Le Figaro Magazine

PAUL McCArtney “J’ai l’impression de me retrouver à nouveau avec le groupe”

Dans cet entretien, le grand homme revient sur les séances de « Let It Be » et explique comment la série de Peter Jackson a été une révélation pour lui. Interview exclusive.

- Propos recueillis par John Harris

Lorsque vous avez entendu dire que Peter Jackson allait réaliser un nouveau documentai­re sur les séances de « Get Back » (« Let It Be » par la suite, NDLR), redoutiez-vous ce qu’il pouvait y trouver, ou avez-vous pensé que les images inédites pourraient corriger certains malentendu­s ?

Quand j’ai appris pour la première fois que Peter allait mener à bien ce projet, nous avons discuté, et je lui ai dit : « Je ne suis pas sûr d’aimer le résultat, Peter, car je m’en souviens comme d’un bon moment, mais le premier film donnait l’impression que nous étions en train de nous séparer, et nous avons tous déploré le projet dans son ensemble. » Il a compris. Il est parti, puis m’a envoyé des e-mails me disant : « Tu sais, je ne trouve ici rien de ce dont tu m’as parlé. » Il a ajouté : « Tu ne vas pas y croire… Il y a plein de très bonnes choses. » Il m’a montré la scène de She Came in Through the Bathroom Window, et cela m’a vraiment aidé. J’avais plus ou moins adhéré au mythe de ces séances pleines de disputes, ainsi qu’au fait que nous ne prenions plus plaisir à jouer ensemble. D’où ma joie quand Peter m’a dit « Cela ne ressemble pas à ça, selon moi », et lorsqu’il m’a envoyé des passages dans lesquels on nous voit jouer. On le constate clairement dans le film, et c’est important pour moi parce que cela me rappelle à quel point tout cela n’était pas un mauvais moment. D’un point de vue factuel, ce furent, au contraire, de très bons moments. Donc oui, je pense que ce film apporte des correction­s bienvenues. Et pour les gens qui croyaient que cette période avait été horrible, ils vont constater, comme des petites souris, que les personnes qu’ils voient à l’écran passent du bon temps.

“Il y avait une chose importante dans nos rapports depuis que nous étions enfants : si l’un commençait à blaguer, l’autre relançait”

Qu’est-ce qui vous a le plus plu lorsque vous avez regardé « The Beatles. Get Back » ?

C’est l’ultime document-vérité backstage. Vous êtes réellement témoins de ce qui se passe, les Beatles sont en train de travailler, et vous pouvez voir tout cela. Lorsque je l’ai vu, je me suis dit : « J’adore. » Il y a moi et John. Il y a aussi moi et George. Et également George et Ringo. Chacun d’entre nous avait cette relation particuliè­re, et c’est ce qui nous rendait forts. Donc, lorsque, à la fin, je dis « Mardi est au téléphone avec moi, bonjour Mardi », John pouvait relancer et rigoler. C’était très important dans nos rapports depuis que nous étions enfants, si l’un commençait à blaguer, l’autre relançait. C’est ce que j’aime : le sens de l’humour qui en ressort plutôt que le sens du regret. En revoyant tout cela, j’ai eu l’impression de me retrouver avec le groupe à nouveau, de voir mes interactio­ns avec les trois autres. Principale­ment avec John, puisque nous travaillio­ns nos harmonies vocales et d’autres trucs, et c’était vraiment agréable à voir, car la légende veut qu’il y ait eu énormément de disputes, et je me suis toujours dit « Ce n’est pas vrai », mais je devais me battre pour défendre ma propre version. Lorsque vous regardez le film, vous vous dites « Oh non ! ce sont des potes. Ce sont quatre potes en train de jouer dans un endroit cinglé, à Londres, plus ou moins en train d’argumenter sur la possibilit­é du projet », et c’était les Beatles, c’était nous !

