LE PRIMAT DE L’ÉMOTION
Une campagne présidentielle peut-elle faire l’économie de confessions intimes ? En meeting à reims le week-end dernier, Marine le Pen a raconté les attaques dont elle avait été l’objet enfant, le divorce de ses parents, ses difficultés de mère de famille monoparentale. Quelques jours auparavant, Éric Zemmour se confiait sur son père autoritaire tandis qu’anne Hidalgo s’était, elle, déclarée candidate en rappelant son parcours de fille d’immigrés. dans ce festival de confidences, la pudique Valérie Pécresse fait désormais figure d’exception. Et d’ailleurs, beaucoup lui conseillent de « fendre l’armure » pour mieux se faire connaître des Français. On connaît la formule de François Bayrou : « L’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme et d’un peuple »
(c’était en 2007, aujourd’hui il aurait sûrement rajouté « ou d’une femme »). il n’est pas anormal que les électeurs puissent connaître la personnalité de celui (ou celle) qu’ils sont susceptibles de porter au pouvoir. on attend d’un dirigeant qu’il fasse preuve de cohérence entre son comportement privé et son action publique, ce qui suppose d’en savoir un minimum sur lui au nom d’une juste transparence. Mais attention à ne pas verser dans le voyeurisme ou le sentimentalisme : d’un candidat à la magistrature suprême, on attend qu’il nous convainque, pas qu’il nous touche. Car si l’émotion, comme la peur ou la colère, sont des ressorts estimables dans la sphère privée, elles ne constituent pas des vertus publiques. « Il ne s’agit plus de vivre, il faut régner », se résout titus dans Bérénice.
Jadis, le sentiment était d’ailleurs considéré comme un signe de faiblesse dans l’exercice du pouvoir. Personne n’aurait imaginé de Gaulle s’épancher sur ses penchants dépressifs ou Mitterrand narrer ses difficultés à mener de front deux vies familiales parallèles. Sans doute parce que, à l’image des autocrates d’aujourd’hui comme Poutine ou Erdogan, ils n’avaient pas besoin de convoquer le registre émotionnel pour convaincre leurs concitoyens. Mais tel n’est plus le cas dans nos sociétés occidentales contemporaines, où l’émotion supplante de plus en plus la raison, y compris chez les gouvernants. on se souvient d’angela Merkel bazardant contre toute logique ses centrales nucléaires après la catastrophe de Fukushima, par peur d’un accident du même type en allemagne ou de Nicolas Sarkozy déclenchant une vague migratoire inédite en précipitant, au nom la lutte du bien contre le mal, la chute du dictateur libyen Kadhafi.
« Les États n’ont pas d’amis, disait de Gaulle, ils n’ont que des intérêts. » il devrait en être de même des peuples vis-à-vis de leurs dirigeants. l’empathie est un bon critère pour le choix d’un ami, mais pas pour celui d’un gouvernant (ni d’un patron d’ailleurs). la fermeté, voire parfois la dureté, sont des qualités indispensables pour diriger, même si elles ne vous rendent pas nécessairement sympathiques.