Woke sur le nil

Bonjour, Kenneth Branagh. – Bonjour, monsieur le grand directeur de la Walt Disney Company.

– Comme vous le savez, notre société a racheté la 20th Century Fox. Nous avons relevé que votre adaptation du Crime de l’Orient-Express pour la Fox il y a cinq ans avait rapporté plus de 350 millions de dollars. Bravo. Nous pensons pouvoir faire aussi bien, voire mieux, avec Mort sur le Nil.

– Pourquoi pas… Disposerai-je du même casting : Judi Dench, Michelle Pfeiffer, Penélope Cruz, Olivia Colman, Johnny Depp ?

– Euh… non… Vous aurez Gal Gadot, Rose Leslie, Armie Hammer, Ali Fazal, Sophie Okonedo.

– Ah. Mais aurai-je cette fois encore le droit de m’écarter un peu du roman originel ?

– Le devoir, vous voulez dire ! Nous comptons profiter de cette occasion pour venger toutes les victimes de la prose d’Agatha Christie.

– Je ne comprends pas…

– Les Dix Petits Nègres, ça ne vous dit rien ? Les mots tuent, vous savez. Il faut profiter de l’occasion pour effacer les crimes pas seulement imagnaires qu’elle a commis. Rééditer ce livre en modifiant son titre infâme ne suffit pas. – Donc ?

– Vous allez réaliser un Mort sur le Nil woke. – C’est-à-dire ?

– Au début du roman, Poirot découvre Jackie de Bellefort et Simon Doyle s’aimer tendrement dans un restaurant où se produit un « orchestre nègre »

(encore cet adjectif honteux : elle ne peut pas s’en empêcher !). Vous allez emmener en Égypte la chanteuse de cet orchestre et sa nièce et en faire deux passagères du vapeur S.S. Karnak.

Et deux héroïnes.

– Why not…

– Et puis, vous rajouterez à bord un Indien au nom arménien. Genre : Katchadourian.

– Well…

– Quant à la vieille Américaine, madame Van Schuyler, vous lui prêterez une relation homosexuelle avec son infirmière, Mrs. Bowers. – Good. Sinon, on garde la trame de l’histoire ? – Oui, évitez juste une fin aussi tragique que dans le roman. On est chez Disney, quand même.

Jean-Christophe Buisson Mort sur le Nil, de et avec Kenneth Branagh (en salles).