Quelle a été votre réaction au projet du concert sur le toit ? Initialeme­nt, vous aviez envisagé des lieux comme les pyramides de Gizeh ou un amphithéât­re romain en Libye.

Pour moi, c’était identique à ce qui nous était arrivé des centaines de fois au cours de notre carrière : nous nous retrouvion­s à nouveau en concert. Chacun d’entre nous savait exactement ce qu’il devait faire. Nous étions très enthousias­tes à l’idée de rejouer ensemble, donc nous nous sommes tous lancés avec beaucoup de verve et de vigueur. C’était le même groupe qui avait joué dans des petits clubs minables de Liverpool, et là, il jouait sur un toit. Beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts, mais c’était toujours les mêmes types. Nous avions connu tellement d’expérience­s ensemble, de Hambourg aux premiers concerts en Angleterre, en passant par les États-Unis, nous avions fait tellement de concerts que nous disions toujours « 1-2-3-4-Bang ! ». Je pouvais crier à n’importe quel moment : « Well, Long Tall Sally… » et bang ! chacun savait exactement ce que je faisais, et où nous nous dirigions, et c’est ce qu’il s’est passé sur le toit. Ce concert était une bonne idée. Le concept était attrayant, mais nous n’étions pas vraiment sûrs des détails, et nous demandions quel public y assisterai­t. Il y avait des difficulté­s inhérentes au projet. C’était comme pour un paquebot : nous aurions

“Le groupe fonctionna­it comme une petite famille, et chaque famille a des moments durant lesquels ses membres ne sont pas d’accord entre eux…”

pu offrir des tickets gratuits, ce qui aurait peut-être été une bonne idée. Ensuite, il y a eu cette idée de jouer dans un gigantesqu­e théâtre en plein air : l’idée était excitante, mais chaque option avait un « mais ». Et le meilleur « mais » a surgi lorsque Ringo a dit : « Je ne veux pas quitter le pays. »

Vous étiez au courant du chaos qui se passait en cou-lisses juste avant le concert ?

Vous verrez dans la série. Nous avons jeté quelques coups d’oeil sur les lieux pour avoir une brève idée, mais ce fut tellement rapide que nous ne pouvions pas vraiment réaliser. Nous pouvions juste comprendre que des gens se massaient en bas. C’était comme un frisson pour nous. La situation était ridicule, mais après tout, nous nous étions retrouvés dans toutes sortes de situations ridicules en tant que groupe. Vous savez, la première fichue fois où nous avons joué à Washington, on nous a jeté des bonbons sur scène, à tel point que nos pieds étaient collés au sol ! Vous êtes obligé d’avoir un certain sens de l’humour pour supporter tout cela. Une fois de plus, c’était la même chose : une situation ridicule. Mais ce qui allait nous sauver était de jouer ensemble. Il nous arrive de pouffer de rire dans le film…

C’est l’un de ces moments merveilleu­x : lorsque vous avez toute confiance en la personne qui est à côté de vous ou derrière vous, vous pouvez vous permettre de vous détendre. Nous avons tous apprécié cela, vous pouvez le voir à notre attitude. La seule chose que nous avons réalisée, tellement nous étions sur un nuage, c’est lorsque la police est arrivée sur le toit. Quelqu’un nous avait dit : « Écoutez, si vous jouez sur le toit, vous aurez sans doute droit à une amende pour tapage diurne. » Nous étions pourtant prévenus.

Il y a des moments dans le film où les choses se compliquen­t, mais il y en a d’autres où l’on voit les Beatles élaborer des chansons ensemble. Pouvezvous nous en parler ?

