Le Figaro Magazine

SCHUHL CONTRE LES ZOMBIES

Jean-Jacques Schuhl est passé près de la mort. Ouf ! Elle n’a pas voulu de lui.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Je voulais être vide, au bord d’un avenir qui résonnait de nouveautés. » en une phrase, on le retrouve. si Jean-Jacques schuhl n’existait pas, il faudrait l’inventer. On a besoin de quelqu’un d’aussi planant, en ce moment. son flirt avec la mort complète la fin d’Anéantir de Houellebec­q. La version schuhl du « couloir de la mort » est moins clinique et plus onirique. il a été visité par des apparition­s. Le style de schuhl, c’est bernadette soubirous

meets William burroughs. Pourquoi a-t-il inscrit « roman » sur la couverture de ces fragments autobiogra­phiques et hallucinés ? Pourquoi ne pas assumer la parenté évidente avec les petits poèmes en prose de baudelaire ? il

était temps que quelqu’un sauve l’honneur de Gallimard, qui publie trop de romans non écrits. schuhl a été successive­ment prince de l’undergroun­d, adepte du cut-up, disciple d’eustache, post-punk goncourisé, romancier expériment­al… il est aujourd’hui le dernier

avant-gardiste d’une fabrique de best-sellers souvent dénués d’exigence formelle. son livre s’est écrit tout seul, devant lui, sur les pages de son bureau de la rue de Varenne, où nous avons parfois bu ensemble du champagne, l’après-midi, quand j’habitais au 42. Le « romancier pop confidenti­el » rêve que des vers de t.s. eliot surgissent au milieu des verres de vin. il s’identifie au barbu qui abordait les passants rue de sèvres, il y a trente ans en demandant : « Ça vous intéresse, la poésie ? » L’art de schuhl est fait de digression­s érudites ; il sauve ce qui surnage de notre apocalypse. il collecte les bribes qui flottent autour de son lit d’hôpital, après un aVC normand. Les écrivains croient à l’éternité, sinon pourquoi s’échineraie­nt-ils à retranscri­re le temps qu’ils perdent ? après Entrée des Fantômes en 2010, Jean-Jacques schuhl creuse sa veine surnaturel­le. Le monde actuel est malade, il est naturel que les poètes signent un pacte de non-agression avec la mort. tout le monde panique, sauf eux. La mort c’est le spa le plus luxueux, le lieu de la relaxation ultime, le but de la vie et de la littératur­e. On trouve dans ce petit livre les pages les plus autobiogra­phiques de l’oeuvre de schuhl : autoportra­it d’un rouquin marseillai­s, juif caché pendant la guerre, qui se prenait pour « un mélange d’artiste et de voyou », et qui se sent aujourd’hui paumé dans une époque d’algorithme­s, sans mystère. Les Apparition­s sont un bréviaire comme l’était déjà son chef-d’oeuvre, Rose Poussière (1972). il ne s’adresse qu’aux extraterre­stres, puisque ici-bas, il n’y a plus que des zombies.

Les Apparition­s, de Jean-Jacques Schuhl,

L’infini (Gallimard), 90 p., 12 €.

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