SCHUHL CONTRE LES ZOMBIES
Jean-Jacques Schuhl est passé près de la mort. Ouf ! Elle n’a pas voulu de lui.
Je voulais être vide, au bord d’un avenir qui résonnait de nouveautés. » en une phrase, on le retrouve. si Jean-Jacques schuhl n’existait pas, il faudrait l’inventer. On a besoin de quelqu’un d’aussi planant, en ce moment. son flirt avec la mort complète la fin d’Anéantir de Houellebecq. La version schuhl du « couloir de la mort » est moins clinique et plus onirique. il a été visité par des apparitions. Le style de schuhl, c’est bernadette soubirous
meets William burroughs. Pourquoi a-t-il inscrit « roman » sur la couverture de ces fragments autobiographiques et hallucinés ? Pourquoi ne pas assumer la parenté évidente avec les petits poèmes en prose de baudelaire ? il
était temps que quelqu’un sauve l’honneur de Gallimard, qui publie trop de romans non écrits. schuhl a été successivement prince de l’underground, adepte du cut-up, disciple d’eustache, post-punk goncourisé, romancier expérimental… il est aujourd’hui le dernier
avant-gardiste d’une fabrique de best-sellers souvent dénués d’exigence formelle. son livre s’est écrit tout seul, devant lui, sur les pages de son bureau de la rue de Varenne, où nous avons parfois bu ensemble du champagne, l’après-midi, quand j’habitais au 42. Le « romancier pop confidentiel » rêve que des vers de t.s. eliot surgissent au milieu des verres de vin. il s’identifie au barbu qui abordait les passants rue de sèvres, il y a trente ans en demandant : « Ça vous intéresse, la poésie ? » L’art de schuhl est fait de digressions érudites ; il sauve ce qui surnage de notre apocalypse. il collecte les bribes qui flottent autour de son lit d’hôpital, après un aVC normand. Les écrivains croient à l’éternité, sinon pourquoi s’échineraient-ils à retranscrire le temps qu’ils perdent ? après Entrée des Fantômes en 2010, Jean-Jacques schuhl creuse sa veine surnaturelle. Le monde actuel est malade, il est naturel que les poètes signent un pacte de non-agression avec la mort. tout le monde panique, sauf eux. La mort c’est le spa le plus luxueux, le lieu de la relaxation ultime, le but de la vie et de la littérature. On trouve dans ce petit livre les pages les plus autobiographiques de l’oeuvre de schuhl : autoportrait d’un rouquin marseillais, juif caché pendant la guerre, qui se prenait pour « un mélange d’artiste et de voyou », et qui se sent aujourd’hui paumé dans une époque d’algorithmes, sans mystère. Les Apparitions sont un bréviaire comme l’était déjà son chef-d’oeuvre, Rose Poussière (1972). il ne s’adresse qu’aux extraterrestres, puisque ici-bas, il n’y a plus que des zombies.
Les Apparitions, de Jean-Jacques Schuhl,
L’infini (Gallimard), 90 p., 12 €.