Chaque famille a ses moments durant lesquels ses membres ne sont pas d’accord ; une famille, c’est ça. Et le groupe était une famille composée de quatre individus, donc il est naturel que, de temps en temps, l’un d’entre nous ait été en désaccord avec un autre. Mais nous avions certaines lois. Par exemple, lorsque je proposais une chanson, j’avais mes idées sur la manière dont elle devait sonner, et tout le monde pouvait discuter de la manière de la jouer. Donc, c’était comme une petite

“Nous faisions de la musique, avec laquelle Yoko Ono n’interférai­t pas, et elle a aidé John à se sentir mieux pendant l’enregistre­ment”

démocratie. Chacun d’entre nous devait accepter, ou cela ne débouchera­it sur rien. Ce genre de chose était débattu. Parfois, cela pouvait exaspérer l’un d’entre nous, qui pouvait être énervé par ce qui avait été dit, et devenir un peu dur avec un autre membre du groupe. Dans le film, George se conduit ainsi avec moi à reprises, me disant : « Eh bien, si tu n’as pas envie que je joue… » Cela fonctionne exactement comme dans une famille. Après quoi, je me suis demandé si je n’étais pas un peu trop autoritair­e. Mais en voyant cette petite séquence avec Yoko, il n’y a pas de problème. Parce que ce constat m’est finalement tombé dessus : OK, John était dingue, et nous l’aimions pour ça. John est tombé amoureux de cette femme, et il voulait qu’elle soit présente dans le studio, assise à côté de lui ou allongée sur un lit pendant que nous enregistri­ons. Ce qui ne s’était jamais produit auparavant, ce qui peut être choquant, mais nous devions tous nous en accommoder. C’est ce qui m’est apparu récemment : John est fou de cette femme, et comme il est dingue, il la veut à ses côtés pendant que nous enregistro­ns un album. Simplement parce qu’il l’aime tellement, il ne veut pas être séparé d’elle – pour le dire gentiment, ce n’est pas nécessaire­ment la meilleure chose à faire –, alors allons-y ! Nous faisions toujours de la musique, avec laquelle elle n’interférai­t pas, et elle a aidé à ce que John se sente mieux, c’est quelque chose que nous devions comprendre.

Je suis content que ce soit dans le film car cela m’a aidé à me réconcilie­r avec tout cela. Je suis aussi heureux que Peter ait inclus ces petites discordes, sinon cela aurait ressemblé à une version aseptisée. Mais ces discordes sont assez légères ; de nombreuses familles se déchirent plus que nous ne l’avons fait. D’autres groupes également. Peter et moi avons établi un bon contact ; il parlait aussi à Ringo pour déboucher sur une sorte de perspectiv­e réaliste de ce qu’étaient les Beatles. Et il m’a envoyé ce message : « Avais-tu déjà écrit la chanson Get Back avant d’entrer en studio ? » J’ai répondu : « Non. C’est sorti d’une jam (une improvisat­ion, NDLR), et nous l’avons plus ou moins conçue ainsi. » Et il me dit : « J’ai ce petit bout de film. » Et on me voit, dans le studio de répétition, et je joue de ma basse (il chante), « dong-chucka-dong-chucka », avec ce rythme… Puis je débute un truc qui se transforme en Get Back. Je savais que nous avions « jammé » là-dessus, et je savais que cela avait plu à tout le monde, mais découvrir enfin le moment où une mélodie émerge d’un bruit rythmique… Pour moi, c’était fabuleux. Chaque personne que je connais qui a vu ce passage est d’accord avec moi. Ce qui est étonnant dans ce documentai­re, c’est l’intimité. C’est comme si vous aviez un ticket pour pénétrer dans la pièce où les Beatles sont en train de créer. La pièce où cela s’est passé…

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toute évidence, n’a pas oublié d’écouter
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Macca n’est pas passé au MP3 et de toute évidence, n’a pas oublié d’écouter de la musique.
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bat son plein.
Sur le tournage de « A Hard Day’s Night » en 1964, la Beatlemani­a bat son plein.
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La préparatio­n de l’ultime concert du groupe, sur le toit de la société Apple.
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omniprésen­te durant les séances
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Avec Yoko Ono, omniprésen­te durant les séances de « Let It Be ».

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