Traduire en justice
Ça devient une manie. On retraduit à tour de bras. Dernière victime en date : Dos Passos et son Manhattan Transfer. Était-il indispensable de transformer le début (« Trois mouettes tournent autour des caisses brisées, des peaux d’oranges, des trognons de choux pourris qui flottent entre les palissades disjointes ») en « Trois mouettes tournoient au-dessus des caisses brisées, pelures d’orange, trognons de choux gâtés qui flottent entre les palissades délabrées » ? Quel progrès ! Comme on le voit, les dictionnaires de synonymes n’ont pas chômé. On ne compte plus les versions auxquelles Gatsby a eu droit.
Les Heureux et les Damnés (titre fautif) se sont transformés en Beaux et maudits, ce qui correspond mieux à l’original The Beautiful and Damned. En Pléiade, Philip Roth n’a plus tout à fait le même goût. Portnoy a perdu son complexe. La désuétude avait son charme, pourtant. Au-dessous du volcan a subi une toilette. Ulysse s’est refait une beauté. Lolita a été obligée de prendre un coup de jeune – quel âge a-t-elle, alors ? Pas touche à nos chefs-d’oeuvre. La poussière leur convient. Le démodé est leur patine. Au cinéma, le phénomène s’appelle « remake ». On remplace les acteurs comme on change les adjectifs dans une phrase. Cela donne le pire et le meilleur, de King Kong à Plein soleil en passant par Scarface. Spielberg a remis du rose aux joues de West Side Story. Ne pas oublier qu’il s’agissait d’une adaptation de Roméo et Juliette. On n’en sort plus.