’imposer dans la capitale. « Je ne connais personne, je n’ai pas les réseaux et je n’ai pas fait l’ENA ! » Quand on lui propose d’être député en 2002, au départ Xavier Bertrand refuse de peur de trop s’éloigner de son fief électoral et de tout perdre. Mais rapidement, le
« plouc de province », comme l’égratignent nombre d’élus, se fait une place à
“Je suis méthodique, un pas après l’autre, comme en montagne”
Michel Barnier “Je suis courageuse, je n’ai pas peur”
Valérie Pécresse
Paris. « Comment vois-tu mes six premiers mois à l’Assemblée nationale ? »
demande le jeune député à un ami. « Tu seras ministre plus vite que tu ne le penses. » Xavier Bertrand n’y croit pas : « Jamais ils ne me nommeront. Je n’ai pas d’appui, je ne suis pas de la bourgeoisie parisienne. » En 2004, il est nommé secrétaire d’État à l’Assurance-maladie. Il s’est appliqué méthodiquement, à force de travail, à s’imposer. « Il apprend très vite et il bosse tout le temps,
assure un de ses proches. Ce que tu fais en cinq jours, il le fait en un. »
revanche sociale
Pourtant dans les palais de la République, ne lui fait-on pas sentir qu’il n’est pas du sérail ? Lui dont les chaussures en caoutchouc étaient raillées en raison du bruit « floc-floc » qu’elles faisaient… « Quand je suis devenu ministre, je n’étais pas de ce monde-là. J’ai essayé d’en avoir les codes. Au final, ce n’était pas moi, pas forcément ma place », expliquait-il il y a quelques mois. À force d’observation, de mimétisme et surtout de ténacité, le voilà qui grimpe les échelons à toute vitesse. Une revanche sociale ? L’intéressé assure que non. « Assureur, c’est un très beau métier. Je n’ai pas de revanche sociale. J’ai été heureux quand j’étais jeune », indiquait-il fin mars sur Europe 1. Ses amis se montrent plus circonspects. « Il a une revanche sociale et physique à prendre », confie l’un d’entre eux. Pour y arriver, méthodique et petit dormeur, Xavier Bertrand ne laisse rien au hasard : du SMS envoyé pour l’anniversaire au message de remerciements à un élu après un déplacement. Combien ont rosi de plaisir à entendre ces doux mots d’un candidat à la présidentielle ? « Xavier Bertrand est celui qui a le plus faim, il a compris ce que voulait la France », développait Rachida Dati en tout début de campagne. Les deux élus se connaissent bien. Ils ont notamment été porte-parole de la campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy. Depuis, Xavier Bertrand a décidé de parler en son nom, défiant un peu plus chaque jour Emmanuel Macron. Le candidat LR en est convaincu : plus il apparaîtra comme le premier opposant, plus grandes seront ses chances de victoire à droite. Quitte à agacer ses concurrents. « Bertrand, c’est efficace mais ça fait un peu vendeur d’aspirateurs », griffait un élu après le conseil national des LR, samedi dernier. La passe d’armes entre Xavier Bertrand et Michel Barnier dimanche dernier sur CNews est révélatrice. « Xavier Bertrand fait semblant de ne pas comprendre, j’espère que je n’aurai pas besoin de te le dire une troisième fois », s’agace Michel Barnier en lui répondant sur sa proposition de moratoire sur l’immigration. « Je n’ai pas fait forcément de grandes écoles qui permettent de comprendre la première fois », ironise Xavier Bertrand, que l’on sent malgré tout piqué au vif. Pourtant Michel Barnier n’est pas loin d’avoir vécu les mêmes reproches que ceux entendus par Xavier Bertrand. Provincial comme lui (Savoie), non issu des grands corps de l’État (il est diplômé de l’ESCP), il a été tenu en lisière par les politiciens chevronnés, lui qui s’intéresse très peu à la tambouille politique. Mais c’est un véritable « boutche », comme on dit dans ses montagnes des Alpes. Un homme obstiné qui tient tête aux Parisiens, les « monchus ». « Je suis méthodique, reconnaît l’homme du Brexit. Comme quand je marche en montagne. Un pas après l’autre. Il faut garder son souffle. Ce n’est pas parce qu’on voit le sommet qu’il est tout proche. » Plusieurs fois ministre, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, Michel Barnier s’est orienté très vite vers l’Union européenne. La politique à Bruxelles correspond mieux à son caractère de négociateur que celle de Paris. Mais là encore, il n’a pu démarrer cette carrière que grâce à son obstination, même si certains lui reprochent aujourd’hui, sur les négociations du Brexit, d’avoir « joué perso ». Jacques Chirac n’est pas enthousiaste à l’idée de le nommer commissaire européen.
“jamais pris au sérieux ”
À l’un de ses interlocuteurs, il a cette sentence, cruelle : « Il a les pattes courtes, même si, vu sa taille, je ne pourrai pas lui dire ! » Manière de rappeler qu’il lui semble trop juste politiquement. Quand il apprend les réticences du président de la République, Michel Barnier demande à plaider sa cause directement. Et là, face à Jacques Chirac, il emporte le morceau. « Il lui a expliqué qu’en choisissant un autre, le Président ne ferait qu’une seule nomination. Alors